Jacques à Francko
%ce moment-là, il a fallu que je choisisse ; alors, j’ai choisi de porter sa robe plutôt que de continuer à dégrafer celle de ta mère. » Il a sorti une deuxième bouteille, a rempli de nouveau nos verres, et tandis que je vidais le mien, derrière mes paupières closes je voyais, horreur suprême, mes pauvres sœurettes suspendues à des crochets de boucher. Il a vidé le sien avant de continuer ainsi : « Mais il n’y avait pas que cela, car des deux robes j’aurais très bien pu n’en faire qu’une ; je pense qu’Il aurait fermé les yeux sur ce qu’Il n’aurait pas vu comme une infidélité ou un parjure, mais plutôt comme un juste élan de mon cœur près d’être arraché. » Dans le fond de mon verre Alda, Alfreda, Armella, Anna, Antonella se débattaient, et des hommes en blouse ensanglantée leur tiraient les entrailles qu’ils laissaient tomber dans des baquets. Oh, mes pauvres sœurs ! « Non. Il y a les autres, et il faut que je t’avoue l'un de mes traits de caractère, Edek. Je ne suis pas partageur, ou si j’avais dû l’être, ça aurait été avec Lui – oui, avec Lui, j’aurais partagé ta mère – ; je suis ouvert, indulgent, compréhensif, mais pas partageur et peut-être même égoïste, et alors le jour où j’ai découvert la duplicité de ta mère… » « … vous avez coupé mes sœurs en deux, c’est ça ? » Son visage s’est figé. J’ai avalé mon verre, il l’a aussitôt rempli et c’est alors que je l’engloutissais que je me suis mis à pleurer aussi. « Et c’était une raison pour en faire des moitiés ? Où sont-elles, qu’est-ce que vous en avez fait ? Et c’est quoi la dupliquicité de ma mère ? » « les dégâts collatéraux à ses hypocrisies, toutes ses fourberies… ses pèlerinages ici sont chaque trois ans l’occasion de nouvelles frasques, de nouvelles rencontres, toujours avec un membre du clergé, et c’est ainsi que par six fois son ventre a gonflé. » Il a hoché la tête, l’air dépité, puis a bu, et moi aussi j’ai bu ; il a approché son visage du mien, j’ai pleuré de plus belle, et nous sommes restés ainsi, nez contre nez, jusqu’à l’approche de la fin des temps… Plus tard, la dénommée Ralda est venue nous rejoindre. Je ne l’avais pas entendue monter et lorsqu’elle est entrée, %j’avais le visage plongé dans le creux de l’épaule de mon père pas pèpère pour deux sous. Elle a eu un hoquet en nous voyant enlacés sur la table en sanglotant. C’est ce hoquet – plutôt un son éructé comme sous l’effet d’un objet qui lui serait remonté du ventre – qui a fait que j’ai tourné la tête de son côté. Elle se tenait dans le cadre de la porte, la main encore attachée à la poignée, immobile, comme statufiée, et le corps coupé par le milieu. Fascinée par mon regard, lui-même accaparé par son aspect tranché qui en faisait une de mes sœurs, une victime du vicaire, en réponse à mon effroi son torse a fait deux tours complets sur lui même pour se visser à sa taille et, ainsi remontée, elle s’est lancée dans une diatribe au ton d’un calme effrayant, un réquisitoire sans appel dirigé sans erreur possible en direction de l’homme qui prenait appui sur moi, auquel je m’accrochais pour ne pas dévisser : « J’aurais dû m’en douter quand vous m’avez croisée tout à l’heure sans même prendre la peine de me saluer, seulement un coup de cinq heures m’a abordé, je n’ai pu vous suivre. Dis-moi, Vlad, comment l’as-tu racolé, celui-là. Quelles sont tes intentions, que comptes-tu en faire ? Et d’abord quel rôle joues-tu, aujourd’hui, qui es-tu ? Repriseur de louches ?… laisse-moi te regarder… mais bien sûr tu es ivre, Vladimir ! Et tu as saoulé ce gamin avec ton habituel, épouvantable tord-boyaux ! Oh, et cette étincelle ridicule dans ton regard, je la vois et la reconnais, elle t’accompagne quand tu te prétends serviteur du Bon Dieu. Imposteur ! Descends de là, reviens sur terre, flibustier, et toi moussaillon, approche ! Colle-toi à moi, il n’est pas question que je laisse ce bonimenteur de foire t’embobiner. » Nous n’en menions pas large. Comment nous séparer, mon tuteur et moi, sans nous vautrer de tout notre long ? En réponse à l’inertie grave qui nous maintenait soudés, Ralda, en deux pas s’est trouvée à notre niveau et d’un coup de hanche ferme et décidé a fait chavirer notre embarcation. D’une main ferme elle m’a saisi et amené à elle, tandis que de l’autre elle empoignait Vladimir et le repoussait. Lui, aussi silencieux qu’un Maure pendant la plaidoirie de Ralda, cherchait désormais à prendre la main : « Ma douce, il est pour toi. ;