
Elle était dans le sofa du bas, dans son bureau,
achevait son troisième Bernières à la suite. Je me suis assis à côté d'elle, ai
achevé la lecture des fragments de journal d'Eva Hesse,
puis ai considéré la petite table à ma gauche, seul vestige de ce qui portait
mon nom là, à l'époque où ma bibliothèque y trônait encore. Dessus, quelques
ouvrages en cours. J'ai pris l'un d'eux pour en parcourir trois lignes, puis un
autre que j'ai à peine ouvert, puis Oh les beaux
jours que j'ai décidé de ne pas terminer, puis Romans 1 de Mrozek qui a suivi le même chemin, puis ai survolé le
reste sans parvenir à m'y attacher davantage et, en désespoir de cause, ai tiré
de dessous Casanova l'exemplaire de Sodome et Gomorrhe en Poche qui
repose là depuis des mois et que je réserve à quelques instants privilégiés,
quelques pages savourées. Mais même lui n'a rien pu faire contre cette absence
d'intérêt qui, en définitive, ne pouvait se résumer que par la simple formule :
je n'ai pas envie de lire... « Je pense que je n'ai pas envie de
lire », ai-je dit. « Tu devrais lire quelque chose de léger, d'humoristique. »
« Peut-être... » Je suis remonté poursuivre mon travail. Lorsque je suis
redescendu une heure plus tard, pour je ne sais plus quelle raison, elle
entamait un nouveau livre. J'ai jeté un œil au titre : La Guitare.
Cela m'a intrigué. En imprimant un mouvement inverse à mon cou, j'en ai
découvert l'auteur : Michel del Castillo. J'ai eu une moue vaguement dédaigneuse
et elle m'a dit : « J'en ai un autre, là. » Elle m'a indiqué la gauche de
sa bibliothèque (celle qui remplace la mienne et dont la méthode de classement
me laisse toujours aussi perplexe). J'y ai trouvé le second exemplaire de La Guitare,
édition originale celui-là, 1957. J'ai été un peu surpris que Castillo ait eu
déjà des livres à cette époque-là, puis me suis assis et en ai entamé la
lecture, à côté d'elle qui lisait le même livre, arrivée à la page 23, dans une
édition récente chez Folio... C'est le premier livre de lui que je
tiens entre les mains. Castillo a toujours eu pour moi des odeurs d'académisme
et de ronron, et c'est avec la réticence appropriée que je l'ai entamé. « Je
suis laid », dit la première phrase. J'ai immédiatement pensé à Amélie et
à son propre monstre. J'ai tiqué. Puis me suis laissé entraîner. Éléonore avait
raison : j'avais besoin de quelque chose de léger. Quoi qu'il en soit, nous
avons décidé de faire la course...
14 octobre 2000