Nous longeons des alignements de maisons, cités ravalées depuis l’arrêt du travail dans les mines, comme s’il avait fallu attendre la fin de tout pour se décider à les curer, à les bichonner, comme si le noir et la crasse étaient inexorablement liées au labeur et la couleur au repos. À quelques centaines de mètres, une place ; en son centre, une roue de chevalet ; sur les côtés, comme des sentinelles, deux ou trois berlines, comme elle, dérouillées, repeintes, comme sorties d’une usine de bimbeloterie spécialisée dans le souvenir houiller plutôt que d’une fabrique de poussière et de gravats. Sont-ce des sculptures ? C’est indéniablement laid. En même temps, c’est touchant, et dès lors je ne peux plus les regarder autrement que comme des sculptures, sortes de créations naïves dédiées au labeur et au noir de la terre. C’est propre, garni d’herbe grasse et de fleurs. Ça rutile... Nous arrivons à une supérette locale. C’est sur le parking qu’a lieu le rendez-vous. Quelques voitures s’y trouvent déjà, des personnes déambulent, se réchauffent en marchant. Je me gare de manière à ce que la voiture fasse face aux deux masses, bien profilées contre le ciel désormais bleu. C’est leur face cachée, celle invisible de la nationale, l’envers du décor. Je regarde les deux terrils et leurs alentours, vestiges d’une ère révolue : celle du charbon ; friche d’une étrange sorte composée non de bâtiments, d’édifices, d’objets manufacturés, usinés, mais de terre, de cailloux, de scories en provenance du fond de la terre elle-même, et d’une végétation qui depuis que tout s’est arrêté s’ébroue, encore que l’on puisse croire, en l’absence de toute trace humaine, qu’il en a toujours été ainsi, ou mieux, que tout cela n’a obéi qu’aux seuls caprices de la terre et non aux rêves et intrigues d’hommes ingénieux et solitaires...