Elle avait treize ans lorsqu’elle a vu le garçon. Elle était allongée, tremblante, la bouche s’emplissant de sel chaud, cachée dans les buissons, et le regardait plonger nu dans une mare du ruisseau. Elle s’est allongée en tremblant et l’a regardé se rhabiller, puis l’a suivi. Il a longé le ruisseau, dans le sable ; elle l’a vu s’arrêter et tirer quelque chose de dessous un buisson. C’était l’automne, une journée lumineuse. L’objet était une couverture. Le garçon l’a étendue sur le sable, s’y est enroulé, a plié l’un de ses bras sur ses yeux et s’est immobilisé.
Zilphia a émergé. Il n’a pas bougé. Elle s’est dirigée vers un monticule et s’y assise. Elle a alors cessé de le regarder et a fixé un sumac écarlate de l’autre côté du ruisseau. C’était une journée d’un bleu éclatant, le soleil était chaud, le sable imprégné de la chaleur de l’été. Zilphia était assise agitée de légers tremblements, remuait dans le sable chaud jusqu’à ce qu’il cesse de céder sous son poids. Elle est restée ainsi en tremblant dans le nid que ses cuisses avaient produit, a fixé le sumac. Elle n’a pas bougé lorsque le garçon est venu lui parler. Sa peau était bronzée, ses cheveux d’un jaune franc, ses yeux d’un gris pâle semblable à de la cendre de bois.
Elle n’a pas cessé davantage de trembler lorsqu’elle s’est retrouvée allongée à côté de lui sous la couverture. Elle ne se souvenait pas d’être arrivée là, se rappelait seulement qu’elle l’avait fait de son plein gré. Le garçon lui a demandé ce qu’elle avait. Elle était incapable de parler et la voix du garçon venait de très loin. Le soleil lui frappait le visage ; juste au-dessus d’elle, un autre sumac écarlate brillait contre le bleu intense et doux du ciel.
Le garçon avait cessé de lui demander pourquoi elle tremblait. Il était également rigide à côté d’elle, immobile. Sa voix s’était tue, mais elle semblait toujours être là quelque part, pas encore réduite au silence. Zilphia restait allongée à regarder la branche écarlate. La voix du garçon est revenue.
« Tu as déjà joué aux grands ? » a-t-il dit. « Dis, tu l’as déjà fait ? » Elle entendait sa propre voix, quelque part, essayer de dire quelque chose, mais elle savait qu’elle ne dirait rien et a pensé au garçon qui ne l’entendrait pas et s’en irait.
« Jouons aux grands », a dit le garçon. Si Zilphia est restée immobile, c’est parce qu’elle était incapable d’autre chose, puis elle s’est sentie sortir de son corps, les entourer, elle, lui, la couverture et tout le reste, et a attendu sans bouger ; puis elle a levé les yeux sur la tête à l’envers et le corps réduit de sa mère contre l’écarlate de la branche et le bleu du ciel.
« Lève-toi », a dit Mme Gant.
Zilphia est restée allongée, regardait sa mère. De toute façon, je ne tremble plus maintenant, a-t-elle pensé. Je peux parler maintenant, si je le veux.
« Debout, espèce de salope », a dit Mme Gant.
Le lendemain, Zilphia a quitté l’école. Sa mère lui a confectionné un tablier en toile cirée muni d’une poche pour les bobines et une autre pour les ciseaux, puis a approché une chaise de la fenêtre qui donnait sur la place et les gens affairés et insouciants. Elle est restée assise à côté de cette fenêtre pendant douze ans.