René est arrivé. « J’ai travaillé Benoît toute la semaine ! » Nous avons fait quelques prises. Il y a un net progrès par rapport à la dernière fois, mais ce n’est pas encore ça. René est très mécontent de lui, veut absolument faire parfaitement cette pièce qui désormais est la « mienne ». La première prise m’a satisfait, mais il insiste pour revenir la refaire. « Si ça ne te dérange pas… » Comment cela pourrait-il me déranger ? Son désir de perfection ne peut que me plaire et avoir mon assentiment... Nous nous revoyons samedi prochain...
Il ne cesse de répéter qu’il n’est qu’un amateur. Si je considère sa gentillesse et sa simplicité, l’amour qu’il porte à la musique et à son instrument, et les compare à la vénalité et à la prétention d’imbéciles qui lui seraient techniquement supérieurs, vendant leurs services au nom d’un professionnalisme que le vertige de la vanité leur impose comme un droit, pauvres souffleurs qui ne seront jamais que des égarés, je dis que cet amateurisme est tout à son honneur et je préférerai toujours la plus maladroite de ses interprétations à une quelconque perfection de studio que pourrait me proposer, moyennant finances – c’est-à-dire, me vendre –, je ne sais quelle sorte de « virtuose » local (la gloriole comme remède à la médiocrité viscérale). Car je sais que lorsque plus tard j’écouterai cette musique, j’entendrai aussi celui qui l’a interprété, c’est-à-dire un être sensible et vivant, et je penserai que là résidera toute la qualité de cette musique, cette musique qui à ce moment-là sera véritablement la sienne...