Francko à Guy
%j’avais le visage plongé dans le creux de l’épaule de mon père pas pèpère pour deux sous. Elle a eu comme un hoquet en nous voyant enlacés sur la table en sanglotant. C’est ce hoquet – plutôt un son éructé comme sous l’effet d’un objet qui lui serait remonté du ventre – qui m'a fait me redresser brusquement. J’ai tourné la tête péniblement de son côté. Elle se tenait dans le cadre de la porte, la main encore attachée à la poignée, immobile, comme statufiée, et le corps coupé par le milieu. Fascinée par mon regard, lui-même accaparé par son aspect tranché qui en faisait une de mes sœurs, une victime du vicaire, en réponse à mon effroi son torse a fait deux tours complets sur lui même pour se visser à sa taille et, ainsi remontée, elle a bondi vers Vladimir, et s’emparant de la jambe de son pantalon, elle s’est lancée dans une diatribe au ton d’un calme effrayant, un réquisitoire sans appel dirigé sans erreur possible en direction de l’homme qui prenait appui sur moi, auquel je m’accrochais encore pour ne pas dévisser : « J’aurais dû m’en douter quand vous m’avez croisée tout à l’heure sans même prendre la peine de me saluer, seulement un coup de cinq heures m’a abordé, je n’ai pu vous suivre. Dis-moi, Vlad, comment l’as-tu racolé, celui-là. Quelles sont tes intentions, que comptes-tu en faire ? Et d’abord quel rôle joues-tu, aujourd’hui, qui es-tu ? Repriseur de louches ?… laisse-moi te regarder… mais bien sûr tu es ivre, Vladimir ! Et tu as saoulé ce gamin avec ton habituel, épouvantable tord-boyaux ! Oh, et cette étincelle ridicule dans ton regard torve, je la vois et la reconnais, elle t’accompagne quand tu te prétends serviteur du Bon Dieu. Imposteur ! Descends de là, reviens sur terre, flibustier, et toi moussaillon, approche ! Colle-toi à moi, il n’est pas question que je laisse ce bonimenteur de foire t’embobiner. » Et ainsi débuta ma deuxième vie. Si elle ne fut pas non plus des plus reluisantes, je m’y suis au moins bien amusé et ne regretterai jamais les quelques fabuleuses années qui ont succédé à cet affligeant épisode. Face à Ralda, nous n’en menions pas large. Comment nous séparer, mon tuteur et moi, sans nous vautrer de tout notre long ? En réponse à l’inertie grave qui nous maintenait soudés, Ralda, en deux pas s’est trouvée à notre %niveau et d’un coup de hanche ferme et décidé a fait chavirer notre embarcation. D’une main ferme elle m’avait saisi et amené à elle, tandis que de l’autre elle empoignait Vladimir et le repoussait. Lui, aussi silencieux qu’un Maure pendant l’irrécusable plaidoirie de Ralda, cherchait désormais à reprendre la main. Il s’était d’abord reculé d’un pas puis, comme dégrisé en un clin d’œil, il a ôté son chapeau pour lui faire une révérence digne d’un mousquetaire : « Ma douce, il est à toi…» Je me suis retrouvé de nouveau les pieds sur le plancher et sans qu’elle m’ait lâché le bras, nous avons pivoté vers la sortie. Dehors, le macadam diffusait la chaleur qu’il avait emmagasinée pendant la journée. Ça puait le goudron, je me suis senti mal et me suis laissé tomber assis sur le muret qui longeait la route. Tout est parti d’un coup, sur mes pieds, sur les siens, et sur le dos d’un petit chat qui dormait là. Il était minuscule et s’était juste dressé sur ses pattes, le dos en arc de cercle, tétanisé. « Oh ben mon beau monsieur, c’est du propre ! Heureusement que j’habite à deux pas ! » Ralda s’était déjà remise en route, tapant des pieds en marchant pour éjecter mon vomi de ses souliers. Je m’étais relevé pour la rejoindre. « Et le matou, il va se rincer à l’hôtel ?» J’ai bêtement répondu « Non…», et l’ai glissé dans la poche de ma veste. Ralda habitait une maison étroite, tout en hauteur. Nous sommes montés au premier. Elle, au second, m’ayant fait signe de l’attendre. Après un moment, elle est redescendue avec des serviettes et des vêtements. « Voilà pour toi, ça devrait t’aller. La salle de bains est en face…» dit-elle avant de remonter l’escalier. J’ai commencé par débarbouiller le chaton qui s’est bravement laissé doucher et shampouiner ! Puis un coup de sèche-cheveux et je me suis occupé de moi. J’en étais à me passer un coup de peigne quand le chat s’est mis à miauler avec insistance. Face à la fenêtre, il tournait la tête alternativement vers la vitre puis vers moi, m’invitant visiblement à venir partager le spectacle de la rue. J’ai collé mon visage au carreau. Sur le trottoir d’en face se promenait ma mère, ma mère manifestement radieuse qui flânait au bras de Lukas revêtu en cureton, avec barrette violette assortie…. ;