J'avoue que c'est l'un des livres les plus singuliers que j'ai pu lire. Qu'en dire ? Qu'en penser ? Saisissement, étonnement ; et vague inquiétude... Cette réflexion sur le mental et sur le cannibalisme m'étourdit. Ce n'est pas très éloigné de l'obsessionnel, de la fixation... Le narrateur ne sait plus qui dit, qui écrit, qui écrit quoi. Ce narrateur, c'est lui, bien sûr, Jean-Stéphane, et c'est en cela que c'est inquiétant, car, au-delà du texte par lui-même, je note, je remarque son auteur et je me demande dans quelle mesure ici l'écrit et l'auteur ne sont pas entièrement confondus. Mais cette confusion semble lui échapper, ou, plus exactement, il n'en a plus conscience – ou au contraire en a-t-il tellement conscience qu'il ne saisit plus –, et il y est pris... J'ai l'impression d'une absence totale de recul – ce recul que j'avais apprécié et vanté dans le précédent – et de ce fait ce texte prend des allures de constat clinique... La scène de « l'amour cannibale » est hallucinante. J'en ai tressailli, et frémi, et me suis fait cette réflexion, que je ne pense pas m'être faite un jour au sujet d'un quelconque texte, réflexion banale et pauvre du lecteur moyen : que peut-on avoir dans la tête pour imaginer une chose pareille ? et en l'imaginant, comment peut-on l'écrire ?... (Lucidité froide, glacée. Est-il donc si enfoncé que ça ? ou contraire, si élevé ?) Je relève cette citation de Théophile Gautier extraite de Mademoiselle de Maupin, citation qui ne m'est pas étrangère et qu'il me semble bien avoir relevée lorsque je l'avais lu : « Il n'y a vraiment de beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c'est l'expression de quelque besoin et ceux de l'homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. »

2 mars 1997