Francko à Guy
%« Amsterdam ? Non. Je ne goûte guère, Amsterdam. Pardonne-moi l’expression, mais Amsterdam, ça pue. » « Oh ! » « Cette ville est trempée jusqu’à l’os ; on dirait une vieille pute qui perd ses eaux. Non, merci. » « Je trouve que tu exagères », m’a dit Pfaall en me tendant le tuyau d’où s’échappa un nouveau cru d’une région du côté d’Aberdeen. « Alors, Hongkong ? » « Tu n’y penses pas, mon vieux. Avec tous ces demi-Chinois. » « Jeanne aime beaucoup Hongkong. » « Eh bien, qu’elle y aille donc ! » Il haussa les sourcils. « Ce n’est pas très gentil pour elle… » Comme un fait exprès, elle entra précisément à ce moment-là, et me lança un drôle de regard en refermant la porte de l’habitacle, un regard qui m’a fait me demander si elle n’avait pas perçu mes dernières paroles. « Oui », continuai-je, « c’est ce que me disait souvent un type que j’avais rencontré là-bas, kelly aïe dong, une drôle d’expression dont je n’ai jamais vraiment saisi la signification exacte. » Je n’étais pas très fier de ma diversion, j’avais cru qu’elle allait saisir le premier degrés pour en sourire et se moquer gentiment de moi et de ma désobligeante esquive, mais tout pris un tournant inattendu. « Peste soit des menteurs », dit Jeanne. « Qu’est-ce que tu veux dire ? » fit Pfaall pour me sauver la mise. « C’est ce que ça veut dire : peste soit des menteurs, et ton ami le sait très bien. Il faudrait juste qu’il soigne sa prononciation, mais pour le reste il sait très bien de quoi il veut parler, n’est-ce pas, cher Pfaall’s friend ou very-simili ? » Elle s’était assise entre nous deux et attrapa le tuyau pour se servir un verre de Glasgow Must. Le mien était vide, mais Jeanne m’hypnotisait. Son regard ne m’avait pas quitté. Son corps presque collé au mien dégageait la chaleur d’un animal prêt à charger et je commençais franchement à me sentir mal à l’aise. « Il n’empêche », dis-je, « c’est hors de question, d’autant que, pour tout t’avouer, c’est là que j’ai rencontré Naomi. Et… » % « À Hongkong ? » « Non, à Amsterdam, voyons ! » Nous regardâmes tous les deux Jeanne dont le visage, tandis qu’elle sirotait son pur malt, s’était agrémenté d’un sourire énigmatique et ingénu. « N’est-ce pas, François Rabot, que c’est à Amsterdam que vous avez rencontré cette mijaurée ? » Avait-elle fait exprès d’estropier mon nom ? Bientôt, je n’eus plus aucun doute, elle m’avait déclaré la guerre, sans plus aucune sommation. « N’est-ce pas monsieur Nabot ? Dois-je enseigner à notre cher auditoire à quel point vous vous fûtes distingués à Amsterdam, Naomi et vous ? » Je plongeai dans mes souliers, m’attendant à d’intimes et secrètes révélations tandis que Pfaall, tout en faisant l’effort de prendre un air indigné, jubilait dans sa barbe du tournant que prenaient les évènements. Et là, je reçus l’estocade écossaise. « Mon cher Pfaall, ton protégé est un minable et surtout un faisan ! », articula Jeanne à son oreille. « N’est-ce pas monsieur Nabot ? » hurla-t-elle à la mienne, avant de me la mordre jusqu’au sang ! Je me suis relevé d’un trait pour lui échapper, craignant un nouvel acte de cannibalisme sur ma personne. Mais qu’avaient donc les femmes autour de moi à se comporter de la sorte ? Avais-je affaire encore à de réelles humaines ou étais-je entouré d’envahisseuses androïdes névrosées ? Je ne parvenais plus à reprendre mes esprits, saisi d’une sorte de panique qui m’envahissait et que je n’arrivais pas à maîtriser à cause de la douleurs aiguë que la morsure lançait à mon appendice blessé. Je l’entendais parler, s’adresser à moi avec d’amples gestes lyriques mais je ne saisissais aucun sens aux mots dont elle inondait Pfaall, qui petit à petit, ça, je l’avais tout de même relevé, refermait son sourire amusé du début pour prendre un air dégoûté et méprisant. « Et dire que je vous avais pris pour mon allier, que j’avais mis en vous toute ma confiance ! Comment allons-nous faire pour nous débarrasser de vous, maintenant ? » Il s’est levé, a tendu la main à Jeanne et ils se sont éloignés ensemble, en marmonnant. Épuisé, je me suis rassis. Mais qu’avait-elle été lui raconter ? ;