Jacques à Francko et à Guy

(Fin du SEL II)

 

 

&dont le noyau allait atteindre sa masse critique et tous nous emporter dans une déflagration fulgurante imminente aux confins d’un autre monde. Je m’aperçus alors à quel point elles étaient belles, que dis-je, belles, rayonnantes et irradiantes, somptueuses et mirifiques, irrésistiblement et irrémédiablement belles. Je me mis à les désirer violemment, toutes les deux. Mais non pas l’une, puis l’autre, mais bien toutes les deux confondues. Ce que je désirais, c’était cet ensemble effervescent qu’elles formaient. Je désirais rejoindre leur magma, mêler ma lave à la lave de chacune d’elles et à celle de leur amalgame incandescent. Je les désirais de la même énergie que celle qu’elles déployaient là pour se détruire, s’annihiler et disparaître comme un éther mêlé à l’air du port, pour réintégrer la poussière première dont elles étaient issues. Je devais les sauver, mais de quoi, et pourquoi ? Disparaître en elles n’était-il pas le plus beau des naufrages ? J’ai senti, haï, la présence en moi du Samaritain qui veut toujours sauver les autres pour mieux se sauver, lui. Mais me sauver aussi, car mon salut dépendait du leur, et peut-être aussi celui de tous les êtres  présents qui n’auraient attendu que notre miction, comme une médecine qu’ils pourraient prélever pour s’en couvrir le corps, ainsi pouvoir remonter le cours du temps, retrouver leur vie d’antan, et dès lors avais-je d’autre recours que de me sacrifier au désir qui me consumait, celui de me mêler à elles, d’autre recours que de me lancer à corps perdu dans le cratère qu’elles formaient à présent qu’elles avaient joint et réuni tous leurs orifices pour ne plus en faire qu’un, cette étonnante béance qui mêlait subtilement les odeurs dans lesquelles je retrouvais celle de Naomi, béance qui s’étalait devant mes yeux et m’attirait, qu’elles avaient édifiée et creusée pour moi seul, pour que je m’y jette et m’y répande, pour que se joignent ma fièvre et mon exultation à la leur, pour qu’à l’irradiation qui émanait de leur corps brûlant j’ajoute celle apocalyptique de mon propre corps érigé comme un totem colossal fiché au centre d’une plaine de pluie et de soufre, pour que l’écarlate dont j’étais devenu comme l’allégorie furibonde fusionne avec le vermillon suintant de ses lèvres agitées et palpitantes, pour que mon fluide jaillissant fasse crépiter les braises de cette cave volcanique, cave de chair, de sang et de glaise unis, de poudre, de foudre et de spasmes mêlés, pour qu’à leurs hurlements de joie je fasse un contrepoint de mes cris, pour qu’au centre de leur ventre je dépose l’amas de mes larmes et de ma  propre joie, pour qu’en un fleuve de bronze et d’airain j’y gonfle et y explose ? J’ai crié : Oui, en quittant la jetée, dans un élan furieux, un plongeon prétentieux, ivre de goûter au chaos d’une fin de monde, d’être la semence d’un autre nouveau monde, pendant qu’une voix dans mon dos criait : Non ! C’était Naomi – Naomi, mon poussin, mais n’es-tu pas cette bouche qui m’aspire, comment peux-tu… mais il était trop tard, mon corps entier était plongé dans ce qui était désormais devenu le sexe de la Terre. « Accroche-toi à mes ailes ! » cria-t-elle en me jetant sa petite culotte papillon. J’ai tendu un bras vers le ciel pendant que les lèvres du cratère me massaient avec délice, pendant qu’un chant de sirène usait tous ses talents pour me retenir et qu’un flot de miel jaillissait des profondeurs, me recouvrait, m’inondait, troublait la volonté que le cri de Naomi avait réveillée en moi. Dans la main que je tendais encore vers le ciel j’ai senti la caresse de l’aile d’un papillon et un filin, que j’ai saisi, alors les profondeurs de la Terre ont hurlé leur détresse quand le filin m’a hissé, quand le sexe que j’étais devenu s’est retiré du gouffre suintant aux lèvres qui se tendaient encore pour me happer, me retenir, en vain. Étourdi, dégoulinant des odeurs et des liqueurs de l’amour, sous moi palpitait encore le magnifique cratère qui m’avait voulu, pour l’ensemencer. Péniblement j’ai relevé la tête alors qu’une voix familière m’atteignait : « Alors, François, toujours en situation périlleuse ? Tenez bon, je vous envoie un flacon de Bell. » C’était la voix de Hans Pfaall. Au-dessus de moi flottait, dans un air troublé par les émanations délicieuses d’une copulation inédite, le fier mongol du vieux Hans. ;