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1997

 

*

 

27 août

 

Après le départ d’Éléonore, j’ai passé plusieurs coups de fil : Innocent, Thierry, Jean-Marie. La prochaine répétition est fixée à mercredi. C’est la rentrée, tout va reprendre, et ça me dégoûte... Puis Léo est passé, relayé par Mia. Elle m’a parlé du bulletin. Elle et Olivier ont fortement réagi à la lecture d’un passage : Richard et le ricanement. J’ai été très étonné ; je n’y vois rien de particulier, rien qui puisse justifier leur réaction. Ils y ont vu une sournoiserie de ma part, une sorte de « règlement de compte » camouflé, alors qu’il n’en est rien, bien entendu. Plus que jamais, le bulletin m’échappe... Nous en avons longuement parlé, du bulletin en général. Nous nous sommes rejoints sur le fait qu’un changement de direction s’impose ; je pense même, après le numéro 12 qui bouclera l’année (les années, une année) à sa disparition. Mais saurai-je me résoudre à ne plus me publier ?...

Je n’ai plus envie des cours, ni des répétitions. Plus envie de rien, sauf de m’asseoir, de lire, écrire, et de tâcher au mieux d’aimer Éléonore (« celle avec qui je dors », pour le bulletin)…

 

 

3 septembre

 

Dans une heure, c’est la reprise des répétitions de chant.

J’en ai assez. Je vais tout arrêter...

 

 

9 septembre

 

Olivier m’a reparlé de Domicile conjugal qu’il a l’intention de présenter début octobre à Infrabase. Le projet initial n’est plus qu’un souvenir, a complètement éclaté. Il voit deux étapes : la première serait la simple exécution des pièces ; la seconde la lecture intégrale ou partielle de Lucie et les autres que, pour une raison un peu obscure, il rattache à Domicile conjugal. J’avoue que je ne voie guère de rapport entre les deux. Je lui ai tout de même donné un accord de principe, j’attends de voir. Et il faudra aussi que j’en parle à Léo…

 

 

11 septembre

 

À la répétition de la semaine dernière, seuls Innocent et Marek étaient présents : Jean-Marie souffrant, Thierry que j’avais oublié de prévenir. Hier manquait Jean-Marie, souffrant, et Innocent est arrivé avec trois-quarts d’heure de retard. J’ai décidé de remplacer Jean-Marie, mais, thé, discussion, l’heure a passé, et nous n’avons rien fait (et à quoi servirait-il que je fasse le remplaçant ?)... J’ai prévenu tout le monde que je nous donnais quatre séances pour achever et enregistrer les quatuors, qu’ils soient au point ou non ; que la répétition du jeudi – pour les duos chant-piano et chant pour Philippe et Jacques et Henri-Joël – était annulée et se substituerait à celle du mercredi une fois que les quatuors seraient achevés : je ne peux plus me permettre deux répétitions par semaine. Je fais trop de choses à la fois, je n’ai plus le temps et le temps est pour moi ce qu’il y a de plus précieux. En vérité, je voudrais ne plus me consacrer qu’à La Collection, c’est tout. La Collection et Éléonore, c’est tout... (Innocent et moi avons parlé des Amants du Pont-neuf auquel il a largement participé – les « choses très spéciales » du générique devenues des « effets spéciaux » dans Bêlérama. Il défend le film, je le dénigre. À revoir une troisième fois pour mieux en parler...)

 

12 septembre

 

Ce matin, j’ai glissé le modèle de la lettre STAZI sous la porte de la boutique. J’y suis passé ce midi ; à la vue de la vitrine, j’ai éclaté de rire : objets, statuettes, bagues, vêtements, affiches, ça pétille de couleurs et de formes. Durant une seconde, je me suis cru au Mexique, c’est très beau... La lettre convient à Mia. Olivier était là, il m’a montré l’invitation pour son expo Projet. À suivre, son expo et sa suite : y figure déjà les dates pour Domicile conjugal et Lucie, sans mention de mon nom qui plus est. Je n’ai rien dit pour mon nom, mais me suis étonné de sa programmation qui me paraissait un peu hâtive. « J’ai donné un accord de principe. Ce n’était pas définitif. Nous devions en parler. » « Oui, mais on peut annuler quand on veut !... » « Alors, on annule... »

 

 

14 septembre

 

Après le départ d’Éléonore, je suis allé chez Lucie, ma nouvelle élève. C’est à deux pas, un joli rez-de-chaussée à l’image d’ici. Elle m’a tutoyé d’emblée. Du coup, le cours a pris une forme plutôt détendue. Ça me satisfait pleinement, d’autant que c’est une fille très attachante et charmante (et aguicheuse). Son piano est arrivé il y a deux jours ; il a appartenu à sa mère ; c’est un étrange modèle dont je ne me souviens pas d’avoir vu de semblable, aux formes droites, à la caisse très haute ; il est un peu austère esthétiquement, mais de bonne facture. « À la prochaine !... » Elle a eu un sourire suivi d’un mouvement du corps qui ne m’a pas échappé… Je suis ensuite passé chez Léo pour lui remettre son exemplaire du IX tout frais sorti. Je lui ai parlé en détails de l’invitation singulière d’Olivier et du sort réservé à Domicile conjugal. À ce propos, il devait passer pour que nous en parlions, pas de nouvelles…

 

 

16 septembre

 

J’ai enfin vu Olivier, il m’a fourni quelques « explications ». Il s’embrouillait, dérapait, a été incapable de me fournir un argument de quelque poids que ce soit. Je n’ai rien compris à ce qu’il m’a dit…

 

 

17 septembre

 

Répétition sans Jean-Marie, qui n’a pas prévenu, n’a pas appelé depuis. J’ai décidé de le remplacer. J’en suis satisfait parce que cela me permet d’abandonner mon rôle de chef – dont la présence n’est plus nécessaire à ce stade de la connaissance des pièces – ; d’un autre côté, je m’inquiète car il apparaît que je n’ai pas la voix assez puissante. Je peine donc, et du fait des intervalles, me trompe souvent – très vite je ne m’entends plus et dérive, vais adopter la voix d’Innocent ou de Thierry selon les cas. Il n’empêche que je me sens beaucoup mieux à la place de chanteur, même si je suis loin d’en avoir les compétences…

Olivier a décidé d’annuler, mais tient à son idée et veut la voir aboutie. Je ne m’y oppose pas, bien au contraire, encore que je ne voie guère comment il s’en sortira ; ça me semble impossible. « Prouve-moi le contraire », lui ai-je dit...

 

 

24 septembre

 

Répétition tout à l’heure et aucune nouvelle de Jean-Marie. Se fait-il désirer ou veut-il, par ce silence, signifier son désir d’arrêter ?...

 

 

25 septembre

 

Coup de fil de Jean-Marie qui s’excuse pour la semaine dernière et s’étonne que la répétition commence dans un quart d’heure. Bref, il n’est pas présent, et cela fait la quatrième fois. Du fait de la bousculade (Mia qui attend des rectifications pour le dossier STAZI, Olivier qui passe en coup de vent pour une raison que j’ignore encore, etc.), je n’ai pu lui parler davantage. Il n’empêche que je prends la décision de le remplacer ; reste à l’en informer. À suivre… Nous avons répété avec succès Fête-Dieu. Je pense que c’est en place ; nous pourrons enregistrer la semaine prochaine… En fin de soirée, j’arrive à Roubaix*. Je suis claqué, mentalement, principalement. S’ensuit un abattement de ma part qui, durant une heure, va installer un malaise entre Éléonore et moi. Je l’ai déjà dit : je m’aperçois que de plus en plus le temps m’échappe : au bureau, j’ai de plus en plus de mal à concilier le travail professionnel et mon travail personnel : la tenue du journal, la lecture, la « gestion » de La Collection, et, au-dehors, de concilier mon travail personnel et les obligations « extra-professionnelles », comme les cours, piano, latin/grec, et la répétition de chant. C’était déjà difficile, éprouvant avant ; ça l’est d’autant plus aujourd’hui qu’il y a Éléonore ; elle ne doit pas pâtir de tout cela. Elle aussi vit dans la précipitation, dans la surcharge de travail, les tracas financiers. Pour elle comme pour moi, je veux le calme et la lenteur, et non cette précipitation, cette compression dont le résultat sera le malaise, la tension entre nous…

(Quelle folie d’avoir ajouté à cela le Journal du livre, bien entamé et qu’il me sera désormais difficile d’interrompre – je n’ai pas encore lu une seule ligne aujourd’hui…)

 

* j’habitais toujours à Lille et faisait sans cesse la navette entre l’appartement et la maison d'Éléonore (note du 13 septembre 2021)

 

 

27 septembre

 

Il y avait le vernissage d’un travail d’Olivier et de Patrick Fontana, Projet ailleurs à suivre. C’était accablant. J’y suis resté une heure, le temps de faire acte de présence et de saluer quelques connaissances avant de rejoindre Éléonore à l’appartement (elle n’avait pas envie de m’accompagner). J’ai bavardé avec Jeanne, M***, puis Anne qui n’a pas l’air très en forme (mais c’est toujours agréable de lui parler ; j’aime beaucoup Anne). Puis ça a été le tour de Jean-Marie qui a l’air au plus bas. Nous avons parlé du chant, de ses absences. Il compte venir à la prochaine répétition « et si ça ne marche pas, j’arrête ». J’ai pris bonne note...

 

3 octobre

 

Je n’ai rien dit de la répétition de mercredi. Jean-Marie est venu. J’ai dirigé au lieu de chanter. Il n’y a pas eu l’ombre d’une évolution. Vendredi, il m’avait dit que si cela ne marchait pas à la prochaine, il arrêterait ; pourtant, en partant, il nous a dit : « À vendredi... »* Que faire ? Comment lui dire ou lui faire comprendre – et comment se fait-il qu’il ne le comprenne pas ? – que cela ne changera jamais, qu’il est un frein pour tout le monde, n’est pas fait pour ce type de chant ?...

(C’est le jour de naissance d’Éléonore…)

 

* il faut croire que pour lui ça avait marché (note du 13 septembre 2021)

 

 

21 octobre

 

Après le cours à Julien (désolant, il est de plus en plus insaisissable), je suis allé au cours latin/grec. Tibère n’avait pas eu le temps de préparer le latin et s’était trompé de version en grec, nous avons décidé de consacrer ce temps à la papote : Le Masque et la plume, Alexandrin Jardin contre le nouveau roman, c’est-à-dire, tel qu’exposé dans cette émission – c’est Tibère qui rapporte –, la glorification du petit miteux face à Simon et Char qualifiés de grotesques ; puis musique, Bartók, Turandot, et Fauré ; j’ai montré à Tibère la partition de Vaisseaux, il a solfié, j’ai égrené quelques accords en laissant le reste à ma mémoire où ils ont gentiment mariné dans un état de liquéfaction complète : plus que jamais, je m’inquiète. Nous nous sommes promis de faire un essai pour le plaisir...

 

 

22 octobre

 

Répétition, Marek absent, il est de nouveau en dépression. J’ai informé la compagnie que j’avais décidé de partager la répétition en deux : la première heure consacrée aux duos et aux lieder ; la seconde au quatuor. « Nous commençons dans quinze jours... » Nous avons répété à trois, mise au point des passages délicats, détail des nuances. Contre toute attente, il y a eu un net progrès. Jean-Marie a toujours ses problèmes de justesse, mais par moments l’accord est parfait. Je me demande parfois si je n’aurais pas une mauvaise influence sur lui, et sur tout le groupe aussi bien ; quoique cela soit réciproque, car je me suis aperçu que les choses se sont améliorées en cours de séance, notamment au niveau des nuances qui, pour la première fois, se dessinent, prennent corps et par là même donnent du corps à la pièce, de la vie, mon plaisir revient. J’en déduis qu’il y a certainement une mauvaise volonté de ma part, celle à ne pas essayer de faire l’effort nécessaire pour accepter et assurer totalement mon rôle de chef. C’est-à-dire, montrer de la ténacité et du plaisir, quitte à les feindre au départ...

 

 

29 octobre

 

J’ai reçu un faire-part de naissance du fils de Valérie. Cela faisait des mois que je devais l’appeler ; je pensais profiter de cette occasion pour le faire, et non, je ne l’ai pas fait ; ça m’a traversé la tête et j’ai oublié…

 

 

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