Francko intervient et envoie les 365 derniers mots à Jacques
%ou plutôt une curieuse créature, mi animale, mi humaine ; c’était intrigant cette petite image de couleur verte qui glissait comme un serpent, elle me rappelait quelque chose, j’aurais voulu savoir si j’avais bien vu, je lui aurais bien posé la question, mais je n’ai pas osé, et puis j’avais beau vouloir m’en défaire la tasse m’était revenue à l’esprit avec une présence accrue, elle devenait une obsession. Dans quelques minutes, quelques heures, j’allais devoir rentrer chez moi. La fille aussi allait bientôt terminer son service, se changer, passer une robe peut-être et l’attendre. Elle savait que l’homme reviendrait et je voyais qu’elle fixait déjà le tabouret où hier, à la même heure, il s’était installé. Penserait-il qu’elle serait disposée à répéter la scène de la veille, à cette même place ? Dès qu’il était allé vers elle, elle ne lui avait présenté aucune résistance. Sa volonté semblait imparable, il commandait. C’est en tous cas certainement ce que moi j’ai craint, persuadé soudain de reconnaître cet homme, de l’avoir un jour rencontré. J’ai été alors littéralement pris de panique, mes jambes se dérobaient. Je me suis vu m’agripper à la barre dorée du comptoir et me hisser pour m’asseoir sur le siège. Je me calmai, je tâchais même de prendre une apparence désinvolte, me redressant d’un coup, de peur qu’on ne crût que j’avais bu et qu’on pût me demander de sortir. Je me suis revu alors seul, comme hier, devant cette tasse et j’ai su que je ne le supporterais pas. « À quelle heure finissez-vous ? » Elle était à l’autre bout du comptoir à servir un autre client et je n’étais pas sûr qu’elle m’ait entendu. Je soupçonnais néanmoins un coup d’œil furtif et réprobateur qui entendait bien me signifier de me tenir à distance. En effet, elle m’a répété une œillade sans appel, me fixant droit dans le yeux lorsqu’elle est revenue à mon niveau pour attraper une bouteille sur l’une des étagères, puis c’était comme si je n’avais plus été là. Mais je n’y pensais déjà plus, j’étais déjà absorbé par l’idée qu’il fallait agir et que je devais lui parler au plus vite. J’ai saisi sa main qu’elle %avait posée en appui et m’apprêtais à lui répéter ma question quand en guise de réponse, il se passa tout autre chose que ce que j’avais échafaudé, car elle se retourna d’un bond. De l’extension brutale de son bras directement vers ma joue, elle me gratifia d’une gifle bien sonore. J’ignore comment j’ai fait dans cet instant pour garder mes esprits mais j’avais parfaitement eu le temps de voir que cette bouteille placée un peu trop haut pour sa petite taille avait requis un geste qui avait tendu son sweet et révélé un autre tatouage sur le haut de sa fesse droite. Il était tout aussi minuscule, et tout aussi vert que le précédent auquel il était comme une réponse selon une diagonale qui lui aurait traversé le bassin. Ce tatouage représentait la même figure, mi humaine, mi serpent. Elle s’est rapprochée de moi et c’est au moment où elle ouvrait la bouche pour me dire quelque chose que l’homme est arrivé. Elle s’est immobilisée une fraction de seconde en l’apercevant et m’a aussitôt abandonné. J’avais deviné qu’il était revenu. J’ai eu le temps de le reconnaître cette fois-ci. Car ce que cette femme portait tatouée sur elle était la représentation de ce que les Dogon appelaient le « Nommo ». Et j’avais entendu cet homme conter le mythe par lequel les jumeaux conçus par le dieu d’eau Amma après le premier désordre de l’univers, quand une termitière s’était dressée devant son sexe bandé, barrant le passage, l’empêchant de pénétrer la fourmilière de sa femme qu’il venait d’étaler du lancer d’une boulette de glaise. Mais Dieu tout puissant abat la termitière et s’unit à la terre excisée », avait-il dit alors. Était-il venu là ce soir pour lui annoncer que de cette union perturbée ne sortirait pas un jumeau comme prévu, mais un être unique, le thos taures. Il s’est assis devant elle, et comme elle lui servait à boire, l’homme lui a touché les cheveux et a commencé à raconter comment les créatures suivantes, génies jumeaux créatures d’eau, en forme de personne et de serpent, représentaient le couple parfait. Et par ses huit membres, son chiffre était huit, symbole de la parole. ;