Jacques à Guy

 

&Il s’est alors levé et a frappé dans le vide, comme autant de gifles imaginaires. À bout de souffle, il s’est jeté sur moi, a saisi l’oreiller de chaque côté de ma tête et l’a secoué plusieurs fois et s’est brusquement rassis comme précédemment. « J’en déduis, par conséquent, que la cause il postillonnait affreusement dans ma direction – est à chercher ailleurs» Il se détourna vers elle et lui chuchota presque : « Ailleurs ! Voyez-vous, mademoiselle, monsieur a des relations, des conta-c-ts ! » Il s’est étiré, comme soudain pris d’une immense fatigue, et a soupiré avant de reprendre. « Oui, je ne suis pas loin de reconnaître que vous avez failli me faire tomber dans votre panneau, j’allais envisager que je me suis peut-être trompé sur votre compte, qu'il y avait un ailleurs comme celui que vous évoquiez jadis, et c’est cet ailleurs que j’imaginais que vous vouliez me confier afin de traduire, et  transcrire ce dont les mots chez vous s’interdisaient à vous le faire se matérialiser pour votre propre salut. Comprenez ? Vous allez comprendre ce qui justement sème le trouble dans votre esprit. Voyez-vous, dans la conviction première que j’avais, enfin depuis longtemps, vous étiez ce qu’on nomme un cas ! Sachez qu’un vrrrai cas n’arrive parfois jamais dans la carrière d’un médecin hospitalier, ou une fois ou deux, mais toujours est-il décelé comme tel trop tard, le patient est mort, ou sorti, ce qui est pareil. Ou encore, comme aujourd'hui, le cas n’est pas un cas car j’en déduis que rien de vos propos n’était soutenable. Du vent ! Que du vent ! » Même l’infirmière posait sur moi, me semblait-il, son regard plein d’une sorte de déception et de désintérêt. » Elle s’est éloignée du lit pour se diriger vers un petit guéridon de métal sur lequel reposait un groupe de fioles. « N’en déduisez pas que cela faisait de vous un fabulateur ou un mystificateur, auquel cas vous ne seriez pas ici, croyez-le bien. » Elle en a agrippé une qu’elle a agitée avec une soudaine fébrilité. « Mais que faites-vous, Ulrika, avec cette fiole ? » « Mais docteur, c’est l’heure, je dois nourrir &Innocent ! » « Allez, allez alors, vous n’allez pas nous faire votre cuisine ici » Et tout en faisant des piou, piou et des moulinets de ses mains il l’a poussée vers la porte avec sa fiole. Je lui ai lancé un regard désespéré, il n’était pas question que je reste une minute seul avec ce type, mais son dernier regard m’a convaincu de son impuissance. La médecine est un monde plein de danger, surtout quand on se trouve confronté à un « chasseur de cas » déçu, désappointé, revenu des rêves de grandeur qu’il avait entrevus dans le temps où je lui avais raconté mon histoire. Il faut toujours mentir à un médecin, c’est la seule garantie pour garder la santé, seulement maintenant que j’étais tombé dans ce piège-là, il fallait m’en défaire, comment m’en défaire ? Sa mèche lui était retombée sur l’œil, d’une main moite et tremblante il a lissé sa moustache et il s’est de nouveau avancé sur moi. « Du vent ! Savez-vous comment je les traite, moi, les fabulateurs, les porteurs d’ailleurs et de mystiques facteurs ? Je les casse, les fracture, leur éventre l’esprit pour les remettre à l’endroit, et dans le droit chemin. Vous avez la chance de ne pas être de cette espèce-là. » Il a desserré sa ceinture. « Après mon traitement, ils deviennent simples et innocents, les fabulateurs. Innocent, oui, tout le monde ici s’appelle Innocent.» Non seulement il continuait à me postillonner dessus mais plus il s’approchait, plus son haleine devenait insupportable. Sa ceinture, maintenant, il l’avait en main et la brandissait devant moi pour frapper. J’ai roulé sous le lit, d’un coup sec la ceinture a claqué sur le matelas, par-dessous le lit je l’ai attrapé par les pieds et j’ai tiré un grand coup, sur le côté, Han ! Il s’est étalé de tout son long, sa tête a fait « toc » en rencontrant le sol, j’ai glissé hors du lit, il ne bougeait pas. Inconscient, il n’allait pas le rester longtemps. En moins de temps qu’il n’en faudrait pour le dire, j’ai ôté ses vêtements, ils puaient mais avais-je le choix, il fallait partir, je les ai passés. ;