J’appréhendais un peu cette soirée chez Richard : rencontrer des personnes que je connais peu voire pas du tout, mais surtout d’être confronté à lui que je cerne mal et qui me rebute un peu. Il est loin d’être déplaisant, mais son excès d’assurance, son humour acerbe et fuyant, et une réserve délibérée quant à ses opinions (l’humour sert d’appui à la réserve) me déroutent et me déstabilisent ; il me faudra du temps pour trouver son mode d’emploi... Je suis passé prendre Valérie. Nous nous faisons enfin la bise, alors qu’il s’agissait de notre énième rencontre, et je craignais de nouveau que ça ne se fasse pas ; ça m’aurait mis mal à l’aise, m’aurait incité à penser qu’elle voie en moi quelqu’un de distant qui ne donne à nos rencontres qu’un caractère purement « professionnel ». Je lui ai remis la copie promise de Barbe-bleue, ai apporté une correction sur l’une des douzes pièces. C’était l’occasion de lui en parler, de lui dire que je désirais que ça soit elle qui l’interprète ; je ne l’ai pas fait. Nous sommes partis tout de suite après et je comptais le faire dans la voiture ; mais au lieu de ça, je lui ai parlé de ma mère. À la question qu’elle m’a posée sur ce que j’avais fait de ma journée, je lui ai répondu que j’avais reçu ma mère. J’aurais pu m’arrêter là, mais j’ai développé et tout au long du trajet, je ne lui ai parlé que de ma mère. J’ignore pourquoi ; ça ne répondait à aucune envie, aucun besoin précis...