Jacques à Guy

 

&Cette seule idée qu’il venait de me précéder – insupportable idée qui ne m’avait jamais effleuré auparavant – m’a en un instant anéanti. Mon propre sexe, si tendu il y a encore une seconde de cela, soudain je ne le sentais plus, s’était-il réduit, comme si je venais de plonger dans l’eau glacée ? était-ce une défaillance des nerfs qui m’empêchait de le sentir ? Que m’arrivait-il ? Tout paniquait en moi. Son odeur – oui, Naomi, ton odeur, mêlée à celle de ton père – envahissait mes narines. Je voulais – oh oui j’aurais tant voulu – ne pas lui dire que j’avais deviné, en aucune manière lui en faire le reproche, ignorer cette relation qui aurait dû à jamais me rester inconnue, qui aurait dû rester un secret entre elle et lui, mais je n’ai pas pu, non je n’ai pas pu. Je me suis écarté d’elle : « Tu ne trouves pas que ton père est vraiment très gentil avec toi. » « Qu’est-ce que tu veux dire ? » « Es-tu certaine que c’est bien ton père ? Ou n’est-ce pas plutôt un vieil amant, ton amant de toujours, en quelque sorte ? » J’entendais, abasourdi, ces mots sortir de ma bouche, et en même temps que je continuais à les dire, j’ai pensé : qu’est-ce qui me prend de lui dire ça ? Dans le même temps une autre partie de moi tentait de se justifier : Ça m’est venu comme ça, comme si c’était un autre qui parlait, c’est sorti si soudainement, presque malgré moi, et sur un ton tellement moralisateur que je me suis senti empli aussitôt de honte et de dégoût. C’est un immense désordre qui m’a envahi. Qu’est-ce qui avait donc pu ainsi jaillir du fond de moi-même avec une telle fulgurance, et si violemment pour avoir provoqué cette sorte de réflexe, d’automatisme de jugement et de condamnation alors que Naomi et moi nous retrouvions et n’avions qu’à partager cette retrouvaille : elle n’avait qu’à prendre le plaisir que j’étais prêt à lui offrir, pendant que moi je n’avais qu’à goûter à ce qu’elle me donnait si spontanément. Quel gâchis, tout cela était désormais anéanti, détruit, démis, par quelques mots &stupides. En guise de réponse, comme si elle avait été prise d’une violente crise de colère, elle a brutalement replié ses jambes, maintenant elle me tenait et me serrait la tête derrière la nuque à l’aide de ses mollets, me plaquant la bouche sans que je puisse reculer, contre son petit fruit de plus en plus mûr et elle me caressait de ses doigts shampouineurs, très sensuellement et, en même temps, avec une force dont je ne l’imaginais pas capable. Ma bouche restait néanmoins fermée et inactive, et, alors que sa propre odeur avait pourtant effacé maintenant celle qui m’avait fait me retirer, j’avais comme encore peur de respirer. Bientôt nous fûmes immobiles mais toujours dans la même position. Mes mains avaient rejoint les siennes au-dessus de ma tête et tenté d’entremêler leurs doigts aux siens, mais elle n’avait pas bougé et je l’entendais pleurer en silence. Je me remémorais atterré de ce que je lui avais dit, me disant que cela ne me ressemblait pas. Pourtant je l’avais  bien dit et j’étais donc bien, quoi que j’en dise – sans doute pour rectifier cette image de moi que je devais détester – j’étais bien celui-là aussi dont je disais qu’il ne me ressemblait pas. Un salaud, et un con. Un moins que rien qui avait laissé s’échapper de lui un juge et une soutane, au moment le plus inopportun, et se trouvait maintenant devant un défi qu’il n’était pas sûr de pouvoir relever : Comment redresser la barre d’un navire qui sombre, et dont la figure de proue, Naomi, ma Naomi, pleure sa détresse sans se rendre compte qu’elle m’étouffe, sans que je puisse dire le moindre mot. J’ai pensé que si elle continuait à me serrer ainsi il arriverait un moment où je manquerais de souffle et perdrais connaissance. Incapable de me défaire avec grâce ou élégance de cette situation sans autre issue que la mort, je n’ai rien trouvé d’autre que de précéder l’inéluctable : j’ai feint de perdre connaissance, je me suis amolli et laissé tomber. Surprise et déséquilibrée par mon poids, comme mort, Naomi n’a pu se retenir à la barrière, elle a chuté dans un cri et s’est affalée sur moi. ;