Jacques à Francko

 

%de joie, et cette bave sortant de la bouche de Naomi qui ne l’ouvrait que pour y glisser des pastilles m’a encore fait frissonner. Mais ce n’était pas elle, j’avais eu déjà tendance à l’oublier, et comme nous dépassions la stratosphère de cette station stellaire (elle revêtue à présent d’une peluche d’amiante, ce qui à mes yeux la désignait définitivement comme pingouin, et moi d’un poncho fait d’un tressage de quarks fins qui m’avait très bien protégé lors du passage de la stratosphère), son véritable visage est revenu, et avec lui dans un frisson le souvenir de cette partie intime qui était mienne avant qu’elle ne me castre, et dont elle s’était délestée au moment de l’arrivée du commissaire des trains. Trains ? Mais de quel train s’agissait-il, au fait ? J’ai ri pour ne pas pleurer en pensant à la substitution de mon intimité. Comme les glissements de langues peuvent être savoureux pour peu que l’on s’y arrête et s’y attache ! Train ! J’ai pouffé de nouveau en observant mon esprit procéder à la substitution, puis, l’un amenant à l’autre, en suivant mes doigts qui partaient à la recherche du sien. « Haya ho lé ! » a-t-elle glapi alors que je le touchais et que les prémices lunaires se faisaient jour dans le ballet des scories satellitaires qui désormais agrémentent les ténèbres de notre espace. Ah, j’aurais bien aimé me voir à ce moment-là, accroché à cette infirmière mastiqueuse et projeté tel un obus en direction de la Lune, moi les mains attachées à la sienne qui s’agitait dans tous les sens, elle vociférant de tous ses poumons et invectivant chaque poussière qui lui effleurait la joue. Ah, quelle belle joue, et quel beau couple nous devions former aux yeux d’une quelconque tribu de créatures d’autres sphères en villégiature dans notre univers ! Et puis, nous sommes arrivés. Très vite, le sol est venu à notre rencontre et au beau milieu d’un cratère, nous nous sommes posés. Il y a bien eu un peu de poussière et un rien de frayeur, mais quelle magie, quelle féerie !... Je l’ai lâchée et me suis mis à pivoter sur moi-même pour contempler la splendeur % de ce paysage que jusqu’à présent seuls des cartoonistes et un reporter puceau accompagné de son chien avaient arpenté. « Et Lang, qu’est-ce que vous en faîtes ? » Je me suis retourné : devant moi, se tenait Pfall dans l’appareil qui l’avait rendu célèbre… « Lang ? Vous voulez dire Tchang, car à puceau, puceau et demi ! Pardonnez-moi mais si je ne fais erreur vous êtes Monsieur Hans Pfaall, n’est-ce pas ? Vous allez rire, j’ai eu l’occasion de lire un compte rendu de vos aventures il y a peu, des plus plaisant autant que fantaisiste, il se terminait par le sous-entendu que vous êtes un escroc, que vous n’êtes jamais venu jusqu’ici, n’avez jamais quitté Rotterdam, sauf peut-être pour une expédition outremer de laquelle on vous avait vu revenir de l’argent plein les poches, déjà prêt à le dépenser en beuveries d’ivrogne dans quelques bars mal famés des faubourgs, j’ai beaucoup ri, qu’en dites-vous ? » « Hé bien je vous dirais tout le bien que je pense des bars des faubourgs de Rotterdam, et aussi de Bruges et d’Amsterdam, et le peu de bien que je pense de ceux qui me jalousent. Quoi qu’il en soit, je sais leur rendre leur jalousie – je les emmerde, « bren sur eux » à l’occasion en les survolant de mon fier mongol – et si vous voulez bien m’accompagner j’aurais plaisir à vous proposer de les emmerder à l’occasion, avant de vous faire partager ma légendaire ivrognerie. L’appareil qui m’a rendu célèbre nous emmènera en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Voulez-vous que nous emmenions votre amie ? » « Oh ! laissons-la voulez-vous, elle ne supporterait pas les vapeurs des bars et pour voyager elle préfère les trains. Par ailleurs il faut s’en méfier, elle a la bouche gourmande.» « Alors embarquons ! Mais dites-moi, comment puis-je vous nommer ? » « François Rabbeau si cela vous convient. » L’appareil de Pfaall, couvert de journaux crasseux, fonctionnait admirablement et d’une façon on ne peut plus simple que je ne saurais expliquer. Il n’avait cessé de l’améliorer. Je quittai la lune en sachant que je pourrais y revenir avec mon nouvel hôte, ;