Je viens d’achever Fondamenta. À présent, je vais faire semblant que Brodsky n’est pas russe, m’imaginer qu’il est italien et faire de ce texte le livre de l’année, c’est-à-dire, à l’image de Brunehilde, Rüdiger et Bang, le relire une fois par an. (Je fais erreur : un Italien n’aurait pas écrit ce livre-là et je me demande s’il serait bon de lire un livre au sujet de Venise écrit par un Italien dans la mesure où un étranger aura un regard neuf, candide, et sans doute plus aigu – en même temps, à Venise un Italien est un étranger). En soi, pourtant, il n’a rien d’exceptionnel ; c’est un beau texte sur Venise et cette somme de sensations et de réflexions en vaut sans doute d’autres ; mais c’est Venise et de le lire régulièrement sera une manière d’y aller virtuellement (non, quel mot hideux : mentalement), d’ajouter un voyage mental à mes séjours « matériels » (est-ce mieux que virtuel ?). Ce sera aussi perpétuer le voyage de ce texte, parti d’un Russe pour aboutir chez des amis allemands qui l’ont lu en allemand avant d’arriver chez moi, Français, qui le lis en italien. Pour parfaire, il faudrait que j’en fasse une traduction en français (à partir de l’italien ?) que je transmettrais à un autre ami ou à une connaissance. Quoi qu’il en soit (et je ne suis pas sûr du tout de concrétiser cette idée de livre de l’année, je me connais), je vais aussitôt le relire, cette fois avec le dictionnaire pour le vocabulaire qui m’a échappé ; ce sera le deuxième voyage (pas second, j’espère)… En le refermant, je me suis demandé comment je l’aurais lu si je n’étais jamais allé à Venise. Je le lis, y suis avec lui, ne suis moi-même pas loin de mes dix-sept séjours (toutes saisons confondues, encore que désormais je vais privilégier le printemps et l’automne – trop chaud l’été et crainte de l’avion l’hiver – mais il y a le train… à reconsidérer) et je suis en terrain connu ; je suis comme un complice, un camarade (sauf que lui va au Florian)… En italien, Josef Brodsky s’écrit Iosif Brodskij, j’ignore pourquoi (comme Stravinsky s’écrit Stravinskij ; c’est étrange car « ij » est une marque du néerlandais et le « j » n’existe pas en italien – sauf pour les mos étrangers – ; pourquoi pas le « i » tout simplement)…