Deux heures durant, nous avons parlé, et je devrais dire : elle a parlé, et cet appel aurait duré bien davantage si à un moment donné je n’avais décidé qu’il s’interrompe. Elle était donc déterminée à ce que nous parlions davantage, et je dis « nous », car si j’excepte les premières minutes de son appel où il était manifeste qu’elle voulait parler d’elle, il s’agissait bien d’une conversation ; et cette conversation, elle voulait la tenir le plus longtemps possible ; je l’ai senti à chaque silence qui s’est installé, silence qui, en toute logique, logique d’un appel téléphonique, précède et prépare le moment de raccrocher ; mais ce silence-là était pour elle le moyen de relancer la conversation, comme une pause, une respiration ; et de nouveau, elle parlait et, à chaque fois, il était flagrant qu’elle ne voulait pas que ça s’interrompe... Elle était tendue, énervée ; sortait d’une répétition avec une nouvelle formation, un quatuor, dont elle fait partie depuis peu. Elle était énervée car il y avait eu des grincements entre eux, peut-être aussi une tension qui l’avait fait douter d’elle-même, l’avait amenée à s’interroger sur sa condition de musicienne, sur le rapport qu’elle entretient avec son instrument, à la musique, aux autres musiciens...