Guy à Francko
%niveau et d’un coup de hanche ferme et décidé a fait chavirer notre embarcation. D’une main ferme elle m’avait saisi et amené à elle, tandis que de l’autre elle empoignait Vladimir et le repoussait. Lui, aussi silencieux qu’un Maure pendant l’irrécusable plaidoirie de Ralda, cherchait désormais à reprendre la main. Il s’était d’abord reculé d’un pas puis, comme dégrisé en un clin d’œil, il a ôté son chapeau pour lui faire une révérence digne d’un mousquetaire : « Ma douce, il est à toi…» Je me suis retrouvé de nouveau les pieds sur le plancher et sans qu’elle m’ait lâché le bras, nous avons pivoté vers la sortie. Dehors, le macadam diffusait la chaleur qu’il avait emmagasinée pendant la journée. Ça puait le goudron, je me suis senti mal et me suis laissé tomber assis sur le muret qui longeait la route. Tout est parti d’un coup, sur mes pieds, sur les siens, et sur le dos d’un petit chat qui dormait là. Il était minuscule et s’était juste dressé sur ses pattes, le dos en arc de cercle, tétanisé. « Oh ben mon beau monsieur, c’est du propre ! Heureusement que j’habite à deux pas ! » Ralda s’était déjà remise en route, tapant des pieds en marchant pour éjecter mon vomi de ses souliers. Je m’étais relevé pour la rejoindre. « Et le matou, il va se rincer à l’hôtel ?» J’ai bêtement répondu « Non…», et l’ai glissé dans la poche de ma veste. Ralda habitait une maison étroite, tout en hauteur. Nous sommes montés au premier. Elle, au second, m’ayant fait signe de l’attendre. Après un moment, elle est redescendue avec des serviettes et des vêtements. « Voilà pour toi, ça devrait t’aller. La salle de bains est en face…» dit-elle avant de remonter l’escalier. J’ai commencé par débarbouiller le chaton qui s’est bravement laissé doucher et shampouiner ! Puis un coup de sèche-cheveux et je me suis occupé de moi. J’en étais à me passer un coup de peigne quand le chat s’est mis à miauler avec insistance. Face à la fenêtre, il tournait la tête alternativement vers la vitre puis vers moi, m’invitant visiblement à venir partager le spectacle de la rue. J’ai collé mon visage au carreau. Sur le trottoir d’en face se promenait ma mère, ma mère manifestement radieuse qui flânait au bras de Lukas revêtu en cureton, avec barrette violette assortie…
%Je n’avais plus jamais revu Lucas, je n’avais plus jamais repassé la porte dérobée, je n’avais plus jamais remis les pieds dans cette église. Le lendemain, j’avais dit à maman : « je ne crois plus en dieu », et j’avais jeté ma robe d’enfant de chœur à ses pieds. Une vague d’épouvante avait glacé son visage avant qu’elle ne baisse les yeux sur la boule de tissu qui lui recouvrait entièrement les chaussures et s’était enroulée autour de ses chevilles de telle manière que l’on pouvait croire qu’il s’agissait d’une excroissance de son corps. C’est ce qu’elle avait dû penser car, lorsque j’étais sorti de la cuisine, elle n’avait pas remué d’un cil, était restée comme pétrifiée près de la table avec son épluche-légumes à la main. J’avais regagné ma chambre, n’en étais pas sorti pendant sept jours ; c’est la faim qui, le huitième, m’avait poussé à ouvrir la porte et à me « réconcilier » avec le monde. Durant ces sept jours, pas une seule fois, maman n’était montée, et je n’avais pas entendu le moindre bruit dans la maison. Où avait-elle été ? Je n’y avais pas pensé – ni à elle, ni à quoi que ce soit d’autre au monde qui n’ait pas été Lucas – et ce n’est que lorsque j’avais descendu l’escalier pour aller dans la cuisine, qu’elle m’était revenue à l’esprit : où avait-elle été ? Il avait bien fallu qu’elle monte pour aller dans sa chambre. Je n’étais pas resté éveillé durant sept jours et sept nuits, mon organisme s’était conformé à ses habitudes biologiques et j’avais dormi la nuit, mais je ne pouvais imaginer que c’était précisément durant mon sommeil qu’elle était montée pour aller se coucher, comme si elle avait su, comme si elle avait attendu que je sois assoupi. Où avait-elle été ? Durant une fraction de seconde, je l’avais revue plantée au milieu de la cuisine et avais imaginé la retrouver exactement à la même place. Où avait-elle été ?... C’est en posant le pied sur le paillasson du bas de l’escalier que je m’étais rendu compte à quel point mon corps était faible ; mes jambes flageolaient, mes yeux clignotaient, mon cerveau tremblait et, au moment de passer la porte de la cuisine, j’avais dû m’accrocher au chambranle pour ne pas m’effondrer. J’y étais resté un moment, les yeux fermés, avec la certitude qu’ils allaient s’ouvrir sur maman.;