Guy à Jacques

 

 

%et mamelles aguerries. Un bref feulement venait supplanter ce son du choc du front sur la pierre qui chaque fois, chez d’autres pèlerins, m’épouvantait. Le reste du séjour consistait en achats de bondieuseries la journée, en vêpres le soir, et en caresses la nuit à l’heure où l’écho du chant des femmes inassouvies et des hommes en apnée céleste (dont la ferveur m’émouvait parfois jusqu’aux larmes) retentissait.

Ce soir-là, les bancs côté hommes étaient tous occupés. Je rejoignis ma mère qui élargit pour moi l’espace entre elle et deux dames polonaises au foulard fleuri, et je m’installai à son côté. Immédiatement saisi d’une vive émotion causée par ma soudaine promiscuité avec les chants, je sentis sous moi la présence du banc, soudain mis en vie par les vibrations des corps chantants. Ce banc transmettait à mes fesses et à mon anus une douce excitation, presque incongrue comme s’il s’agissait d’une main caressante, et pourquoi pas celle de ma voisine, comme si je m’étais assis dessus et qu’elle cherchait, par ce passage, trou noir d’un nouveau genre, un autre accès à la divinité.

Cette pensée me troublait tant que j’ai été pris de curiosité  pour celle qui transmettait au banc une vibration si intense. Ce ne pouvait être ma mère, elle simulait ferveur et chant, aussi j’ai lentement tourné la tête vers la gauche pour observer le visage ceint de fleurs tissées d’une femme sans aucun doute plus jeune que ma mère, mais toutefois mûre, et empourprée d’une ferveur inquiète, presque inquiétante. C’était alors le Te Deum, et j’ai passé le temps des vêpres à rester attentif au moindre geste de ma voisine. Je m’étais peu à peu dégagé du contact avec ma mère pour me serrer contre elle, sensible non seulement à l’excitation communiquée, à chaque chant, par la fibre cirée dessous mes fesses, mais aussi par le contact étroit partagé avec l’épaule, une partie du bras qu’elle tenait croisé avec l’autre contre sa poitrine, et la hanche droite de cette femme qui faisait davantage que m’intriguer pour les sensations qu’elle me transmettait. Chaque fin de chant calmait l’agitation du banc, l’immobilisait et j’étais alors à l’écoute de sa respiration qu’elle avait calme et quiète dans les temps de repos et des prières muettes, mais qu’elle emballait pour rythmer, scander et soutenir les chants. L’office s’est achevé, et une fois l’offrande terminée, elle s’est tournée vers moi ; et, avec un léger %sourire, elle m’a demandé pourquoi je n’avais pas chanté avec elles, pourquoi j’avais préféré concentrer toutes mes pensées sur les vibrations du bois sous mon séant. Tourneboulé et interdit, j’ai rougi et de ma bouche est sorti le son sec d’un claquement de gorge semblable à un fouet fluide, et, dans la seconde suivante, une voix qui ne semblait pas m’appartenir : « Mais j’ai chanté, je n’ai même fait que ça, chanter ! » Comme pour la convaincre, j’ai fait « la la la » en bredouillant quelques vagues mots de latin. Elle a approché son visage du mien et comme je refermais la bouche : « Je veux bien vous croire, mon petit, mais, si vous avez vraiment chanté, par quel trou est-ce passé ? » J’ai rougi de plus belle. « En tout cas, moi, je ne l’ai pas entendu », a dit sa voisine, les lèvres en cul de poule. « Eh bien, moi, je peux vous affirmer qu’il a chanté ! » s’est exclamée maman. « N’est-ce pas, mon Edek, que tu as chanté ? » Dans un même ensemble, les deux femmes ont tourné la tête dans sa direction. Maman s’est levée, approchée d’elles, et toutes trois ont commencé à se chamailler. Ça a duré un petit moment, jusqu’à ce qu’elle leur propose d’en discuter autour d’un thé. « Moi, je ne peux pas », a dit la première. « Moi, je veux bien », a fait la seconde en se levant..

Retourné et étourdi, je me suis levé à mon tour et nous sommes rentrés avec la dame (que maman tutoyait déjà) à l’auberge où nous logions, une sorte d’isba d’imitation russe ou, plus vraisemblablement, vu le caractère d’authenticité qui s’en dégageait, prélevée telle quelle d’une steppe du Caucase. Nous nous sommes installés à une table près de la porte d’entrée, un serveur s’est approché. « Trois thés », a dit maman. Puis elle s’est mise à parler de moi à la dame, à lui faire mon éloge, alors que je parvenais avec peine à lui cacher mon trouble, à faire disparaître de mes joues la rougeur qui l’envahissait encore – tout en écoutant maman, la dame ne cessait de me dévisager comme si j’étais à moitié idiot. Le serveur est revenu, a posé les trois thés sur la table. C’est alors qu’on frappa à la porte et que l’autre dame est entrée. ;