SEL II

intégral

 

 

La fille aussi allait bientôt terminer son service, se changer, passer une robe peut-être, et l’attendre. Elle savait que l’homme reviendrait et je voyais qu’elle fixait déjà le tabouret où hier, à la même heure, il s’était installé. Penserait-il qu’elle serait encore disposée à répéter la scène de la veille, à cette même place ? Dès qu’il était allé vers elle, elle ne lui avait présenté aucune résistance. Sa volonté semblait imparable, il commandait. C’est en tous cas certainement ce que moi j’ai craint, persuadé soudain de reconnaître cet homme, de l’avoir un jour rencontré. J’ai été alors littéralement pris de panique, mes jambes se sont dérobées. Je me suis vu m’agripper à la barre dorée du comptoir et me hisser pour m’asseoir sur le siège. Je me suis calmé, j’ai même tâché de prendre une apparence désinvolte, me redressant d’un coup, de peur qu’on ne croie que j’avais bu et qu’on puisse me demander de sortir. Je me suis revu alors seul, comme hier, devant cette tasse et j’ai su que je ne le supporterais pas. « À quelle heure finissez-vous ? » Elle était à l’autre bout du comptoir à servir un autre client et je n’étais pas sûr qu’elle m’ait entendu. Je soupçonnais néanmoins un coup d’œil furtif et réprobateur qui entendait bien me signifier de me tenir à distance. En effet, elle m’a répété une œillade sans appel, me fixant droit dans les yeux lorsqu’elle est revenue à mon niveau pour attraper une bouteille sur l’une des étagères, puis c’était comme si je n’avais plus été là. Mais je n’y pensais déjà plus, j’étais déjà absorbé par l’idée qu’il fallait agir et que je devais lui parler au plus vite. J’ai saisi sa main qu’elle avait posée en appui et m’apprêtais à lui répéter ma question quand en guise de réponse, il s’est passé tout autre chose que ce que j’avais échafaudé, car elle s’est retournée d’un bond. De surprise, par un réflexe qu’à rebours je m’étonne d’avoir eu tant j’avais avalé de bière, tant mes réflexes auraient dû être émoussés, j’ai voulu échapper à l’extension brutale de son bras, mais je n’y suis pas parvenu. Son bras a propulsé, directement, à pleine vitesse, sa main bien ouverte vers ma joue, et c’est ainsi qu’elle m’a gratifié d’une gifle bien sonore. J’ai cru entendre un marteau frapper une enclume. J’ignore comment j’ai fait dans cet instant pour garder mes esprits. J’aurais dû fuir, laisser cette folle, la chasser de mon esprit, abandonner l’idée ;