Francko à Jacques

 

&C’était un bras d’homme. J’ai imaginé qu’elle était nue et qu’elle venait de murmurer : « Tu me passes ma petite culotte, je voudrais m’habiller ». J’ai fait demi-tour pour aller m’accouder à la barrière, attendre là que Naomi m’y rejoigne, je ne doutais pas qu’elle viendrait. J’ai allumé une cigarette. Le bruit du métal martelé au loin m’a rappelé celui du basin qu’on frappe pour le lustrer, deux lignes mélodiques syncopées, comme le fait un cœur dans son arythmie. J’ai écouté le rythme de mon cœur, lent et régulier. Naomi s’est approché sans bruit, les mains dans les poches, son écharpe jaune autour du cou. « Tu as froid ? » « Il fait un peu frais. » « Pourtant tu as mis une jupe. C’est à qui, le bras qui  a pris ta culotte sur le fil du linge ? » « Mon père. C’est sa péniche. » « Il est gentil ? » « Oui, il a toujours été gentil avec moi, je suis sa petite chérie. » « Je peux emprunter ton odeur ? » Elle s’est approchée et a tendu légèrement le cou, j’ai respiré à fond, lentement. « Sa main s’est posée là, juste avant que tu ne t’en ailles. » « C’est vrai. Tu pourrais le reconnaître à l’odeur alors ? » « Assurément. Qu’as-tu fais pendant mon absence, tu ne t’es pas ennuyé de moi ? » « Si, un peu, mais j’avais mon père, il s’est bien occupé de sa petite fille. Mais toi, qu’as-tu fait ? » « On m’a opéré, ça s’est très bien passé. » « Oh ! mais alors, tu veux dire, on pourrait ? » « Oui, tu as envie ? » « Oh oui, j’aimerais tant » Sa tête reposait sur mon épaule, je me suis tourné légèrement vers elle, je l’ai soulevée et l’ai assise sur la barrière. Elle a écarté les jambes. J’ai enfoncé ma tête doucement entre ces cuisses, écarté les ailes de la culotte papillon et je lui ai dit le plus beau des poèmes, dans une langue qu’elle seule connaît. L’odeur de son père semblait se trouver là aussi, entre les lèvres de son sexe. &Cette seule idée qu’il venait de me précéder m’avait en un instant anéanti. Mon propre sexe, si tendu il y a encore une seconde de cela, s’était réduit comme si je venais de plonger dans l’eau glacée. Son odeur envahissait mes narines. Je voulais ne pas lui en faire le reproche, ignorer cette relation inconnue entre elle et lui, mais je n’ai pas pu. Je me suis écarté d’elle : « Tu ne trouves pas que ton père est vraiment très gentil avec toi. Es-tu certaine que c’est bien ton père ? Ou plutôt un vieil amant, ton amant de toujours, en quelque sorte ? » Ça m’était sorti soudainement, presque malgré moi, et sur un ton tellement moralisateur que je me sentis empli aussitôt de honte et de dégoût. Qu’est-ce qui avait donc ainsi jailli du fond de moi-même avec une telle fulgurance, et si violemment pour avoir provoqué cette sorte de réflexe, d’automatisme de jugement et de condamnation alors que Naomi et moi nous retrouvions et n’avions qu’à goûter à ce qu’elle me donnait si spontanément. En guise de réponse, elle avait brutalement replié ses jambes et me serrait la tête derrière la nuque à l’aide de ses mollets, me plaquant la bouche sans que je pusse reculer, contre son petit fruit de plus en plus mûr et elle me caressait de ses doigts shampouineurs, très sensuellement et en même temps avec une force dont je ne l’imaginais pas capable. Ma bouche restait néanmoins fermée et inactive, et, alors que sa propre odeur avait pourtant effacé maintenant celle qui m’avait fait me retirer, j’avais comme encore peur de respirer. Bientôt nous fûmes immobiles mais toujours dans la même position. Mes mains avaient rejoint les siennes au-dessus de ma tête et tenté d’entremêler leurs doigts aux siens, mais elle n’avait pas bougé et je l’entendais pleurer en silence. Je me remémorais atterré de ce que je lui avais dit, me disant que cela ne me ressemblait pas. Pourtant je l’avais  bien dit et j’étais donc bien, quoi que j’en dise – sans doute pour rectifier cette image de moi que je devais détester – j’étais bien celui-là aussi dont je disais qu’il ne me ressemblait pas. ;