Je suis ravi que les livres te plaisent (tu ne dis rien de Baricco, mais il est vrai qu’il est beaucoup plus inspiré ailleurs). […] En revanche, je n’ai jamais entendu parler de Donna Tartt ; j’espère qu’elle l’est un peu moins (tarte) que Mary Mac Carthy qui commence à m’agacer. Ça s’appelle En observant Venise et on dirait un guide maquillé. En parallèle, c’est-à-dire en alternance, quelques pages de l’un, quelques pages de l’autre (j’avais déjà tenté l’expérience avec deux autres livres, c’est très curieux), je lis Le piéton de Venise d’un certain Marc Alyn. C’est mieux enlevé (il est « poète »), mais au bout du compte, j’ai la même impression d’un guide romancé (deux pages d’impressions pour trente d’histoire, on dirait un manuel scolaire). Je les ai trouvés chez un type rencontré aux puces qui avait dans son garage des milliers de livres à vingt centimes pièce – un à un, il posait les cartons sur une planche sur tréteaux et nous en sortions le contenu pour en faire le tri ; la diversité de ce contenu est sidérante (d’où les sort-il ?) ; nous sommes repartis avec cent soixante-quatorze livres, et ce n’est pas fini ; il reste encore une bonne trentaine de cartons à ouvrir, nous y retournons cette après-midi) –, la moitié d’entre eux gondolés (dont Le Piéton…). Nous y avons passé des heures à faire le tri – mais pour y trouver certaines choses magnifiques, à vendre ou non. Bref, rien d’exaltant, et j’allais dire que je n’avais rien lu d’extraordinaire depuis longtemps lorsque m’est revenu à la mémoire Nicolas Bouvier. J’avais lu Chronique japonaise il y a quelques années, celui-ci est L’usage du monde. Je l’avais trouvé aux puces, allais machinalement le mettre en vente, en avais lu les premières pages et ne l’avais plus lâché. Ils sont deux, ont à peine vingt ans, montent dans une Topolino chargée à bloc (avec guitare et accordéon) et partent pour l’Afghanistan en traversant le Proche et Moyen-Orient ; ça dure trois mois, ils tombent en panne toutes les dix minutes, l’un écrit, l’autre dessine et c’est magnifique ; miss Mac Carthy et monsieur Alyn peuvent aller se rhabiller. Ce n’est évidemment pas le même voyage, mais Nicolas Bouvier réussit ce qu’eux ratent complètement, c’est-à-dire le subtil alliage de la narration, du fait vécu, du regard sur les hommes et du détail de l’Histoire (grâce en partie à l’écriture qui souvent m’a laissé pantois). Il sent, il vit, et c’est palpable, jouissif. (Un beau livre au sujet de Venise – en-dehors du mien si je le termine – : Fondamenta degli Incurabili de Josef Brodsky.) Porte-toi bien, à bientôt, Guy

 

28 octobre 2015