Francko à Guy
%tremblais d’horreur. « Ponmour ici. Jadaje, Jontybe. Jondiau ! qu’ast-ca qui ça pessa ? Qua ? Qua ? » Il m’a regardé, puis a regardé la fille qui mâchait, puis est revenu à moi avec une drôle de moue qui m’a semblé plus proche de la curiosité que du dégoût. « Qué préto té nité ma miya bullat pier ? » Je n’ai pas compris un traître mot de ce qu’il m’a dit, mais que pouvait-il demander d’autre que mon billet ? Je lui ai adressé un sourire, ai plongé la main dans la poche droite de mon pantalon sur lequel la tache ne faisait que s’agrandir. Il n’y était pas. Par contre, j’y découvrais un corps étranger sur lequel mes doigts surpris se sont immobilisés, puis crispés : je ne rêvais pas, une main qui n’était pas la mienne s’était introduite dans ma poche à mon insu et était maintenant appuyée sur ma cuisse. Mon regard a suivi le prolongement de cette main qui rejoignait, sans conteste, l’épaule d’un homme sous moi, sur les genoux duquel j’étais assis. J’avais juste réussi à percevoir qu’il était très barbu. Comment ai-je pu ne pas m’en rendre compte. Comment en étais-je arrivé là ? Je n’osais même plus me retourner, au moins voir son visage. J’ai repensé au contrôleur qui attendait devant nous et j’ai fouillé ma poche autour de la main pour en sortir le billet mais je ne le trouvais pas. J’aurais pourtant pu jurer qu’il y était. J’ai sorti ma main ensanglantée tandis que celle, si blanche de ma voisine passait devant mon nez pour lui présenter le sien. Le contrôleur l’a composté, le lui a rendu et de nouveau s’est tourné vers moi. Il a remarqué le sang sur ma main et s’est un peu reculé vers la porte du couloir. « Jontype, qu’ast-ca qui ça pessa ? » Je lui ai fait comprendre que tout allait bien, qu’il ne fallait pas s’inquiéter. Il sembla se calmer, contrairement à moi qui, à ce moment-là, n’ai eu d’autre ressource que de me lever pour agripper ma veste et y chercher le titre de transport qu’il attendait toujours. Mais la main du barbu m’a retenu fermement % sur le siège. Que faire ? J’ai fait signe au fonctionnaire en direction du filet, il a saisi la veste et après un coup d’œil sur ma main rouge et visqueuse, il a fouillé sans rien sortir et finalement me l’a lancée sur les genoux. De la même manière que lui, je l’ai vainement explorée à mon tour, je pensais y avoir certainement glissé mon billet dans la pochette, mais je ne parvenais à mettre la main sur quoi que ce soit. Mes papiers, mais aussi les clefs et d’autres objets précieux qui s’y trouvaient avaient également disparus. Ma tête s’est mise à tourner, j’étais déboussolé, incapable de réfléchir. À droite, la jeune mastiqueuse fixait maintenant la tâche de mon pantalon, elle ne cessait de s’étaler, alors que l’homme sous moi s’était mis à siffler et à me faire sauter doucement sur ses genoux en relevant les talons en cadence. Rassemblant mon énergie, j’ai brusquement forcé sa main hors de ma poche et j’ai bondi de mon assise. Le barbu a tenté de me retenir par le pantalon dont je pensais avoir bouclé ma ceinture. Elle ne l’était pas. Il est tombé à mes pieds, emportant avec lui le regard du contrôleur et celui de ma voisine qui (et je n’ai jamais su s’il y avait un rapport ou non), a alors ouvert la bouche pour en laisser choir le contenu sur le sol. Machinalement, le regard du contrôleur s’y est posé, puis est allé en direction de mon entrejambes dissimulé par les pans de ma chemise. On n’en voyait rien, sauf le sang qui continuait à en couler. Mais il n’était pas nécessaire d’en voir quoi que ce soit pour comprendre ce qui s’était passé et ce qui était en train de se passer. Il m’a alors dévisagé avec quelque chose dans l’expression qui tenait tout autant de la crainte que du respect (« awe » dirait tout simplement l’Anglais) et est retourné dans le couloir dont il a refermé la porte sans cesser de me fixer. Alors le barbu s’est levé, a poussé le loquet de la porte coulissante et tiré minutieusement les rideaux. C’est à ce moment-là que je me suis évanoui. ;