La
Renarde a regagné les étagères des « lectures en retard ». J'ai
choisi, après bien des hésitations, La Tour d'Ezra de Koestler. J'aime
beaucoup Koestler, et je sais que c'est un ton, une écriture qui me prennent
d'emblée. Cependant, l'exemplaire est de 1948, est usagé, peu maniable, pas
pratique pour une lecture en transport en commun car il est impossible de
l'ouvrir de plus de dix centimètres et ça devra m'obliger à de multiples
précautions et contorsions, des bras, des mains, et des jambes aussi puisque je
dois tout à la fois le poser, le tenir ouvert d'une main et de l'autre tourner
les pages tout en prenant garde de ne pas laisser tomber la cendre de ma
cigarette dessus. Bref, c'est toute une gymnastique qui parfois, attire les
regards légèrement perplexes des autres passagers (et je pense à Adam, à qui
j'ai montré les deux pièces du haut, dont le bureau et donc la bibliothèque qui,
évidemment, l'a laissé béat ; Adam donc qui, à un moment donné, a pris un
livre qu'il a retourné entre ses mains pour constater qu'il était neuf : « Tu ne
l'as pas lu, celui-là ? » C'était une réédition récente de J'irai cracher sur
vos tombes. J’ai été interloqué, puis j’ai compris qu'il le voyait neuf,
donc non ouvert, et encore moins lu, alors que, bien sûr, je l'avais lu, et je
me suis rendu compte que pour tout être normal, un livre se devait de porter les
marques physiques et visibles de sa lecture. Pas pour moi.) Malgré tout, je l'ai
pris. Ma crainte que ne se reproduise la mésaventure d'hier s'est très vite
dissipée. Mon état d'esprit était identique, mais j'ai pu lire avec infiniment
plus de facilité, ce qui me laisse à penser que La Renarde n'est
peut-être tout simplement pas bon.
4 janvier 1990 (dans une lettre à
Marcel)