Guy à Jacques
%sur le siège fripé et d’un autre âge. Que faire ? J’ai fait signe au fonctionnaire en direction du filet situé au-dessus de la tête de la fille, il a saisi la veste et après un coup d’œil sur ma main rouge et visqueuse, qui à ce moment-là aurait parfaitement pu figurer à l’étal d’un boucher sans que qui que ce soit n’y trouve à redire tant elle avait désormais l’apparence d’un filet de mouton, il a fouillé sans rien en sortir et finalement me l’a lancée sur les genoux avec rien de moins que du dégoût. « Byit na pranaz pyis im onvàcola, ol m’u e soam demt bysta syrchym ! » De la même manière que lui, je l’ai vainement explorée à mon tour, je pensais y avoir certainement glissé mon billet dans la pochette, mais je ne parvenais à mettre la main sur quoi que ce soit. Mes papiers, mais aussi les clefs et d’autres objets précieux qui s’y trouvaient avaient également disparus. Ma tête s’est mise à tourner, j’étais déboussolé, incapable de réfléchir. À droite, la jeune mastiqueuse fixait maintenant la tâche de mon pantalon, elle ne cessait de s’étaler, alors que l’homme sous moi s’était mis à siffler et à me faire sauter doucement sur ses genoux en relevant les talons en cadence. Rassemblant mon énergie, j’ai brusquement forcé sa main hors de ma poche et j’ai bondi de mon assise. Le barbu a tenté de me retenir par le pantalon dont je pensais avoir bouclé ma ceinture. Elle ne l’était pas. Il est tombé à mes pieds, emportant avec lui le regard du contrôleur et celui de ma voisine qui (et je n’ai jamais su s’il y avait un rapport ou non), a alors ouvert la bouche pour en laisser choir le contenu sur le sol. Machinalement, le regard du contrôleur s’y est posé, puis est allé en direction de mon entrejambes dissimulé par les pans de ma chemise. On n’en voyait rien, sauf le sang qui continuait à en couler. Mais il n’était pas nécessaire d’en voir quoi que ce soit pour comprendre ce qui s’était passé et ce qui était en train de se passer. Il m’a % alors dévisagé avec quelque chose dans l’expression qui tenait tout autant de la crainte que du respect (« awe » dirait tout simplement l’Anglais) et est retourné dans le couloir dont il a refermé la porte sans cesser de me fixer. Alors le vilain barbu s’est levé, a poussé le loquet de la porte coulissante et tiré minutieusement les rideaux. C’est à ce moment-là que je me suis évanoui. « Sur le coup, je me suis dit qu’il le faisait exprès, que c’était juste pour ne pas payer sa place. Il faisait partie de ces cocas-là, vous pouvez me croire, j’en ai connu plus d’un et j’en connaîtrai bien d’autres, c’est ma destinée, ou mon destin, si vous préférez ; ma mère me le disait déjà quand j’étais pas plus haute que cela : avec la tête que t’as, t’en auras toujours plus à l’intérieur qu’à l’extérieur, ma petite. Mais lorsque le contrôleur s’est agenouillé pour le secouer, je me suis bien rendu compte qu’il était vraiment dans les pommes, et c’était bizarre tout à coup avec son pantalon sur les pieds et à présent que sa chemise était en désordre, tout son truc qui manquait et tout le sang partout. » « Et qu’est-ce qu’il lui est arrivé, d’après vous ? » « Je sais pas. Je devais être endormie. J’ai rien vu, rien entendu. » « Et vous ? » Il a tourné la tête vers le contrôleur qui était toujours dans l’encadrement de la porte comme si la scène en était restée au stade précédant l’arrivée du commissaire des trains. « Nyo, ja m’eo roam è dora. J’eo danendà tym vollas, ol ma l’ebeot pet, j’alleot barvelotar, c’ats syis. » « Et vous n’avez aucune idée de ce qui lui est arrivé ? » Du coin de l’œil, j’ai vu le pied de la fille pousser le reste de sa déjection sous la banquette et j’ai eu du mal à contenir mon envie de le lui signaler. Mais n’étais-je pas mieux allongé sur ma banquette à attendre la suite des événements ? « Bon, pour le moins, il faudrait le soigner. » « As tym vollas ? » a fait le contrôleur. ;