Guy à Francko
&Innocent ! » « Allez, allez alors, vous n’allez pas nous faire votre cuisine ici » Et tout en faisant des piou, piou et des moulinets de ses mains il l’a poussée vers la porte avec sa fiole. Je lui ai lancé un regard désespéré, il n’était pas question que je reste une minute seul avec ce type, mais son dernier regard m’a convaincu de son impuissance. La médecine est un monde plein de danger, surtout quand on se trouve confronté à un « chasseur de cas » déçu, désappointé, revenu des rêves de grandeur qu’il avait entrevus dans le temps où je lui avais raconté mon histoire. Il faut toujours mentir à un médecin, c’est la seule garantie pour garder la santé, seulement maintenant que j’étais tombé dans ce piège-là, il fallait m’en défaire, comment m’en défaire ? Sa mèche lui était retombée sur l’œil, d’une main moite et tremblante il a lissé sa moustache et il s’est de nouveau avancé sur moi. « Du vent ! Savez-vous comment je les traite, moi, les fabulateurs, les porteurs d’ailleurs et de mystiques facteurs ? Je les casse, les fracture, leur éventre l’esprit pour les remettre à l’endroit, et dans le droit chemin. Vous avez la chance de ne pas être de cette espèce-là. » Il a desserré sa ceinture. « Après mon traitement, ils deviennent simples et innocents, les fabulateurs. Innocent, oui, tout le monde ici s’appelle Innocent.» Non seulement il continuait à me postillonner dessus mais plus il s’approchait, plus son haleine devenait insupportable. Sa ceinture, maintenant, il l’avait en main et la brandissait devant moi pour frapper. J’ai roulé sous le lit, d’un coup sec la ceinture a claqué sur le matelas, par-dessous le lit je l’ai attrapé par les pieds et j’ai tiré un grand coup, sur le côté, Han ! Il s’est étalé de tout son long, sa tête a fait « toc » en rencontrant le sol, j’ai glissé hors du lit, il ne bougeait pas. Inconscient, il n’allait pas le rester longtemps. En moins de temps qu’il n’en faudrait pour le dire, j’ai ôté ses vêtements, ils puaient mais avais-je le choix, il fallait partir, je les ai passés. &Il m’a fallu peu de temps pour atteindre la rue dont le bruit et l’animation ont achevé de me réveiller. Mais où étais-je ? Un taxi s’est approché, je lui ai fait signe, il s’est arrêté. J’ai grimpé. « Où allez-vous ? » « Où sommes-nous ? » Il a froncé un sourcil. « Vous ne savez pas où vous allez ? » « Je ne sais pas où je suis. » « C’est pour un film ou vous êtes fou ? » Il a détaillé chacun des boutons de ma chemise comme si l’un d’eux devait receler un appareil destiné à enregistrer. « Ni l’un ni l’autre. Connaissez-vous Naomi ? » « Je connais plusieurs Naomi. Des Naomi, ici, il y en a en veux-tu en voilà. » « Une grande maigrelette qui rit bêtement. » « Et des petits nichons ? » « C’est cela. » « Vous voulez aller chez elle ? » « Pas forcément chez elle, mais je voudrais la retrouver. » « Vous avez de quoi payer ? » J’ai plongé les mains dans mes poches de pantalon. « Je n’en suis pas sûr, mais elle vous paiera. » « Si on parle de la même Naomi, ça m’étonnerait ! » Et miracle, mes doigts ont sorti un billet. « Ça ira pour m’y conduire ? » Il s’en est emparé. « Ça ira. » Il a passé la première, s’est aussitôt inséré dans la circulation. Dans le rétroviseur, j’ai vu le docteur Tée et Pfaal émerger sur le bord de la chaussée et tourner la tête à droite et à gauche avec des gestes d’impuissance avant d’être occultés par le trafic. Apparemment, ils ne m’avaient pas vu monter dans le taxi. J’ai soupiré. « Comment vous la connaissez, Naomi ? » J’ai croisé le regard du chauffeur dans le rétroviseur. C’était un drôle de type que j’aurais plutôt imaginé en missionnaire qu’en chauffeur de taxi. « J’ai vécu avec elle. » Il a haussé les sourcils avec un bref son guttural qui étrangement a clos la conversation, puis il s’est mis à chantonner tandis que je regardais autour de moi défiler une ville que je ne connaissais pas. ;