Bonsoir monsieur Burnhoven,
Vision est bien le terme. J’y avais pensé après vous avoir répondu et vous le reprenez (du reste, c’est celui que j’utilise aussi dans le texte, je l’avais oublié). Ce serait donc les visions dont serait victime Guillaume au sein d’une autre vision, celle d’un monde qui relève de l’onirisme, du fantastique, mais sans doute pas si éloigné que ça de la réalité. S’il s’agit d’un cauchemar plutôt que d’un rêve, je ne sais pas. Je n’y vois rien d’épouvantable, de violent, encore que la vision finale m’effraie, et puisse être effrayante. Mais la vision comporte aussi l’idée de prémonition, et c’est un peu ce qu’est Léo. J’ai trois lieux de prédilection : l’Angleterre, le Japon, et surtout Venise (que des îles, je m’en suis rendu compte après coup, et si ce n’est pas délibéré, ce n’est sans doute pas un hasard). J’ai découvert Venise il y a quinze ans, ça a été un coup de foudre, et j’y ai séjourné deux fois par an, me voyais y vivre. La dernière fois, c’était il y a deux ans. Après-guerre, il y avait deux cent mille Vénitiens, aujourd’hui ils ne sont plus que cinquante mille. Cela signifie que la ville se vide inexorablement. Je le savais et j’ai pu le constater au fil de mes séjours, l’ai vue se dégrader, se transformer, sous le poids du tourisme, du profit et de la spéculation jusqu’au jour où, il y a deux ans, il m’est apparu que ce à quoi j’assistais, ce n’était ni plus ni moins que l’histoire de Léo et de Dives : il suffit de remplacer les barges par les vaporettos (ou les paquebots qui la traversent et l’assassinent ; le spectacle de ces monstres plus hauts que les églises qu’ils frôlent est terrifiant et hallucinant) et on y est. Elle se vide à raison de mille personnes par an, ce qui signifie, qu’à ce rythme, dans cinquante ans (moins si l’on considère que la grande majorité des Vénitiens ont plus de soixante ans), il n’y aura plus un seul Vénitien à Venise (sauf le maire qui rigole et se remplit les poches, et je ne suis même pas sûr qu’il soit vénitien). Mais si elle se vide, elle se remplit aussi : la ville sera tout aussi pleine, débordante, grouillante : les touristes – malgré eux aux ordres des spéculateurs – seront sa nouvelle population. Et cela, c’est vraiment de l’ordre du cauchemar ; et Léo pourrait donc prétendre au titre de cauchemar. J’ai décidé de ne plus mettre les pieds à Venise…
De votre courrier, je retiens aussi Fellini. Il ne me semble pas avoir eu une vision cinématographique de Léo, mais vous avez raison de dire qu’il se prêterait bien à un film, et il est vrai aussi qu’il pourrait être fellinien, et ça me touche car j’ai toujours eu un attachement particulier pour Fellini, notamment la première période (en noir et blanc, justement) dont Huit et demi, bien sûr, Amarcord, et La dolce vita (ce film monumental qui, à sa manière, est de l’ordre de la vision). Il n’est pas impossible qu’un jour quelqu’un s’y attache…
J’ai consulté la page de Wikipedia au sujet de Castaneda ; j’ai souri en lisant que Fellini avait eu l’intention d’adapter l’un de ses textes (et autant que je m’en souvienne, il n’a jamais adapté un quelconque texte qui ne soit pas un scénario original).
Si vous ne connaissez pas Venise, dépêchez-vous d’y aller avant qu’il ne soit trop tard, avant que la horde ne vous happe et ne vous retienne dans ses griffes.
Cordialement,
Guy Grudzien
(Y a-t-il un ordre de lecture – je parle de Castaneda ? Si non, lequel me conseilleriez-vous pour commencer ?)
Et...