J'en suis aux trois-quarts, attends. J'attends que se déclenche le processus qui me fera mettre en clair le brouillon de mes idées, la confusion des réflexions qu'il agite en moi. C'est la deuxième fois que je lis Crash, la première fois, en français, à l'époque où je découvrais cette partie de la littérature nommée « science-fiction » ; j'y avais découvert Ballard ; les deux en même temps, si ma mémoire est bonne. Ce que l'on appelait – était appelé – science-fiction s'était révélé ne pas en être : c'était une ramification, une branche bâtarde qui en s'en servant, en s'en nourrissant, avait le dessein de la transmuer en une vision inédite du monde et, par là, de l'écriture. Il y avait des États-uniens, des Anglais. Ballard en était ; Ballard qui, au départ, en allant de l'un à l'autre, d'une certaine convention du genre à un texte proche de la littérature générale, a tout à coup trouvé une voie ; sa voie. Cette voie a été la voix d'un genre. Et il y a eu la trilogie urbaine, il y a eu l'assise définitive du « paysage intérieur ». Il y a eu Atrocity Exhibition (La Foire aux atrocités ou Le Salon des horreurs, selon la traduction proposée) et Crash... Crash a été une révélation, Crash m'avait assommé. J'en étais réellement sorti groggy et confus, de cette confusion qui met du brouillard dans l'esprit, interdit l'analyse, la réflexion, la formulation ; cette confusion qui installe aussi l'évidence, impose l'illumination : pendant longtemps, et jusqu'à aujourd'hui peut-être (j'attends l'achèvement de cette lecture), j'ai eu la certitude et la conviction qu'il s'agissait non seulement d'un texte révélateur et unique, mais en outre du seul texte digne (représentatif) de ce siècle. Davantage qu'une vision du monde inédite, il s'agissait de l'anticipation d'une vision du monde, c'est-à-dire la création totale d'un comportement humain, et, plus important, d'un comportement en prise totale avec le monde humain tel qu'il était donné, tel qu'il se déroulait, et tel qu'il se déroule encore... Ce n'est pas clair. Je tente justement de débrouiller, de mettre des mots à des impressions et à des sensations. Je n'y étais pas parvenu à l'époque, je n'y parviens pas davantage aujourd'hui que je relis ce texte, à cette différence près que cette fois il s'agit de l'original. À suivre...