Francko à Guy

 

%J’ai abandonné ce délicieux spectacle pour aller m’installer à mon bureau d’où j’ai tiré quelques images dont j’ai voulu me rassasier. Mais le cœur n’y était pas. J’avais encore en tête ce terrible visage qui, alors que je sortais du module lunaire, me disait : « Il est temps, c’est le moment. Suis-moi que je te donne ton poison. » J’avais frémi et il avait ajouté : « Ne t’en fais pas, il est instantané, tu ne t’apercevras de rien. » Le plus terrible était qu’il s’agissait d’Innocent revêtu d’une sorte de combinaison argentée qui lui donnait l’apparence d’un ver d’Afrique. J’ai rangé mes images, suis retourné à la chambre où Naomi dormait toujours avec sur le visage une expression d’enfant. Je l’ai regardée, ai ressenti un tressaillement au fond de mon ventre qui, de la même façon, s’est vite dissipé au retour du visage d’Innocent dans mes pensées. C’est à ce moment-là que le réveil a sonné. C’était l’heure pour Naomi de se lever et de retourner chez elle. J’ai libéré son petit derrière, puis ses oreilles et tandis que la sonnerie retentissait pour la deuxième fois, je suis allé au cabinet de toilette nettoyer son Babelou. Il était tout crotté, c’était assez répugnant. Lorsque je suis revenu dans la chambre, elle s’étirait. « C’est le moment, il est temps que tu partes. » « Mon Babelou ! » s’est-elle écrié. Je le lui ai tendu, elle l’a posé sur le petit guéridon et avec un sourire de doux soulagement, elle s’est levée. « J’ai fait un drôle de rêve », m’a-t-elle dit, « j’ai rêvé que je l’avais perdu. » « Quoi ? » « Mon Babelou. » « Mais non, il est là. » « Oui, je sais. » Elle s’est approchée de moi, m’a enlacé. « Heureusement que tu es là ! » « Oui, mais dépêche-toi, Ophélie va se réveiller. » « Oui, oui ! » Avec sa vivacité habituelle, elle a enfilé sa culotte, son maillot, sa jupette et ses socquettes. « Moi aussi, j’ai fait un drôle de rêve, tu sais. » Elle a posé un rapide baiser sur ma joue et a filé en direction de l’escalier.

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%C’est exactement après Sa 51e apparition que je fus considéré guéri, suffisamment en tous cas pour qu’on m’incitât à rentrer chez moi. Le sommeil était revenu, progressivement, mon corps avait même commencé à s’étoffer un peu, dans des limites, pourtant, bien en deçà de ma corpulence initiale. Mon regard sortait de l’ombre et mes cheveux retrouvaient un mouvement qu’ils n’avaient plus accordé depuis longtemps, devenus tels une crêpe ratée, raides et plats comme si on les avait collés ensemble. Le docteur Thê m’avait assuré que le goût et l’appétit allaient vite revenir, une question de jours, en tous cas, les perfusions, étaient au placard et définitivement. Pour lui, j’étais sauvé. Et si je donne aujourd'hui quelque crédit à son diagnostic, c’est qu’il y a six mois encore, il ne comprenais plus. Je rechutais périodiquement. J’allais pourtant déjà bien mieux qu’au début de ma cure. Comment aurait-il pu en être autrement, Il me visitait chaque nuit depuis plusieurs semaines et inexorablement, tendait vers moi Sa main. Et je me réveillais chaque fois plus anéanti. Très vite je restai éveillé, plongé dans ma torpeur, craignant de refermer les yeux et à force de combattre un abandon redouté, je ne me couchai plus. Les fesses calées dans le club et les yeux grands ouverts : cette fois, c’est moi qui L’attendais. Longtemps Il n’est plus venu. Et un jour que certainement ma vigilance s’était relâchée quelques instants, je me réveillai en sursaut comme si je tombais du haut d’un mur. Mon cœur battait la chamade mais il faillit soudain s’arrêter. Sur le guéridon à côté de moi était posé un verre qui n’état pas le mien mais qui m’était si familier, le Sien. Celui qu’Il m’avait tendu déjà quarante-neuf fois, lors de chacun de Ses passages. Mais le verre était vide et étonnamment, je retrouvai spontanément une certaine sérénité car je savais – comment, je ne saurais le dire – que je ne l’avais pas bu. Je mis cette accalmie de mon angoisse à profit pour appeler à la rescousse un thérapeute dont la réputation semblait solide, le docteur Thê et commençai ma cure. Je pesais 39 Kg et n’avais pas vu un humain depuis trois mois. ;