Francko à Guy
&Quelques minutes se sont passées ainsi dans une parfaite inertie commune lorsqu’un homme est arrivé, puis un deuxième, puis une femme et d’autres personnes qui nous ont entourés. C’est au moment où une main s’est portée vers nous que tout à coup elle s’est redressée et leur a crié : « Ce n’est pas vrai, ne le croyez pas, ça ne s’est pas passé comme ça ! Ce n’était pas moi ! Jamais je n’aurais pu faire une chose pareille ! Ou alors, il aurait fallu que je ne sois pas dans mon état normal, il aurait fallu qu’il me fasse prendre des trucs avant et je n’ai rien avalé, je peux le jurer ! Et ne me faîtes pas dire ce que je n’ai pas dit ! Je vois où vous allez en venir, je vois qu’encore une fois je vais passer pour ce que je ne suis pas, je vais payer pour ce que je n’ai pas fait, payer pour l’autre qui se garde bien de se montrer à présent que je suis dans l’embarras ! Et d’abord, cette culotte n’était pas à moi, jamais je n’aurais mis une horreur pareille et je ne sais pas pourquoi il a raconté ça ! Et de quelle détresse parle-t-il ? Il a raison, c’est un con et un salaud, et il aurait pu ajouter menteur et pisse-mou, et lâche, par-dessus le marché, mais être dans la détresse, ça jamais, il en est bien incapable, il ne sait même pas ce que c’est ! Ce serait plutôt à moi de le dire, parce que si j’étais dans la péniche, ce n’était pas du tout pour ce qu’il dit, et cet homme-là, je ne le connaissais pas la minute précédente, ou alors j’ai perdu la raison ! Dîtes-moi que j’ai perdu la raison ! Vous ne le direz pas parce que vous n’oserez pas le dire, parce que c’est forcément lui, l’homme, qui est dans le vrai ! Il parle, vous le croyez d’emblée et moi qui ne passais que pour demander mon chemin, je serais responsable de tout ce qui lui est arrivé ! Ah non, c’est trop fort ! » Elle était debout à présent. &Deux hommes en costume se sont précipités vers elle et l’ont fait reculer jusqu’au muret, la prenant chacun par un bras au niveau des aisselles, immédiatement suivis de la femme qui s’était arrêtée si près que les visages étaient sur le point de se toucher. Elles étaient littéralement nez à nez et respiraient maintenant toutes deux de plus en plus bruyamment, comme si elles tentaient chacune de s’accaparer l’air nourricier de l’autre afin de l’en soustraire. Toutes deux avaient le regard rivé à celui du vis-à-vis, un arc électrique semblait devoir apparaître et les unir, elles bombaient leur poitrine dans l’attitude d’un défi poussé à l’extrême, un défi annoncé comme l’acte compulsif de deux féminités emblématiques qui venaient de convenir d’un combat à l’issue rédhibitoire. Leurs seins se frôlaient au rythme des inspirations profondes et je m’attendais à percevoir le crissement de leurs chemises tendues et en action, tant le silence s’était en un instant imposé à la scène qui se déroulait devant nous. Personne autour n’avait bougé, au contraire, une sorte de force centrifuge irrépressible semblait avoir provoqué une légère sensation de recul de la part du groupe. Moi-même, je me sentais entravé du moindre pas vers elles. Le temps s’était arrêté. Pourtant il se passait bien quelque chose. Une chaleur sourde se dégageait des deux femmes en même temps qu’un halo légèrement vibrant, ce qui donnait l’impression qu’elles allaient se mettre à décoller toutes deux du sol, comme soudées l’une à l’autre. Ces deux femelles – je ne les percevais plus qu’ainsi réduites - formaient un véritable moteur à fusion, une centrale atomique dont le noyau allait atteindre sa masse critique et tous nous emporter dans une déflagration fulgurante imminente aux confins d’un autre monde. Je m’aperçus alors à quel point elles étaient belles, que dis-je, belles, rayonnantes et irradiantes, irrésistiblement. Je me mis à les désirer violemment, toutes deux. Mais non pas l’une, puis l’autre. Ce que je désirais, c’était cet ensemble effervescent. Je désirais rejoindre leur magma, mêler ma lave à la lave de chacune d’elles et à celle de leur amalgame incandescent. Je les désirais de la même énergie que celle qu’elles déployaient là pour se détruire. Je devais les sauver. ;