Nous traversons la large bande, deux à trois cents mètres, qui sépare la ruine du pied des terrils. Herbes, flaques d’eau et de boue, chemin à peine tracé, c’est une terre abandonnée, une terre de désolation. Il y a un siècle, il y avait sans doute des champs à cet endroit ; aujourd’hui, c’est une friche, sorte de steppe famélique du Nord, une terre de guerre. Il y a le vert un peu passé, comme usé, de la végétation, mais surtout le noir de la houille, en buttes, monticules, ou excavations qui parsèment le trajet... Il y a de la légèreté, de l’insouciance dans la petite troupe qui va finir par se réunir au pied du terril. Nous nous y rassemblons. Un guide remet à chacun de nous un feuillet où figure une note relative à la Pose et au Picotage de la Trousse, cours de M. Lecomte, du début du siècle, source du travail d’Hervé. Je jette un œil dans les jumelles qui me renvoient une image un peu floue des ouvriers inertes. Je crois qu’il s’agit de l’optique ou d’une mauvaise mise au point, mais je m’apercevrai plus tard, plus haut, qu’il s’agit du soleil qui tout à la fois nous sert et nous dessert puisqu’une fois là-haut nous aurons la scène à contre-jour...
Je considère mes chaussures de ville qui tricotent au-dessus des flaques, puis les pieds de F*** à côté de moi, chaussés de bottes. « Mes bottes de marin », dit-il en riant. Nous nous arrêtons au pied de la masse, groupe compact des convives. Alternativement, au-dessus de mon nez, vont les jumelles et les lunettes de soleil. Il y a du vent. Je grelotte. Nous attendons durant un moment. Je me trouve sur l’arrière. Puis je sens un mouvement vers l’avant. Il y a un guide que je ne distingue pas. En vérité, je ne le vois pas, et ignore qui en fait office...