Guy à Jacques
&Deux hommes en costume se sont précipités vers elle et l’ont fait reculer jusqu’au muret, la prenant chacun par un bras au niveau des aisselles, immédiatement suivis de la femme qui s’était arrêtée si près que les visages étaient sur le point de se toucher. Elles étaient littéralement nez à nez et respiraient maintenant toutes deux de plus en plus bruyamment, comme si elles tentaient chacune de s’accaparer l’air nourricier de l’autre afin de l’en soustraire, comme si elles étaient à la fois forge et soufflet. Toutes deux avaient le regard rivé à celui du vis-à-vis, un arc électrique semblait devoir apparaître et les unir, elles bombaient leur poitrine dans l’attitude d’un défi poussé à l’extrême, un défi annoncé comme l’acte compulsif de deux féminités emblématiques qui venaient de convenir d’un combat à l’issue rédhibitoire. Leurs seins, à la courbure improbable que nul citoyen serein n’aurait pu croire durable tant quelque part se nichait en eux l’amorce délétère de leur chute symboliquement programmée, se frôlaient au rythme des inspirations profondes et je m’attendais à percevoir le crissement de leurs chemises tendues à la limite de la rupture et en action comme des pompes en furie, tant le silence s’était en un instant imposé à la scène qui se déroulait devant nous. Personne autour de nous n’avait bougé, au contraire, une sorte de force centrifuge irrépressible semblait avoir provoqué une légère sensation de recul de la part du groupe qui, petit à petit et sans même s’en rendre compte, approchait de la péniche, à cet endroit d’où partait l’échelle près de laquelle, dans je ne sais plus quelle vie, un chauffeur de taxi m’avait déposé. Moi-même, je me sentais entravé du moindre pas vers elles. Le temps s’était arrêté, coagulé, pétrifié, minéralisé. Pourtant il se passait bien quelque chose. Une chaleur sourde et quasi tangible se dégageait des deux femmes en même temps qu’un halo légèrement vibrant, ce qui donnait l’impression qu’elles allaient se mettre à décoller toutes deux du sol, comme soudées l’une à l’autre, ne formant plus qu’une seule cellule. Ces deux femelles – je ne les percevais plus qu’ainsi réduites – formaient un véritable moteur à fusion, une pompe à neutrons, une centrale atomique & dont le noyau allait atteindre sa masse critique et tous nous emporter dans une déflagration fulgurante imminente aux confins d’un autre monde. Je m’aperçus alors à quel point elles étaient belles, que dis-je, belles, rayonnantes et irradiantes, somptueuses et mirifiques, irrésistiblement et irrémédiablement. Je me mis à les désirer violemment, toutes les deux. Mais non pas l’une, puis l’autre, mais bien toutes les deux. Ce que je désirais, c’était cet ensemble effervescent. Je désirais rejoindre leur magma, mêler ma lave à la lave de chacune d’elles et à celle de leur amalgame incandescent. Je les désirais de la même énergie que celle qu’elles déployaient là pour se détruire, s’annihiler et disparaître comme un éther mêlé à l’air du port, pour réintégrer la poussière première dont elles étaient issues. Je devais les sauver. Mais me sauver aussi, car mon salut dépendait du leur, et peut-être aussi celui de tous les êtres présents qui n’auraient attendu que notre miction pour pouvoir retrouver leur vie d’antan, et dès lors avais-je d’autre recours que de me mêler à elles, que de me lancer à corps perdu dans le cratère qu’elles formaient à présent qu’elles avaient joint et réuni tous leurs orifices pour ne plus en faire qu’un, cette étonnante béance qui s’étalait devant mes yeux, qu’elles avaient édifiée et creusée pour moi seul, pour que je m’y jette et m’y répande, pour que se joignent ma fièvre et mon exultation à la leur, pour qu’à l’irradiation qui émanait de leur corps brûlant j’ajoute celle apocalyptique de mon propre corps érigé comme un totem colossal fiché au centre d’une plaine de pluie et de soufre, pour que l’écarlate dont j’étais devenu comme l’allégorie furibonde fusionne avec le vermillon suintant de ses lèvres agitées et palpitantes, pour que mon fluide jaillissant fasse crépiter les braises de cette cave volcanique, cave de chair, de sang et de glaise unis, de poudre, de foudre et de spasmes mêlés, pour qu’à leurs hurlements de joie je fasse un contrepoint de mes cris, pour qu’au centre de leur ventre je dépose l’amas de mes larmes et de ma propre joie, pour qu’en un fleuve de bronze et d’airain j’y gonfle et y explose ? Non. ;