Jacques à Francko

 

%alors dévisagé avec quelque chose dans l’expression qui tenait tout autant de la crainte que du respect (« awe » dirait tout simplement l’Anglais) et est retourné dans le couloir dont il a refermé la porte sans cesser de me fixer. Alors le vilain barbu s’est levé, a poussé le loquet de la porte coulissante et a tiré minutieusement les rideaux. C’est à ce moment-là que je me suis évanoui. Pourtant j’entendais qu’on parlait autour de moi. J’ai reconnu la voix de la fille. « Sur le coup, je me suis dit qu’il le faisait exprès, que c’était juste pour ne pas payer sa place. Il faisait partie de ces cocas-là, vous pouvez me croire, j’en ai connu plus d’un et j’en connaîtrai bien d’autres, c’est ma destinée, ou mon destin, si vous préférez ; ma mère me le disait déjà quand j’étais pas plus haute que cela : avec  la tête que t’as, t’en auras toujours plus à l’intérieur qu’à l’extérieur, malheureusement tu seras un garage, ma petite. Mais lorsque le contrôleur s’est agenouillé pour le secouer, je me suis bien rendu compte qu’il était vraiment dans les pommes, et c’était bizarre tout à coup, avec son pantalon sur les pieds et à présent que sa chemise était en désordre, tout son truc qui manquait et tout le sang partout. » « Et qu’est-ce qu’il lui est arrivé, d’après vous ? » « Je sais pas. Je devais être endormie. J’ai rien vu, rien entendu. » « Et vous ? » Il a tourné la tête vers le contrôleur qui était toujours dans l’encadrement de la porte comme si la scène en était restée au stade précédant l’arrivée du commissaire des trains. « Nyo, ja m’eo roam è dora. J’eo danendà tym vollas, ol ma l’ebeot pet, j’alleot barvelotar, c’ats syis. » « Et vous n’avez aucune idée de ce qui lui est arrivé ? » J’avais du mal à comprendre pourquoi le contrôleur ne parlait plus la langue qu’il m’avait conseillé d’apprendre. Il m’a semblé qu’elle était devenue évolutive. En rassemblant mes souvenirs et avec un effort de déduction, j’ai compris qu’il venait de dire : « Moi, je n’ai rien à dire. % J’ai demandé son billet, il ne l’avait pas, j’allais verbaliser, c’est tout. » Mais, je l’avais mon billet ! Qui d’autre que la fille aurait pu me le prendre, nous étions seuls dans le compartiment. Soudain j’ai tout compris. Toute son histoire, son Oto chantant, son intérêt pour les maîtres chanteurs n’avait eu qu’un seul but : me subtiliser mon billet. Et cette garce avait cru bon devoir m’arracher le gland pour y parvenir. Du coin de l’œil, j’ai vu le pied de la fille pousser le reste de sa déjection sous la banquette et j’ai eu du mal à contenir mon envie de le lui signaler. Mais n’étais-je pas mieux allongé sur ma banquette à attendre la suite des événements ? « Bon, pour le moins, il faudrait le soigner. » « As tym vollas ? » a fait le contrôleur. « Nous réglerons son histoire de billet plus tard. Vous ne voyez pas le sang qu’il perd. Est-ce qu’il avait des bagages ? » « Uma valosa » « Allez la chercher, et faites venir la civière, ainsi que la trousse d’urgence, nous le descendrons à la prochaine gare » Quand le commissaire des trains vit de quel genre de valise il s’agissait il s’exclama « Très bien, si je ne m’abuse, voici un bagage qui porte sur lui de quoi réparer ce monsieur » Que voulait-il dire ? Soudain le commissaire soupesa d’une main assurée l’entrejambes de mon bagage, avec satisfaction. « Oh oh, j’ai l’impression que notre estropié ne prendra pas au change ». Le bagage poussait de petits cris, il ne pouvait rien faire d’autre, il avait été bâillonné, les mains liées dans le dos. Après avoir fouillé la trousse d’urgence, le commissaire des trains se retourna vers moi avec une seringue dans les mains. J’ai eu à peine le temps de regretter avoir simulé une perte de connaissance quand j’ai senti une piqûre dans la fesse, puis un grand flou, puis rien. Puis une douleur diffuse à l’entrejambes et une odeur d’hôpital. J’ouvris les yeux, un visage – le même que celui de la fille du train – celui d’une infirmière était penché sur moi. Elle mastiquait un chewing-gum en souriant. ;