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2009

 

*

 

 

 

 

 

2 janvier

 

J’ai passé beaucoup de temps cette nuit et hier à « travailler » le 2 janvier, à remettre les choses à leur place, c’est-à-dire les événements à leur date, mais aussi à aller rechercher dans les bulletins les passages correspondants. Je pense que ça va être très très long, interminable, un travail colossal, d’autant que Dot n’est pas chronologique, je l’avais oublié. Je pense que je vais abandonner l’idée de faire coïncider cette année à celle de Mai, c’est-à-dire à travailler les jours jour après jour au fur et à mesure de leur écoulement et de l’insertion de 2009… Nous sommes le 2 au matin, j’ai juste bricolé le 1er et le 2 et je sais qu’il va encore rester des choses du 1er janvier à venir, le premier réveillon à Audreuse, Berlin…

 

 

 

9 janvier

 

J’ai entamé Therapy de Lodge. Ça se présente comme un journal sans en avoir la forme, c’est-à-dire qu’il n’y a du journal que la mention des jours. Le reste est narratif et, sans les dates, il pourrait s’agir d’un roman traditionnel. En le lisant, avec ses détails privés, intimes, quotidiens, je pense naturellement au mien et à Mai en particulier. J’ai toujours une réticence face à la banalité du quotidien tel que je l’expose et qu’il y en aura des traces dans Mai. Ces réticences ne sont fondées en rien puisque je la lis chez les autres, et chez lui en particulier, sans que je me pose la moindre question. Du coup, je me demande si je ne devrais pas être plus souple avec Mai, être moins sévère dans les coupes qui souvent sont systématiques, irréfléchies, ou, pour être plus exact, automatiques. Pourquoi ai-je peur que le quotidien ou le détail consacré aux livres, aux films, etc., dénature l’ensemble, desserve le ton général (dont du reste je n’ai pas encore l’idée précise) ?...

 

 

11 janvier

 

La vie va son train sans que je ne pense beaucoup au journal, du moins le courant puisque l’autre, le grand, gigantesque, colossal, « pharaonique » (pour reprendre le mot de Graham), avance de ses petits pas de géant. J’en suis au 21 octobre…

(Jacques m’appelle Milou, à présent. À cause de Mai.)

 

 

 

18 janvier

 

J’ai le sifflot comme une saucisse trop cuite, rouge, irrité ; ce n’est pas avec ça que je vais faire des conquêtes. En écrivant cela, je pense à Therapy que je poursuis, long épisode ce matin où le narrateur raconte l’histoire de son premier amour, à l’adolescence, à l’aube des années cinquante, une jeune fille issue du milieu catholique irlandais, pratiquante, presque pieuse, des difficultés que cela a entraînées et de l’échec qui en a résulté. C’est évidemment le type de récit propre à remuer immanquablement les sentiments et la mémoire de tout un chacun, moi en l’occurrence. J’ai pensé à Marie-Christine, à ce qui ne s’était pas fait, à ce que j’avais peut-être manqué, avec elle et avec d’autres, puis à tout ce que j’avais manqué et manque encore (sans regret ni désillusion, et c’est peut-être pire), pensé à mon âge et au regard que j’avais porté toute la soirée d’hier sur Cécile en train de chanter, à sa manière d’évoluer parmi les invités, en ayant à l’esprit je ne sais quelle aventure avec elle tout en y croyant pas un instant (et n’oublions pas la saucisse tuméfiée), en ne le souhaitant même pas, l’imaginant simplement et en m’en réjouissant (en jouissant ?) car je suis bien obligé de constater que c’est l’imagination qui me plaît. Il n’empêche que je la regarde, la scrute, la contemple presque, me surprends à me rapprocher d’elle, à chercher des prétextes pour simplement la toucher, ne serait-ce que du bout du doigt comme je l’ai fait à plusieurs reprises. Au fait, tu n’étais pas là, et je m’en suis véritablement réjoui. Du reste, il n’y avait que des personnes de « leur côté » ; ça m’a un peu surpris et je me demande si Léo n’a pas utilisé uniquement leur fichier. C’était chez lui, nouvelle mouture de Dans La Cuisine avec Denis au violoncelle qui, naturellement, a brillé. Pas que lui. Ils étaient tous trois excellents, les arrangements très bons et l’ensemble un ravissement, Cécile en particulier, bien sûr, encore qu’elle ait été bizarrement attifée d’une sorte de tunique ample qui ne lui allait pas du tout, et j’ai été un peu surpris par sa manière de bouger, féline, souple, élastique, ça ne lui allait pas non plus (trop laisser aller). L’a-t-elle toujours eue ou non ? Il m’a semblé que c’était inédit, mais peut-être était-ce mon regard sur elle qui était différent…

Léo m’a appris que Perrine et Bénédicte* étaient très mécontentes de leur photo dans mon album et ne savaient comment me le dire. « Que leur reprochent-elles ? » « Elles disent que ce sont de mauvaises photos. » « C’est-à-dire ? » « Je n’en sais pas plus. » Cela m’a mis en colère et je m’étais promis de leur écrire puisqu’elles ne daignent pas le faire. Finalement, j’ai pensé qu’il était plus judicieux de garder le silence, à leur image, et de les retirer de l’album, le papier comme le numérique. Je viens de le faire…

J’achève à l’instant le 27 octobre. Je prévois de beaux télescopages vénitiens dans les jours à venir…

 

 * Butz et Fouque

 

 

22 janvier

 

Hier, Christine m’a informé d’une soirée au Musée des beaux-arts de Lille, visite guidée d’une exposition suivie d’un concert par un quatuor à cordes qu’elle connaît, le quatuor Élisée. Aussitôt, quelque chose s’est mise en branle dans mon esprit : le quatuor Élisée dans le Journal musical. C’est ce soir…

 

 

24 janvier

 

En plus de Christine, Jaouen, Apolline et Ada, la jolie petite maghrébine (et j’hésite toujours à écrire ce mot ; pourquoi puisque je n’aurais pas hésité si elle avait été portugaise ou scandinave ?), il y avait une centaine de personnes dans le hall. Des dames se sont approchées, elles ont constitué des groupes d’une vingtaine, puis nous sommes montés au premier. « Le thème est Histoire d’amitiés », nous a dit notre guide (j’ignore si l’un comme l’autre est au singulier ou au pluriel). Les amitiés en question concernent des peintres, des sculpteurs, on commence par Brueghel, c’est l’amitié entre lui et Rubens. Bien, nous passons dans la salle suivante et, à partir de ce moment-là, j’ai décroché car dans la salle Rubens elle nous a proposé, au lieu de la magnifique Descente de croix, par exemple, une nature morte très ordinaire, puis, dans la salle suivante, un Largillière quelconque et un Chardin très terne, et ainsi de suite jusqu’aux Impressionnistes où un Daubigny médiocre et un Courbet fade (le célèbre Après-midi à Roissans) semblaient l’intéresser davantage que les deux beaux Vuillard et une version du Parlement de Londres de Monet rien de moins qu’éclatante. Il y avait longtemps que je n’étais pas allé au Musée de Lille, je n’avais pas le souvenir de tant de « croûtes », ou pour le moins de tant de choses insignifiantes. Je n’ai pratiquement rien écouté. Nous nous sommes retrouvés dans la deuxième salle où nous avions déjà vu au passage la scène et les sièges pour le concert. C’était donc le quatuor Élisée. Christine connaît bien l’un d’entre eux et inutile de dire que j’ai passé mon temps à me demander si une occasion de parler de mes pièces pour quatuor allait se présenter. Après Haydn et Mozart, nous avons retrouvé Christine à la sortie des artistes. Elle était avec son ami ; c’est le premier violon, d’origine italienne, au visage aimable et joyeux. Au St Amour, elle a abordé le sujet de ma pièce intitulée Élisée, m’a demandé d’en parler. Les assiettes se sont posées, j’étais affamé et fatigué, elle n’a pas insisté. Un ami du violoniste nous a ensuite rejoints, Christine a remis Élisée sur le tapis. Après les premières bouchées, j’étais un peu mieux disposé, j’en ai parlé, mais sans vraiment entrer dans le détail : le violoniste semblait fatigué, son ami sortait d’un concert, ce n’était manifestement pas le moment. Je ne leur ai pas dit que la pièce n’avait pas été jouée et que ça ne me déplairait pas de la leur proposer…

Christine parlait de peinture à Ada. Elle a une sorte de perspicacité intuitive qui me plaît. Mais je l’avais déjà remarqué…

Tout en préparant les dix premiers jours de novembre, j’écoutais la répétition d’il y a quelques semaines enregistrée à Loos. La voix de Cécile me fait battre le cœur. C’est étrange, mais il y a encore quelques jours je me demandais pour quelle raison je garderais cette répétition qui prenait beaucoup de place et n’avait finalement pas grand intérêt. J’ai trouvé…

 

 

28 janvier

 

La pensée quasi constante que j’ai de Cécile commence à m’effrayer et me fait déjà craindre notre prochaine rencontre qui se fera ici, au piano, elle à un mètre de moi assis au clavier ; elle me regardera, je la regarderai et l’écouterai tout en tâchant de ne pas être trop troublé, ou pour le moins de ne pas trop montrer mon trouble ; cela c’était les dernières fois alors qu’elle m’effleurait à peine les pensées ; qu’en sera-t-il la prochaine fois ? (Je ne veux rien, ne désire rien de particulier, mais cette pensée est là et, évidemment, avec elle, les récits épiques et humides qui la glorifient, pour l’heure uniquement cérébraux…)

 

 

29 janvier

 

Diego va faire un film. Il nous a invités pour nous en parler. C’est adapté de deux romans d’Ernst Weiss, un Tchèque dont j’ignore tout. Il ne voulait pas seulement en parler, mais souhaitait aussi – nous l’avons appris en arrivant – que nous participions à la lecture du scénario. Il y avait une dizaine d’autres invités, que des jeunes gens. Trois ou quatre d’entre eux font partie de sa troupe de théâtre de rue, dont une singulière Coréenne nommée Dorothée Szczepanski ; je n’ai pas osé lui demander comment une Coréenne pouvait en arriver à avoir un nom fait d’un prénom français et d’un patronyme polonais. Il y avait un repas froid bricolé que nous avons avalé en dix minutes, puis il nous a remis des copies du scénario, a distribué les rôles et nous nous y sommes mis. J’étais Walter, le meilleur ami du personnage principal et Éléonore, hasard de la distribution, son épouse. Ça se situe dans un futur proche et il est question de virus ; je crains d’avoir un peu sauté le reste : comme tout le monde autour de la table, je découvrais le texte et je me suis davantage attaché à l’attente de mes interventions qu’au texte lui-même. Naturellement, on ne fume pas chez lui. Je m’étais juré de me refuser à aller dans la cour et donc de ne pas fumer de la soirée, d’autant que personne ne semblait vouloir en prendre le chemin – j’avais du mal à croire qu’aucun de ces jeunes gens ne fumait.  À la fin de la lecture, un jeune homme et une jeune fille se sont levés pour se diriger vers la porte-fenêtre avec une cigarette ; je les ai lâchement suivis. S’en est suivi un court débat, puis une conversation entre Diego et moi. Il me parlait de son film, moi de Mai qui l’a laissé très perplexe. « Mais il va falloir une vie pour faire ça ! » « On verra… » Son film n’est pas qu’une idée puisqu’il a déjà entamé des démarches, a trouvé un producteur. Il ne semble pas plus affolé que ça par la perspective de s’atteler à la fabrication d’un long métrage. Je l’ai pris en photo pour l’album…

 

 

31 janvier

 

Il y a longtemps que je sais que ce que je prévois, ce que j’imagine n’arrive jamais, ou alors d’une manière que je n’avais pas prévue ni imaginée : je savais que V. viendrait un jour seule à l’appartement, c’était « écrit », mais jamais j’aurais pu imaginer que ce serait de la manière dont ça s’était fait. J’avais tout imaginé, sauf cela et c’est parce que je ne l’avais pas imaginé que ça s’était produit. Où veux-je en venir ? À ceci : Cécile est présente dans mes pensées d’une manière quasi constante et à ces pensées s’attachent des récits, des histoires, des intrigues, des circonstances, des situations. Je ne sais s’il y a en moi l’envie de quoi que ce soit avec elle, mais je tends à penser, suivant la règle de l’imagination première qui semble me caractériser (ou me définir), qu’il est souhaitable que tout cela ne reste qu’à l’état d’abstraction. Alors, je multiplie à plaisir et à loisir les intrigues, les récits, les histoires, les situations, allant du plus banal au plus extraordinaire, afin de réduire au maximum les chances que cela se produise. Il y avait aussi cette autre pensée, liée à la précédente : Mai va se « terminer » le 31 décembre de cette année, il reste à présent onze mois, onze mois durant lesquels je vais écrire avec l’idée de Mai à l’esprit. De la même manière que j’avais provoqué la rencontre anniversaire avec V. et sa mère pour pouvoir la rapporter dans le journal et ainsi lui redonner du piquant, lui offrir de la matière, je pourrais préparer et diriger cette dernière année, provoquer des rencontres, des événements qui verraient leur dénouement à la fin du mois de décembre ; mieux : faire en sorte que tout se rejoigne pour un éclat final (je n’ai encore aucune idée de la manière dont va se terminer le mois de décembre avec ce qui est déjà écrit). Je vais y réfléchir. (Inutile de dire qu’Ophélie pourrait avoir une large part dans ce « projet* »…)

 

* Ophélie est le nom de Cécile dans Mai (note du 20 novembre 2021)

 

 

2 février

 

Il est 1 h 00, je m’apprêtais à entamer le 8 novembre quand le journal m’est revenu à l’esprit. Hier, dimanche popote, passé à la maison à la numérisation de cassettes et au 7 novembre de Mai

 

 

14 février

 

Je suis assez content : le fait que le rapport de cette année entrera dans Mai ne m’incite pas à écrire davantage, à en profiter. J’y pensais cette après-midi en me demandant si au contraire je ne devrais pas en profiter pour esquisser une trame fictionnelle qui amènerait le tout à une conclusion définitive (qu’est-ce que ça veut dire ?). J’ai abandonné cette idée : c’est étrange que l’idée d’inscrire des éléments de fiction dans le journal me répugne. Alors, je vais jouer le jeu et jusqu’à nouvel ordre me laisser aller. Qui sait, c’est peut-être le « destin » qui se chargera de faire entrer en scène l’imprévisible, l’inattendu, l’extraordinaire…

J’ai toujours eu, je pense, une certaine tendance à aller d’une chose à l’autre, de ne pas aller jusqu’au bout d’une chose avant d’en entamer une autre. J’ai l’impression que ça ne fait que s’accentuer et je me demande si ce n’est pas lié aux nouvelles conditions de travail au bureau, c’est-à-dire la quasi totalité de la journée passée face à l’ordinateur où je vais constamment, en basculant d’une fenêtre à l’autre, entre les messages professionnels et ceux privés, le travail proprement dit et mes textes, eux-mêmes étant alternés : aller de Lustre à Mai, par exemple, comme depuis quelques jours, et à la maison du laptop à l’ordinateur principal, la numérisation des cassettes et les réponses aux messages sur l’un et le journal et Mai sur l’autre. Je ne sais pas encore si c’est un bien ou non. Je retourne à Mai, 16 novembre…

 

 

15 février

 

« Ou alors, je le dis. » C’est ce que je viens de dire à voix haute. Je suis au 17 novembre, je suis à notre rencontre à l’expo de Léo, j’examine mon état d’âme et d’esprit, en arrivant à cette conclusion (provisoire ?) que tu n’es plus la V. d’avant. Je vais pour effacer V. comme je le fais depuis le début de Mai puisque j’ai pris la décision de ne jamais te nommer, et m’aperçois alors que je ne peux rien lui substituer, que cette réflexion ne « fonctionne » que si j’y laisse ton prénom, ou pour le moins un prénom (et dire à la place : « celle que tu étais » n’a pas du tout le même sens). Je le mets donc en gras. Puis pense qu’il s’agit du mois de novembre, que je ne suis pas encore à la fin du premier survol de l’ensemble, pense que cet ensemble sera constitué de douze volumes et que celui du mois de novembre sera le onzième et qu’entre cet instant et celui où il sera lu (avant même de songer à sa publication), ne serait-ce que par Éléonore (et me traverse à l’instant cette drôle de pensée : « si je suis encore avec elle »), il se sera passé des années. À ce moment-là, où serai-je, où seras-tu ? Et est-ce qu’à ce moment-là, dans ce futur très incertain, je ne pourrai pas, ne serait-ce que cette fois-là, dévoiler et utiliser ton prénom, et donc le dire ? « Alors, je le dis. »

Il ne s’agissait pas de l’expo de Léo, mais de la soirée avec le danseur japonais, ce soir où je suis parti sans te dire au revoir. Juste auparavant, il y a l’expo et j’ai confondu, ce qui signifie qu’à un ou deux jours près (et peut-être est-ce le même jour à trois ou quatre années d’intervalle), il s’agit du même jour…

Je viens de vérifier : il s’agit du même jour, le 16 novembre…

 

 

 

22 février

 

Humbert découvre Schubert dont il semble fou. Il m’a demandé ce que je pensais de Schubert. Allais-je dire que je le détestais, n’y voyais que pauvreté et convention, qu’il s’agissait de musique scolaire ? « Je n’aime pas. Je ne suis pas très sensible à ce type de musique. » « Tu n’aimes pas le classique ? » m’a demandé Louise. Que pouvais-je dire sans me lancer dans une explication en règle dont je n’avais pas la moindre envie à ce moment-là. « Pas ce classique-là, en tout cas. » Je m’attendais vaguement à ce qu’elle relève, elle ne l’a pas fait et c’en est resté là. Voilà pourtant qui nécessiterait un développement, d’autant que j’ai rencontré le même genre d’attitude samedi lors du mariage de Jean-Stéphane et Béatrice. Jean-Stéphane me parlait de la musique diffusée à ce moment-là, baroque il me semble, m’a dit un titre que je n’ai pas entendu – à cause de la musique justement : on nomme une musique dont on n’entend pas le nom parce qu’elle va trop fort pour qu’on puisse entendre son nom –, en ajoutant le nom du chef, que je n’ai pas non plus entendu, puis, et cette fois j’ai entendu : « Béatrice préfère par Gardiner ». Cela, pour le moins, avait étrangement résonné dans la mesure où Jean-Stéphane a une culture musicale très pauvre (il le reconnaît lui-même) et, en état de cause, n’a pas du tout cette culture-là. Il s’est donc produit la même chose avec Humbert, Boniface et Dominique qui citent des noms d’interprètes (« c’est Schubert par Brendel » et lui ou elle qui cite un autre interprète qui lui serait inférieur ou supérieur), alors que leur sensibilité s’arrête au premier degré de l’écoute musicale et du sens musical : la musique dans tout ce qu’elle a de conventionnel, de conforme, d’académique, d’émotionnel primaire, c’est-à-dire la musique bourgeoise du XIXe siècle. Je ne leur ai pas dit que je me fichais bien des interprètes, que le meilleur pianiste du monde ne saurait donner une once d’intérêt à une partition aussi plate et chiche qui n’a eu de valeur qu’au moment où elle a été produite ; qu’on l’écoute encore aujourd’hui est une aberration totale. Schubert est un pompier de la musique, on peut juste le regarder comme une bizarrerie archéologique…

 

 

30 mars

 

J’ai travaillé toute la journée à une nouvelle traduction. Au soir, je suis allé au Blockhouse pour une soirée musicale. Tout d’abord, Laurent et Defaix pour une reprise de l’expérience de Tournai, mais, cette fois, avec une guitare que Laurent faisait passer devant un ampli pour en tirer des larsens spéciaux, ça m’a déçu. Puis il y a eu deux jeunes filles qui faisaient des bruitages sur des petits films d’animation, le tout suivi par un jeu interactif. Enfin, un groupe avec Michaël, quatre musiciens, musiques plus ou moins préparées sur des projections de petits films, dont un de Beckett avec Buster Keaton vieillard, et Vampire de Jean Painlevé qui m’a particulièrement impressionné. J’ai tout enregistré, ce n’était pas mal du tout. (Après avoir « joué », Laurent a disparu pour revenir une heure plus tard avec dix CD de sa prestation ; il a les proposés à la vente ; chacun d’eux était glissé dans un bonnet de bain...)

 

 

6 avril

 

J’ai entamé le 13 décembre, puis me suis préparé pour la soirée chez Léo, les cinquante ans de Laurent et de Patrick Michalik, le batteur d’EMOS. Cent vingt personnes, pas moins, c’était impressionnant, des amis, la famille de l’un et de l’autre, un buffet. Puis des « attractions » : un trio improvisé, Laurent à la guitare et au chant, Patrick à la batterie, Philo à la guitare, pour une série de reprises dont Bashung. C’était un peu chaotique, mais réjouissant. Puis EMOS, Michael, Christian, Patrick et Laurent, en grande forme, j’ai tout enregistré. Ce trio tonique n’a pas réussi à me tirer de l’état d’absence dans lequel je me trouvais, ou du moins j’ai eu beaucoup de mal à le cacher ; j’ai fait des efforts. Rien pourtant ne me déplaisait, au contraire, mais vers deux heures j’en ai eu assez et n’avais plus qu’une idée : partir. Nous avons eu droit à quelques chansons du duo Sylvette et sa copine du moment avant que Laurent ne s’installe de nouveau pour d’autres chansons. Il était particulièrement remonté et j’ai été estomaqué de le voir danser et bondir sur des airs pop et de variétés. Mais j’avais envie de partir. Il était deux heures trente, j’étais en compagnie de Daï Daï et nous élaborions un plan pour que je puisse filer à l’anglaise. Pouvais-je filer à l’anglaise dans de telles circonstances ? C’était la question principale (lui ne se la pose pas, il disparaît toujours sans que qui que ce soit ne s’en aperçoive), et c’était d’autant plus difficile de partir qu’à ce moment-là tout le monde, les dernières personnes, une bonne trentaine malgré tout, était regroupé dans la seconde salle tandis que Laurent chantait. Je ne pouvais certainement pas partir à ce moment-là. En même temps, c’était l’occasion rêvée. Puis, au moment où je m’étais décidé, Sylvette est venue vers moi accompagnée d’une Italienne exubérante (son ancienne copine) qui n’a pas arrêté de dire que j’étais beau. Elles ne m’ont plus lâché, c’était fichu. J’ai encore traîné jusqu’à quatre heures avant de vraiment me décider et de pouvoir, non sans mal, me tirer de leurs griffes. Il était quatre trente lorsque je me suis couché… J’ai eu une longue discussion avec Michael passablement pété, partie de sa prestation au Blockhouse pour en arriver au Journal musical en passant par les pièces pour la sirène qu’il souhaiterait arranger. Je n’ai pas bien compris de quoi il parlait et ce n’était pas le moment de lui demander des précisions. Christian nous a rejoints. Il m’a dit qu’il ne m’avait pas oublié, mais que ce n’était pas simple, ça demandait du temps…

J’ai offert à Laurent un cadre de mai : le 23 mars. Cela fait le quatrième. Si je parvenais à fêter ainsi trois cent soixante-six anniversaires, cela ferait vingt ans de ma vie disséminés dans trois cent soixante-six maisons différentes…

 

 

12 avril

 

Hier, Luzerne, j’ai enregistré. Beaucoup de monde ; ce n’était pas mal, mais je pense que je préférais les compositions précédentes… J’ai préparé les CD pour Laurent, le concert d’hier et celui du 4 chez Léo. En même temps, je pense à tout ce que j’ai à faire et que je n’ai pas envie de faire et ferai malgré tout. Hier, Léo a été étonné lorsque je lui ai dit que je me forçais souvent à rédiger le journal…

 

 

13 avril

 

J’ai oublié une chose importante. Léo et moi parlions de Murakami, de ses personnages attachants, des détails du quotidien. Nous en sommes arrivés à Journals et je lui ai dit à quel point j’étais étonné que les pages les plus banales dans leur contenu (description du détail d’une journée, par exemple) qui m’irritaient tant lorsque je les écrivais étaient peut-être celles qui me plaisaient le plus lorsque je les relisais... Il m’a dit à quel point les journals avaient évolué pour parvenir à un ensemble, à un tout, à un livre ; il a ajouté que ça lui procurait beaucoup de plaisir, un plaisir qui l’étonnait car il n’y avait que du banal. Ça m’a sacrément remonté…

 

 

16 avril

 

C’est Jean-Stéphane qui a organisé la dégustation de mardi, Côtes-du-Rhône septentrionaux. Tiens donc. Récemment, je lui avais demandé s’il était d’accord pour organiser avec moi une dégustation de St Joseph. Là, il l’organise seul et j’avoue qu’en le découvrant dans le mail de confirmation de la date, je me suis senti un peu blessé. Il n’y avait pas que du St Joseph, mais il y en avait. J’ai tenté d’enfouir au plus vite cette petite blessure que je peux comparer (ou les mettre en parallèle, ou alors est-ce la même ?) avec celle qu’a ouverte Laurent. Je lui ai remis le deuxième numéro du Journal musical il y a quelques jours, il ne m’en a encore rien dit, de la même manière qu’il ne m’a toujours rien dit du premier*. Je l’aurais parié. J’ai gagné. Avant-hier je lui ai envoyé une copie de la soirée du 4 et du dernier concert de Luzerne. Il m’a adressé une longue lettre pour me remercier et me parler de leur prestation et des commentaires que je lui avais envoyés. Pas un mot au sujet de mon disque. Blessure donc, que je referme avant qu’elle ne suppure…

 

* bizarrement, je n’avais rien écrit au sujet de l’achèvement et de l’envoi du deuxième (note du 19 novembre 2021)

 

 

25 avril

 

J’ai passé l’après-midi à décembre de Mai. J’en suis au 26. Les jours précédents m’ont enthousiasmé et j’attends avec impatience les suivants, c’est-à-dire les derniers de l’année, c’est-à-dire les derniers de la totalité. Va-t-il se produire un éclat quelconque dont seul le hasard serait le responsable ?

Quels sont les derniers mots de Mai ?

 

 

27 avril

 

Aujourd’hui, c’est la sainte Zita. Demain, cela fera quinze ans et ce sera la sainte Valérie. Valérie, toi, Zita. Je parlais de tout cela avec Jacques samedi soir. Il revenait de chez Martha, a mangé à la maison, a dormi ici, est reparti ce midi pour se rendre chez sa sœur. Nous avons beaucoup parlé de son texte, Meurtrier du temps, et de Lustre VIII, et de là du temps qui le préoccupe de plus en plus, puis de Mai et de là de toi, de Valérie, de mes questions à votre sujet, mais aussi, bien sûr, d’Éléonore. Que vais-je faire de tout ça ? Où cela va-t-il ? Il n’a pas l’air de bien comprendre de quoi il s’agit. Moi non plus…

Cécile (j’allais écrire Ophélie – mais c’est peut-être Ophélie qui « m’excite »*) m’a accompagné une partie de la nuit. J’y pense depuis ce matin (et en écrivant, je suis partagé entre Mai et le journal courant, avec la tentation – quoique ça ne soit pas délibéré – de rédiger le second en fonction du premier)…

D’une discussion avec Jacques, il ressort que je devrais changer le prénom d’Éléonore (la renommer, comme un fichier informatique ?). Mais par lequel ? « Élisabeth », m’a-t-il dit comme j’en avais déjà eu l’idée...

Je viens d’ouvrir le fichier du 30 décembre qui commence par V. Je me demandais dans la journée si elle serait présente jusqu’au bout. Il faudrait tout de même qu’elle le soit (oui, j’ai jeté un œil au 31, il commence par elle). Sinon, je vais devoir inventer (mais l’année n’est pas terminée ; comment cette année, la dernière du cycle, va-t-elle se terminer ?)…

 

 

28 avril

 

Il est 2 h 00 du matin, bonne fête, mes chéries…

Que devient Valérie, au fait ? Elle n’a pas donné le moindre signe de vie depuis mon envoi du premier numéro du Journal musical et alors que je lui demandais des adresses de musiciens…

Laurent m’a proposé de préparer un duo ou deux pour l’anniversaire de Sylvette, le 14 mai à Paris. Je lui ai proposé de réunir un trio pour une ou deux pièces du Journal musical. J’ai dit oui à sa proposition, il a dit oui à la mienne. Il ne m’a pas dit le moindre mot à propos du Journal musical 2

 

 

29 avril

 

C’est parti pour le deuxième tour. Je mets en place. Le 1er janvier hier, le 2 aujourd’hui. Je suis assez excité. Ça ne durera sûrement pas très longtemps. Je vais attaquer le 3…

À présent, j’écoute les vingt-cinq premières pièces du Journal musical 3. Je suis ravi…

 

 

30 avril

 

Je viens de terminer le Journal musical 3 et déchante…

 

 

4 mai

 

Je n’ai pas la moindre nouvelle de Cécile.

J’ai passé la journée d’hier à la suite de la numérisation des photos de famille et à Mai. J’en suis au 9 janvier et déchante un peu. Tout s’embrouille dans ma tête et je ne sais quel ton adopter, que garder, que supprimer.

Éléonore est devenue Susan. Ça ne fonctionne pas si mal.

En survolant Dot 3 pour aller y rechercher des passages déjà utilisés, je me suis demandé si le mieux ne serait pas de ne conserver pour Mai que ce qui n’a pas été utilisé. Mais qu’aurais-je sinon V., Susan et Valérie, et tous les détails intimes qui leur sont plus ou moins liés ? Quel intérêt ?

Qui est Guy de Mai ?

J’ai achevé la lecture de Meurtrier du temps. C’est magnifique.

Jacques m’a demandé si je conservais mon prénom ou non. J’ai dit que je le conservais, que je ne me voyais pas en changer, mais, à la réflexion, ce ne serait pas idiot, et ça me permettrait sans doute de prendre le recul nécessaire. Comment m’appeler ? Guillaume ?

 

 

 

7 mai

 

Je reviens de chez Laurent, nous avons répété Imagine, puis le prélude de Chopin version Jane B. avec des paroles spéciales pour l’anniversaire de Sylvette, lui au chant, moi au piano. Une fois rentré, j’ai terminé la dernière traduction arrivée…

 

 

16 mai

 

Ça a commencé dès le réveil : la tension et l’obsession de cette épreuve à passer : interpréter deux petits pièces pour piano devant un nombre de personnes supérieur à l’unité, c’est-à-dire moi. « Mais quelle importance, ce n’est pas un concert. » J’avais beau me le répéter, rien n’y a fait ; au contraire, ça n’a fait qu’empirer au fil du temps, puis jusqu’à la gare, puis dans le train, le métro, puis à l’hôtel jusqu’à l’arrivée au bar où ça a atteint son comble. La première personne que j’ai vue sur le trottoir, c’est Laurent en compagnie d’un inconnu ; il m’a présenté : « C’est mon pianiste. » Je me suis empressé de corriger : « non, je joue du piano » ; cela suscite toujours l’interrogation, et ça n’a pas loupé, et, comme toujours, j’ai dû expliciter et me suis senti de nouveau complètement stupide à fournir cette sorte d’explications qui ne s’imposent en rien : pianiste ou non, je vais m’asseoir face à mon piano pour y jouer ce que j’ai à jouer, un point c’est tout. Ce n’est pas un concert, et quand bien même : on s’assoit pour jouer ce que l’on a à jouer, un point c’est tout. Lorsque j’avais joué au Centre d’art, je n’avais pas dit en m’asseyant : « Je ne suis pas pianiste, je joue du piano, tant pis pour vous. » Je joue donc du piano, ce n’est pas mon instrument, et si je fais des fautes, ce sera la faute à Laurent qui m’a poussé à l’accompagner ; c’est ce qui était sous-entendu, et je me demande si je ne l’ai pas dit à quelqu’un à un moment donné, oui, au pianiste, un « vrai » celui-là, qui fait du piano-bar, joue régulièrement dans ce petit café : à un moment donné, il est venu vers moi et m’a dit : « c’est vous le pianiste ? »… J’ai péniblement échangé quelques mots avec Laurent et l’inconnu, puis Sylvette est sortie, nous lui avons souhaité un bon anniversaire et sommes entrés. Je n’avais qu’une seule chose en tête : voir le piano, me confronter à lui, faire sa connaissance (quel modèle est-ce ?) et surtout voir l’endroit où il était placé. C’est un petit lieu en longueur, type rustique de ville, feutré, et bondé ; il y a un semblant de séparation entre les deux salles, le piano se trouve dans la première, celui du bar ; il est à droite, et alors que Sylvette nous présentait ses amies, je le regardais, plaqué contre le mur avec l’air de m’attendre et de ricaner. Sylvette m’a proposé un verre que j’ai refusé ; je savais que la moindre goutte d’alcool allait me faire dérailler. Finalement, j’ai accepté ; c’était son anniversaire, je n’allais pas commencer à jouer les rabat-joie. Je l’ai accepté, siroté, ai fini par le poser sur le piano, avec précaution et presqu’une hésitation comme si j’avais craint qu’il ne s’en empare et l’avale. J’avais toujours ma mallette à la main avec mon cadeau à l’intérieur ; ses dimensions sont exactement celles du laptop, ça tombait bien, et j’en avais fait ma mallette de voyage : c’était le cadre du 9 mai. Je le lui ai remis ; dessous, se trouvaient les partitions. Puis Léo est arrivé, nous avons avalé des zakouski, et, assez vite, je me suis extrait des conversations ; la tension était toujours là, encore que je me sois demandé comment il allait être possible, au vu de la foule, de s’installer pour interpréter quoi que ce soit. C’était au programme, mais que valait un programme dans une telle agitation, les clients au bar, et tous les amis de Sylvette qui, plus tard, allaient s’installer aux tables qui nous étaient réservées ? Alors, j’ai vaguement espéré que ledit programme soit bouleversé et comme me l’avait dit Laurent : « Rien ne t’oblige à quoi que ce soit. » Quelque temps plus tard, tout le monde s’est attablé. C’était déjà bien chaud et le pianiste s’est installé ; sa spécialité, il m’en avait parlé, était ce qu’il appelle « le piano qui chante », c’est-à-dire un gros répertoire de chansons françaises dont il a les paroles et qu’il invite les clients à interpréter. « Une sorte de karaoké, en somme. » C’est ce que j’avais failli lui dire avant de m’apercevoir que ça n’avait pas le moindre rapport et qu’il aurait pu en être blessé. Bref, très vite l’ambiance a été à son comble ; Laurent au sax a interprété une pièce improvisée avec une chanteuse bayonnaise, puis des guitares ont été sorties de leur étui, puis il y a eu le repas, le piano de nouveau, des chanteurs improvisés sur les tables, les guitares qui se sont mises aux tubes de tous les temps, en vois-tu en voilà, et Sylvette bien sûr, égale à elle-même, nous a offert ses immuables chansons pour finir debout sur une table en soutien-gorge. Nous étions prévus à l’apéritif, en étions au milieu du repas et rien ne s’était encore décidé, même si Sylvette venait de temps à autre vers moi pour me pousser à aller me mettre au clavier, de sa manière habituelle, insistante (qui n’a jamais obtenu le moindre résultat, sauf une fois, au Steinway : avec ce clavier, j’étais prêt à interpréter n’importe quoi en présence de n’importe qui). Mais ça hurlait et chantait de toutes parts, et je ne nous voyais pas du tout interpréter nos deux chansons. Nous étions avec Léo et Laurent à une table, le repas était simple et a été vite expédié : cuisses de canard avec un vague assortiment de légumes, puis un gâteau au chocolat industriel parfaitement dégueulasse, le tout au vin, dont j’ai bu, sans en abuser, je n’allais pas me priver toute la soirée, puis, au fil du temps, j’en étais venu à me persuader que ça ne se ferait pas. Mais, à un moment donné, ça s’est précisé : Sylvette me taquinait, Éléonore me trouvait à juste titre complètement idiot, « ça va coûter trois minutes de ta vie, et tu feras tellement plaisir à Sylvette » ; alors, Laurent m’a dit : « on y va, c’est le moment », c’est-à-dire une accalmie dans la furie générale et le pianiste qui remballait ses affaires. C’était effectivement le moment, il ne pouvait y en avoir d’autres. Il y a encore eu une minute ou deux de flottement lorsque la disparition du micro a été constatée et que le patron avait remis la musique, puis nous nous sommes installés, Laurent a chanté, j’ai joué, Imagine et Jane B. d’après le prélude 38 de Chopin rebaptisé pour la circonstance Sylvette S. J’ai cafouillé, mais, en définitive, moins que je ne m’y attendais, surtout après quelques verres de vin et le repas. Mais quelle importance, diraient-ils, Sylvette en premier qui était debout à côté de moi, pour m’épauler, et a été touchée ? Quelle importance, en effet. Qu’est-ce qui se passe donc dans mon corps ? (Vouloir à toute fin jouer parfaitement, de la même manière que je veux à toute fin parler parfaitement une langue – oui, mais je connais la musique.) Trois minutes de ma vie effectivement, et Sylvette a été ravie…

 

 

27 mai

 

Je poursuis Mai, mais sans grande conviction. J’avance dans janvier (j’en suis au 27) presque mécaniquement. Je n’ai toujours pas trouvé le fil, le ton. Une fois janvier achevé, je le reprendrai du début en m’efforçant d’y travailler. Quant à Lustre IX, je n’en tire pas le moindre poil d’intérêt…

 

 

30 mai

 

Mylène m’a dit qu’elle avait adoré le Journal musical 2. Je ne pense pas que je vais attendre que Laurent se décide à contacter Christian et Michaël comme promis pour interpréter Estelle

 

 

3 juin

 

J’ai dans les oreilles la cassette que j’ai intitulée V., celle des petites comptines que son père avait composées avant mon arrivée dans leur vie. J’avais oublié qu’elle y chantait, notamment la deuxième chanson dont les paroles à l’époque m’avaient bouleversé : « Tu te fais attendre, La carte du tendre, L’aurais-tu perdue ? Je t’attends depuis si longtemps. » Quel âge avais-tu ? Douze, treize ans ? Moins ?... À présent, La Marie liste. Encore aujourd’hui, je me demande ce qui a pris à Léo pour vouloir que V. la chante. Ce n’est manifestement pas pour elle. C’est à autre chose qu’était destinée sa délicieuse petite voix, quelque chose que j’aurais dû être capable de lui proposer à ce moment-là… L’enregistrement est singulièrement bref. Pourquoi n’ai-je pas tout conservé ?...

 

 

10 juin

 

Je pense beaucoup à la soirée d’hier. Éléonore et moi avons parlé de Cheap cheap, le film de Wilfried, et son avis rejoint le mien : trop long, un manque de cohésion, et, son défaut principal, à vrai dire, son seul défaut, celui de se laisser aller à ses envies. Il ne changera jamais et, comme je le lui disais, c’est un peu « triste » car cela prouve qu’il n’a pas appris, n’a pas tiré d’enseignement de ses maladresses, de tout ce que l’on a pu lui dire (Fanny, moi, par exemple – mais j’ignore s’il a envie de cet enseignement, et il est probable qu’il l’ignore aussi). Il fait un film de deux heures censé être une carte de visite et ce film est une sorte d’accumulation de ses défauts. Il y a des passages magistraux, des images étonnantes, mais aussitôt après une espèce de brouillon qui laisse circonspect. Ce brouillon ne peut être une carte de visite. Wilfried est un extraordinaire faiseur d’images (« montreur d’images » tel qu’il se qualifie), mais il est incapable d’en tirer un semblant de cohésion et de cohérence. Je l’ai comparé à Lynch lorsque nous en discutions, Éléonore et moi : une amorce d’histoire suscite la curiosité, met le spectateur dans une position d’attente, et cette curiosité, cette attente ne sont jamais satisfaites. De la manière dont les choses évoluent dans Cheap, on attend un semblant de fil qui puisse faire comprendre de quoi il retourne. La première heure laisse supposer que ce fil existe. On s’y accroche, on essaie de le suivre, et la seconde partie le rompt et plonge dans l’incompréhension la plus complète (en tout cas, Éléonore et moi), et c’est étonnant dans la mesure où, pour une fois, il ne faisait pas son film seul. Il y avait une équipe technique, des acteurs, tous proches de lui, et je suis étonné qu’au bout du compte, c’est comme s’il l’avait fait seul (en tout cas, pour la deuxième partie ; la première est manifestement faite en collaboration car elle est construite). Un film de deux heures qui propose un minimum de narration, une intrigue, doit se plier aux règles de cette narration. Il les détruit au fur et à mesure et je me demande dans quelle mesure ce film tel qu’il est est montrable... La salle de cent places était pleine. Il y avait ceux qui avaient participé, ceux qui y avaient travaillé, les amis, les connaissances, la famille (mais pas V. ; j’aurais pourtant juré qu’elle y serait)...

 

 

6 juin

 

Pour le Journal du site de cette année, j’ai choisi un portrait peint de femme par jour. J’ignore d’où me vient cette idée. Il est vrai qu’il y avait longtemps que je traînais celle de faire un journal pictural, mais qui aurait consisté en une toile dont j’aurais fait le commentaire, ou à laquelle j’aurais adjoint un texte. J’aime beaucoup cette succession de femmes sur fond noir. À un moment donné, j’avais pensé leur accoler un extrait du journal, puis y ai renoncé*…

 

* je l’ai fait l’année suivante (note du 18 novembre 2021)

 

 

8 juin

 

Cette nuit, j’ai découvert un cahier dont j’avais oublié l’existence : le Home’s Diary. C’était à l’époque où Éléonore et moi cherchions une maison à Lille. J’avais tenu le journal de ces recherches : annonces découpées et collées, petits mots, notes manuscrites, commentaires. Curieux…

 

 

18 juillet

 

Il fait beau. Je travaille à Mai, j’essaie de boucler la première semaine afin d’en envoyer une copie à Jacques (qui du reste m’a envoyé les quatre-vingt-cinq premières pages de la suite de ses Chroniques). Je vais entre enchantement et désillusion (ou illusion et désenchantement). Demain, je vais revoir Cécile après plus de six mois. Quelle sera ma réaction ?...

 

 

20 juillet

 

Au cours du tarot d’hier, Cécile m’a reparlé d’Alida. Cela faisait six mois que je ne l’avais pas vue, elle a eu pas mal de déboires et aujourd’hui est enceinte. Elle m’a dit qu’elle était prête à reprendre les répétitions, à condition que ça se fasse avant l’arrivée de la véritable grossesse. Ce sera le 23, jeudi, chez Léo. Il y a trois lieux pourvus d’un piano ou pour le moins d’un clavier : ici, chez Thierry et chez Léo (c’est du reste lui-même qui nous l’a proposé). Il fallait trouver le lieu le plus commode pour elle compte tenu du fait qu’elle travaille à Haubourdin et désormais habite à Lille. Ce sera chez Léo. Je n’en suis pas fâché : je serai moins troublé et la tentation sera moins grande de la toucher... (En passant toutes ces heures à côté d’elle, je me suis aperçu qu’elle m’attirait beaucoup, mais que je n’en étais en rien amoureux. Ça m’a soulagé…

 

 

22 juillet

 

Cécile a annulé la répétition de demain. Ce serait l’anniversaire de son compagnon. Tiens donc…

 

 

31 juillet

 

Je suis arrivé un peu avant 18 h 00, ai constaté que la voiture de Léo n’était pas devant le garage. Il était donc parti et j’ai pris sa place. À tout hasard, j’ai sonné et, comme je m’y attendais, ça n’a pas répondu. J’ai utilisé ma clef pour entrer, posé mon sac, me suis immédiatement installé au piano. J’avais laissé la porte à moitié ouverte pour que Cécile n’ait pas à sonner et j’ai joué. Mais, au bout d’un moment, j’ai tout de même jugé préférable d’aller la fermer. J’ai repris ma place et j’ai joué. Elle est arrivée quelques minutes plus tard. Je ne dirais pas que mon cœur battait un peu plus vite, mais il est un fait que la perspective de me retrouver seul avec elle chez Léo a provoqué en moi quelques frissons. J’ai soulevé la porte avec une lenteur calculée pour me laisser le temps de la découvrir, les pieds, les jambes, le bassin, les épaules. Lorsque son visage m’est apparu, j’ai été troublé durant une seconde, le temps qu’elle approche son visage du mien et que nous nous fassions la bise, puis ça a été tout. Je l’ai fait entrer, l’ai suivie jusque dans la pièce du piano. À plusieurs reprises, par la suite, lorsque je la regardais, puis lorsqu’elle a été à côté de moi dans la voiture, j’ai pensé à Ophélie et je me suis rendu compte que ce n’était pas Ophélie qui était près de moi, mais Cécile ; celle dont je me repaissais était Ophélie. Il n’empêche que mon attirance pour elle est la même qu’auparavant, à cette différence près que je l’ai trouvée plus jolie et presque belle (l’enfant y est peut-être pour quelque chose). J’ai tout de suite repris ma place au clavier, me suis à pianoter peut-être pour m’occuper les mains, pour me donner une contenance. Nous avons parlé de choses et d’autres, elle du petit qui commençait à grossir en elle et des effets qu’il avait déjà sur elle. « J’ai la gerbe », m’a-t-elle dit. « Tu te souviens le jour du tarot où je te disais que j’avais tout le temps envie de gerber ? » C’est étrange que ce mot dans sa bouche ne dépareille en rien. « Eh bien, c’est comme ça tous les jours depuis. » J’ai opiné en me demandant si elle ne fabulait pas un peu : il a tout juste un mois (mais Éléonore m’a ensuite appris que c’est durant les deux premiers mois que les nausées se manifestent). Puis nous nous y sommes mis, elle postée à ma droite, à quelques pas. Je l’avais parfaitement dans mon champ de vision et souvent je laissais aller mon regard sur son corps sans pourtant qu’il n’y ait autre chose que de la contemplation. Cependant, lorsqu’à un moment donné, elle s’est approchée, très près, à me frôler, pour m’indiquer des notes sur sa partition, j’aurais aimé avoir le cran de la toucher… Cela faisait plus de six mois que nous ne nous étions pas vus et, à notre surprise, elle n’avait rien oublié. « Il faudrait que ça soit fini avant que je n’accouche », m’a-t-elle dit. « Oui, il le faut », ai-je répondu.  La répétition a duré une petite heure. J’ai laissé un mot à Léo, nous sommes sortis ensemble, elle m’a demandé de la déposer chez elle. À un moment donné, sur la route, j’ai tourné la tête vers elle. Elle était de profil, fixait un point devant elle, avait un très léger sourire. Je l’ai trouvée magnifique et j’ai encore l’empreinte de cette image en moi en ce moment même. Je l’ai déposée. Au moment où nous nous sommes fait la bise, elle s’est écriée : « Oh, j’ai eu une joute ! » Je me trompe peut-être, mais j’ai eu l’impression de sentir en elle comme une gêne lorsqu’elle est sortie de la voiture. « À la semaine prochaine. » « À la semaine prochaine. » Tout le long de la route du retour, j’ai pensé à Ophélie et en ce moment même y pense encore... Vais-je faire chanter Ophélie ?...

 

 

4 août

 

Je devais passer une partie de l’après-midi d’hier chez Copy-Top avant de me rendre à la répétition avec Cécile chez Léo de nouveau. Finalement, je n’en ai pas eu envie. J’avais commencé le 19 janvier et voulais le terminer. Je suis parti à 16 h 30, suis passé à la poste déposer des livres, suis allé chez Léo avec quelques pâtisseries achetées au Craquelin, nouveau nom de la boulangerie où, pendant trois ans, j’avais acheté mon pain servi par Frimousse (ce n’est pas elle qui m’a servi). Le temps était magnifique, Léo et moi nous sommes installés dans le jardin avec les pâtisseries et du thé. Nous avons parlé du cadeau pour Wilhelm et Eva, encore à trouver, puis de Mai. Quand je lui ai dit qu’il devrait être achevé aux alentours de 2020, il m’a regardé en deux fois. « 2020 ? » « À moins que je ne meure avant. » Je lui ai parlé du caractère testamentaire de l’entreprise, de Flaubert, de Gogol, de Marcel, puis du travail que cela représentait et je m’en rends compte de jour en jour. Cécile est arrivée, nous avons pris le thé ensemble (elle a refusé les pâtisseries), parlé de choses et d’autres. Nous nous y sommes mis près d’une heure plus tard tandis que Léo s’installait pour lire. La première chose qu’elle m’a dit en arrivant, c’est qu’elle s’était déplacée une vertèbre. Allons bon, ai-je pensé. « Tu veux qu’on annule ? » « Non, non, ça ira quand même. » Mais j’ai bien vu que ça n’allait pas trop et je ne suis pas sûr que ça ait été lié à ses vertèbres (qu’elle a certainement très jolies, du reste). Elle n’était pas juste, ne posait pas sa voix. Nous y avons tout de même passé près d’une heure. Je ne suis pas sûr qu’il y ait eu du progrès depuis la semaine dernière. Travaille-t-elle chez elle ? J’en doute fort et ne lui pose plus la question. Mais il est un fait que cette pièce a capella est difficile et aurait requis une interprète rompue à toutes les techniques vocales et à ce type de composition en particulier (mais peut-être pas au charme et à la joliesse)…

 

 

13 août

 

En réécoutant Aus den sieben Tagen*, je pense de nouveau que la musique improvisée telle que la pratique Laurent et les autres a quelque chose de parfaitement vain…

 

* Stockhausen (note du 19 novembre 2021)

 

 

14 août

 

Je remarque depuis deux jours que je commence à me détacher de moi, c’est-à-dire à considérer de plus en plus les protagonistes de Mai comme des personnages (moi y compris) sans plus me soucier de la réalité des faits, des événements, des personnes ; sans plus de cette étrange sorte de sentiment de culpabilité que j’ai toujours ressenti à l’égard des faits et des personnes dont je me sentais le devoir de faire le rapport (davoir changé les noms y aide beaucoup). Ainsi, pour l’expo de Gélase à Tournai, j’ai tu la présence de Thérèse pour ne m’intéresser qu’à Ophélie (non, Cécile !)...

 

 

16 août

 

Nous sommes allés chez Diego. Il prépare son départ, travaille à son scénario de long métrage, je lui ai parlé de Mai, notamment de cette coïncidence qui fait que cette après-midi j’avais fait le 31 janvier et que c’était ce jour-là que nous nous étions rendus chez lui. Il s’est très bien souvenu de notre conversation au sujet de Mai. Je lui ai dit que je ne faisais plus que ça et que j’espérais que ça ne s’arrêterait pas, que j’étais très excité par ce travail. « Tu as raison, ne fais que ça et n’arrête pas. C’est un projet fantastique… »

 

 

26 août

 

Mai m’amène à revoir en détails tous les anciens livrets puisque je vais y piocher les passages déjà utilisés. C’est incroyable comme tout cela me semble mauvais…

 

 

 

6 septembre

 

Je me couche, me lève, travaille à Mai, je me couche, me lève, travaille à Mai

 

 

 

7 septembre

 

J’ai reçu un carton d’invitation de la part de Laurent, il joue mercredi chez Léo. Je n’irai pas. Je retournerai écouter Laurent le jour où il m’écoutera. En outre, tu y seras sans doute. Je n’ai pas envie de te voir. Pas envie d’avoir au fond de moi, en te parlant, une lueur d’illusion. Je vieillis et ma seule tâche désormais est de me consacrer à mon travail et à Éléonore… Je vais réserver l’appartement à Venise comme prévu. Pourquoi m’en priverais-je, pourquoi hésiter ? Combien de temps me reste-t-il à vivre ?...

 

 

8 septembre

 

Aubert a un cancer du poumon qui évolue en métastases. C’est ce que m’a appris Léo lorsque je suis arrivé pour la répétition avec Cécile. Adolphine l’a appelé pour lui demander de venir les chercher en Bretagne où ils sont en vacances : Aubert ne peut plus conduire (il n’a arrêté ni de fumer ni de boire après son cancer de la gorge il y a trois ou quatre ans). Nous en parlions sous sa pergola en prenant un café. Je venais de me faire une cigarette. Je ne pourrais ici qu’ajouter des banalités. Cécile est arrivée, affriolante, avec une très légère rondeur sur tout le corps, la poitrine principalement. Je la regardais, pensais à Ophélie. Ça ne m’a troublé en rien, c’est comme si ce n’était pas la même personne et, en vérité, ce n’est pas la même personne sinon je réagirais d’une manière ou d’une autre. Elle s’est approchée et, comme avec Léo, elle a refusé de me faire la bise. « Je suis désolé, mais c’est à cause de la grippe, je porte un enfant et on ne sait jamais. » Elle a même refusé de me serrer la main. Elle s’est assise, nous l’avons gentiment taquinée. Elle était près de moi et je me suis dit qu’il était tout de même dommage qu’elle ait un enfant, comme si le fait qu’elle n’en ait pas eu un aurait changé quoi que ce soit. Nous nous y sommes mis une heure plus tard. Sur le piano, j’avais déposé son cadeau d’anniversaire, c’est-à-dire le cadre du 14 août. Je ne pouvais me tromper, elle m’avait dit la fois précédente à quel point elle avait aimé celui que j’avais offert à Thierry. Et comme de fait, elle s’est approchée pour me faire la bise. La répétition a duré près d’une heure. Comme je m’y attendais, il a fallu pratiquement tout reprendre de zéro, mais il y a eu du progrès et je pense avoir trouvé le truc pour lui faire retenir les parties difficiles*… Par deux fois, elle s’est approchée de moi, très près, pour voir mes doigts sur le clavier en train de jouer lesdites parties. Je n’ai pas compris en quoi ça pouvait l’aider et je ne me suis pas interdit de penser qu’il s’agissait d’un prétexte pour s’approcher de moi. Je me demande dans quelle mesure le fait qu’elle ait cet enfant, dont elle parle parfois exagérément (mais elle nous avait dit que si elle avait désiré un enfant, elle ne se sentait pas très chaude pour s’en occuper), ne me donnerait pas de l’audace. À un moment donné, elle m’a demandé si je ne trouvais pas qu’elle avait grossi. J’ai dit non, et c’était vrai. « Oh si, au moins là ! » a-t-elle fait en se plaquant les mains sur la poitrine qu’elle a longuement pressée. Je l’ai raccompagnée. Sur la route, nous parlions et, de temps à autre, lorsque la conduite me le permettait, je tournais la tête vers elle et admirais son profil. Oui, je pense que je l’admirais à ces moments-là. Je l’ai déposée, elle m’a fait la bise, et de nouveau elle m’a dit que ça faisait de l’électricité. Je l’avais senti aussi. Nous nous sommes fait un dernier signe de la main. La semaine prochaine, je passe la chercher…

 

* je ne me souviens plus de quel truc il s’agit (note du 21 novembre 2021)

 

 

14 septembre

 

Éléonore était en train d’empaqueter quelques livres. L’un d’eux portait le curieux titre d’Aucassin et Nicolette. Je viens de les ajouter à ma liste des personnages de Mai

 

 

 

17 septembre

 

Cécile a annulé la répétition de ce soir (alors, c’est Ophélie qui va chanter)…

 

 

21 septembre

 

Le journal 1929 : est-ce le carnet trouvé dans la cave (voir 1er ou 2 mars) ? Si oui, continuer à en raconter l’histoire et éventuellement en utiliser des passages…

 

 

24 septembre

 

Je suis donc passé la prendre chez elle, arrivé en retard à cause d’un bouchon. C’est un garçon qui m’a ouvert, elle est apparue derrière lui ; c’était le fils de son compagnon, elle a fait les présentations : « C’est Gabriel avec qui je chante. » Elle était ravissante, délicieuse, toujours habillée avec grand goût, je l’ai emportée. Chez Léo nous avons papoté avec un thé, avons parlé d’Aubert et de la mort ; elle disait qu’il fallait vivre le plus intensément possible pour ne pas avoir à regretter et pour pouvoir faire face à la mort, et a ajouté qu’elle ne lisait pas, qu’elle lirait plus tard, quand elle serait âgée et qu’il n’y aurait plus rien d’autre à faire que lire. Nous nous y sommes mis, c’était un peu hésitant, mais électrique tout à la fois. À un moment donné, comme elle l’avait fait la fois dernière, elle s’est approchée très près, a voulu à toutes forces que je lui montre les notes sur le clavier, me les a fait refaire plusieurs fois, posait ses doigts près des miens, les imitait, ses cheveux me frôlaient la joue. Puis elle m’a parlé de ses cours de solfège couplés avec le violoncelle. « Je ne te l’avais pas dit ? » Elle m’a alors appris que son professeur avait été son amoureux lorsqu’elle était en sixième, mais que sa meilleure copine le lui avait chipé. « Tu vas pouvoir te rattraper maintenant. » « Oh, tu sais, avec un bébé dans le ventre. » « Et alors ? Qu’est-ce que ça fait ? » « Tout de même ! » Elle a ri. « Il suffit d’un peu de patience. » Elle a de nouveau ri comme si, effectivement, il suffisait d’un peu de patience et que l’idée ne lui en était pas venue (à Ophélie : « Vous n’êtes pas obligés de vous jeter l’un sur l’autre. Il y a les caresses, les baisers, les sourires, les attouchements, et tout le reste. » « C’est vrai. » « On peut essayer, si tu veux... »). La répétition a été courte, mais assez concluante : elle est parvenue à faire la quasi totalité a capella, sans le piano. Je l’ai raccompagnée. Nous avons parlé de l’âge, du temps qui presse, et moi de Venise où je voudrais vivre, et du livre comme unique solution. « Ce n’est pas en donnant tes livres que tu vas y arriver. » « Je ne parle pas de ces livres-là, mais de celui auquel je travaille. » « L’œuvre de ta vie ? » « En quelque sorte, ma pièce maîtresse. » « J’espère que tu vas nous en faire lire un petit bout. » « Ah non, pas question. Celui-là c’est pour les éditeurs. » Et si je lui proposais quelques extraits où Ophélie apparaît ? « Au revoir, à la semaine prochaine. » « À la semaine prochaine, Gabriel. » Je ne sais toujours pas pourquoi Ophélie m’appelle Gabriel…

 

 

1er octobre

 

Drôle de journée qui a passé étrangement sans que je m’en aperçoive. J’ai imprimé les couvertures de La Barge, ai préparé les cadeaux pour l’anniversaire d’Éléonore, deux « Trip voucher » et le cadre auquel elle a tout de même droit, encore que je me sois demandé, et ça m’est venu à l’esprit il y a deux minutes alors que je montais, si le titre Journal d’un homme en mai était bien judicieux pour elle. C’est le titre, mais il n’est pas impossible qu’elle me demande de quoi il s’agit et surtout quelle en est la signification. Elle connaît l’existence des cadres et doit savoir qu’il s’agit du même principe que les livrets des jours de naissance*, à cette différence près que tout y est, et V. principalement (mais elle n’apparaît pas le 3 octobre – alors qu’Éléonore apparaît le 5 juillet), mais elle n’en connaît pas la véritable destination, la véritable raison d’être, c’est-à-dire une portion de Mai. Si elle me demande ce qu’est le Journal d'un homme en mai, je répondrai : « It’s my masterpiece », et si elle me demande pourquoi mai : « Parce que c’est en mai que tout a commencé. » Et si elle me demande : « Why in May ? » Alors ? Bon : « Parce que c’est en mai que j’ai rencontré V. et que c’est elle qui a tout déclenché. » C’est-à-dire, d’une certaine manière, ma seconde vie, Le Lys et Éléonore inclus, puisque c’est bien V. qui est à la base de tout et m’a conduit à Éléonore. Et me reviennent mes questions, mes scrupules. Et cette question primordiale, capitale : comment Éléonore pourra-t-elle lire Mai ? Il n’est pas exclu que je change le texte d’ici samedi**… Après la poste, je suis allé au Paper Center ; je n’y avais jamais mis les pieds. Je n’y ai évidemment rien trouvé d’autre que de la poussière. Comment cette grande boutique peut-elle tenir alors qu’il est manifeste que personne n’y a acheté de ramettes depuis des mois, à preuve mes doigts maculés lorsque j’avais tenté d’en tirer une ?...

 

* les livrets sont également composés du contenu d’un jour donné depuis l’existence des journals, mais je les arrangeais ; je les offrais comme cadeau d’anniversaire aux amis

** je ne comprends pas ; le texte de quoi ? (notes du 21 novembre 2021)

 

 

5 octobre

 

Les musiciens d’orchestre sont-il prêts à tout jouer ? Arrive-t-il que certains d’entre eux refusent de jouer telle ou telle œuvre ? J’écoute à l’instant l’Adagio de Barber et j’imagine que les musiciens étaient heureux d’interpréter une telle musique. Parallèlement, je pensais à hier, Varèse à la salle Pleyel*. Les musiciens sont-ils de bons employés, dociles et consentants ? À l’époque où Varèse s’apprêtait à faire jouer ses pièces, comment les choses se passaient-elles ? Varèse écrit Arcana ou Amériques et il recherche à réunir des musiciens pour une formation. Passe-t-il par le chef ? Est-ce le chef qui choisit les œuvres à jouer ? Oui, sans aucun doute, on ne demande pas l’avis des instrumentistes, mais il est un fait que la qualité de l’interprétation dépendra autant du chef que de la bonne ou mauvaise volonté de l’instrumentiste, du plaisir ou non qu’il prendra à interpréter telle ou telle œuvre. Mais ne pas oublier La prova d’orchestra qui illustre bien cela (ou, hier, les deux instrumentistes du fond qui discutaient lorsqu’ils ne jouaient pas)…

 

* l’intégrale de l’œuvre de Varèse à la salle Pleyel, jy étais allé avec Léo (note du 21 novembre 2021)

 

 

7 octobre

 

Supprimer toutes les mentions de Fleur entre sa dernière apparition et le 19 mars*…

Prévoir éventuellement l’utilisation du journal 1929 au fil des jours chronologiquement…

 

* Fleur n’est plus dans la liste des personnages de Mai et je ne me souviens plus de qui il s’agissait (note du 20 novembre 2021)

 

 

8 octobre

 

J’ai remis à Mylène son cadre, il lui a beaucoup plu. Du coup, je lui ai parlé de Mai. Elle m’a dit que ce cadre et ce qu’il représentait lui faisait penser à l’image que les gens se faisaient faire de leur ADN, puis qu’il faudrait trouver un nom pour cette chose particulière qu’était le cadre, c’est-à-dire un prélèvement de moi offert à l’autre, qui était moi mais aussi l’autre puisque l’autre est contenu en moi. Nous y avons réfléchi un moment. « Je vais y réfléchir », ai-je dit. J’ai proposé le mot « extrait (comme un extrait de naissance) comme point de départ…

Pour bien faire, un nouveau bouchon phénoménal sur l’autoroute m’a obligé à prendre des détours pour aller chercher Cécile. Je suis arrivé avec une heure de retard et ce n’est qu’à 19 h 00 que nous avons pu commencer à répéter, aujourd’hui sans le piano. Ce n’était pas terrible et je me suis même demandé si elle pouvait convenir pour ce type de pièce. Elle me disait qu’elle était stressée et qu’il lui faudrait du temps pour l’assimiler. Il n’empêche. Elle n’était jamais juste, se précipitait, c’était le désordre total. Mais il faudra qu’elle le fasse, qu’Alida soit elle, quoi qu’il en arrive. Je l’ai raccompagnée. Aujourd’hui, je n’ai rien ressenti de particulier à l’avoir à côté de moi…*

 

* je pourrais en déduire qu’elle ne m’émoustillait que lorsqu’elle chantait bien (note du 19 novembre 2021)

 

 

17 octobre

 

Des bouchons explicables de nouveau, je suis arrivé en retard et devais impérativement partir à 19 h 30. Ça a été très court. Il n’y a pas eu de grande différence par rapport à la semaine précédente, sauf, peut-être (mais c’est tout de même un changement), ma décision de l’accompagner au piano et de changer donc la partition qui devient « pour soprano imparfaite et piano » ; c’est elle qui suggéré l’ « imparfaite ». Comme à l’accoutumée, j’ai commencé à la suivre au piano à l’unisson pour lui laisser le temps de se chauffer. Tout à coup, quelque chose a sonné qui m’a plu et je le lui ai aussitôt dit. C’est à ce moment-là qu’elle a suggéré de rajouter « imparfaite » à soprano. Désormais, nous répéterons dans ce sens, ça nous fera gagner beaucoup de temps. C’est un truc de ma part, mais, a posteriori, car c’est vrai qu’il y a tout à coup eu un ensemble qui m’a plu…

 

 

18 octobre

 

Hier, tarot chez Hermine et Thierry organisé par Gélase. Ça devait primitivement se passer chez lui, mais il est en plein déménagement : Gervaise et lui ont trouvé une maison à Armentières. Il préparait ses lasagnes lorsque je suis arrivé. Hermine approche de son sixième mois, s’est arrondie en conséquence. Cécile commence elle aussi à prendre des formes, je ne l’avais pas remarqué hier à la répétition. Nous avons joué jusqu’au départ d’Hermine qui allait à l’anniversaire d’une amie. Cécile l’a suivie. Nous nous sommes retrouvés à trois et une conversation s’est entamée à propos du cadre que j’avais offert à Gélase. De là Mai et puis V. dont j’ai largement parlé. Gélase ignorait tout d’elle et est resté stupéfait face à ces faits et à cette fascination mienne dont j’avais encore des restes aujourd’hui. En vérité, c’était parti de la question au sujet dÉléonore et de V., c’est-à-dire comment Éléonore lira-t-elle ce que j’ai écrit sur V. ?...

 

 

21 octobre

 

Je ne voulais pas risquer de tomber une nouvelle fois sur le bouchon de fin d’après-midi et ai testé un nouvel itinéraire par Hellemmes et Fives, de là la Porte de Paris, Victor Hugo, Montebello par la place des Quatre Chemins et la rue Roland. J’ai mis une demi-heure. Elle était prête, nous sommes aussitôt partis. Je suis allé acheter des pâtisseries, elle m’a accompagné. J’y ai ajouté deux boîtes de chocolats, l’une nommée Proust pour moi, la seconde pour Éléonore : Balzac. Elle a acheté du pain. Nous sommes arrivés chez Léo les bras chargés. Malheureusement, il n’était pas là. J’ai utilisé ma clef, nous nous sommes installés, avons papoté en avalant nos gâteaux, notamment de Thierry et de l’alcool. Puis nous nous y sommes mis. Pour la première fois, j’ai installé le matériel d’enregistrement. J’ai placé le micro au jugé, il ne s’agissait que d’essais. Nous avons fait une dizaine de prises, moi désormais au piano que j’ai qualifié sur la partition de « maladroit » afin de faire un pendant à l’ « imparfait » de la soprano. J’ai l’impression qu’elle y a mis davantage de cœur que d’habitude, et ce n’est du reste pas une impression : je suis persuadé que le fait que je l’accompagne, que ça ne soit plus une pièce a capella lui a donné un regain d’assurance. J’éprouve toujours le même trouble en sa présence, mais désormais avec plus de légèreté et, d’une certaine manière, davantage d’assurance comme si je me sentais dégagé et soulagé du fait qu’elle ait cet enfant. Léo est rentré alors que nous terminions. Nous sommes montés, avons bavardé un peu en buvant un verre de chouchen. Puis je l’ai raccompagnée. Lorsque je lui ai fait la bise devant chez elle, j’ai eu la sensation que je pouvais aller plus loin, c’était très étrange. Nous nous revoyons la semaine prochaine. Elle était gaie, aérienne, et je pense que le passage à la boulangerie y a été pour beaucoup…

J’ai écouté l’enregistrement d’hier et n’ai pas peur de dire que j’étais près d’être bouleversé. Dès les premières notes, sa voix à l’unisson du piano, m’a complètement remué, c’était incroyable. Je ne sais s’il s’agit précisément de sa voix, du timbre de sa voix ou simplement d’une sorte d’association miraculeuse de notes et de timbres, celui du piano et celui de sa voix, mais c’était incroyable. C’était. L’est-ce encore ? Je ne suis pas allé jusqu’au bout, j’étais au bureau, il n’y avait pas assez de volume et ça s’agitait autour de moi. Je réécouterai ce soir…

 

 

22 octobre

 

Je suis en train de réécouter Alida dans de bonnes conditions, à la maison. Le charme est intact…

 

 

27 octobre

 

Léo était absent, le chauffage éteint, le chat miaulait. Je me suis demandé s’il avait de quoi manger. Elle est montée voir. « C’est open bar », m’a-t-elle dit en redescendant, « il y a un tas de croquettes comme ça et de l’eau plus qu’il n’en faut. » J’ai ri. « Qu’est-ce qui te fait rire. » « Open bar. »  La répétition s’est très bien passée, elle avait l’air très en forme, j’écouterai tout cela demain. Elle ne me trouble pratiquement plus. À cette heure de la nuit, je ne sais qu’ajouter. J’étais passé la chercher, l’ai raccompagnée. Sur le chemin du retour, elle m’a parlé de son projet de maison qui consisterait à acheter le corps de ferme dans lequel son compagnon a son atelier. Je n’ai pas noté de changement physique chez elle (en une semaine ?), mais elle m’a dit que le petit commençait à bouger…

 

 

28 octobre

 

J’ai découvert ce matin que rien ne s’est enregistré de la répétition d’hier ! Je ne sais pas ce qui s’est passé. C’est la première fois que ça arrive…

Je suis allé chercher La Barge chez le façonnier. Ils ont massicoté la série ratée alors que je leur avais expressément dit de ne pas le faire ; cela fait que la pagination est à ras du pied de page. Ils sont inutilisables (mais ils l’étaient déjà un peu avant)…

 

 

22 novembre

 

Le laptop copie l’enregistrement que j’ai effectué au Poulailler où Laurent et Bart* se produisaient, énième collaboration son peinture, puis un duo avec Christian (Pruvost) dans le jardin. Je m’étais juré de ne plus répondre à aucune des invitations de Laurent, mais à quoi cela rimait-il ? Il faisait magnifique lorsque j’avais pris la route, je suis rentré sous la pluie. Mais au moment où ils ont joué dans le jardin, il ne pleuvait pas encore. J’ai enregistré, ai suivi leur évolution dans l’herbe. Il y a eu des coups de vent que le micro, en se riant de ma ridicule bonnette, s’est empressé d’avaler. Mais ça ne nuit pas à l’ensemble et d’une certaine manière, ça y participe… J’ai relancé l’affaire du Journal musical ; si ce n’est pas moi qui le fais, qui le fera ? Nous nous sommes mis d’accord pour faire Estelle le plus rapidement possible. Laurent m’a promis de me contacter la semaine prochaine…

 

* Bart Vandevijvere, peintre flamand ; ils collaborent encore régulièrement (note du 20 novembre 2021)

 

 

24 novembre

 

Le temps a été épouvantable et j’ai eu beaucoup de mal à me décider à mettre le nez dehors pour aller à la répétition avec Cécile. J’ai pris Mercedes pour l’aérer un peu. Elle a été surprise en ouvrant la porte et en me découvrant sous mon parapluie : « Mais ce n’était pas demain ? » « Non, aujourd’hui. » Son ventre arrondissait sa tunique pastel et je l’ai trouvée particulièrement jolie. « Alors, on ne la fait pas ? » « Si, attends, j’étais en train de coudre, entre cinq minutes, je vais te montrer mon tutu. » Je l’ai suivie, elle était en train de coudre un tutu pour un spectacle avec Thierry. Il y avait un mannequin au milieu du séjour, elle a voulu l’y glisser, n’y est pas parvenue. « Je crois qu’il est trop serré. » « Ce n’est pas grave. De toute façon, je préfère le voir sur toi. » Elle s’est préparée, m’a suivi jusqu’à la voiture qu’elle découvrait. Je pense qu’elle l’a impressionnée et je n’étais pas mécontent de mon effet. Sur la route jusqu’à chez Léo, je lui ai parlé de Venise, du livre de Mancuso qui m’avait tant marqué. La première chose que Léo nous a dite, c’est que Mia et son fils étaient là. « Ah, c’est embêtant, parce que l’on va enregistrer. » « Mais ils vont bientôt partir, ils ne font que passer. » Nous sommes montés, un peu embêtés d’autant que Cécile avait peu de temps. Mia était plus ravissante que jamais et son fils métamorphosé, je ne l’aurais pas reconnu dans la rue. Léo nous a proposé un thé, nous nous sommes installés, il nous a parlé d’un cabanon qu’il avait construit pour une voisine. En face de moi, l’une à côté de l’autre, se tenaient Cécile et Mia. Mon regard allait de l’une à l’autre sans pouvoir se décider pour l’une ou pour l’autre. Au bout de dix minutes, nous nous sommes levés pour descendre et nous y mettre. Nous avions une demi-heure. Mia et son fils sont effectivement partis peu de temps après. Cécile a proposé que nous enregistrions dès le départ. Je ne sais encore ce qui ressort de tout cela puisqu’il y a eu pas mal d’erreurs, surtout de ma part, mais il était évident qu’un pas avait été franchi. Alida était en place et prenait sa forme, et Cécile était particulièrement en forme, justement, elle n’a jamais si bien chanté, n’a jamais tant poussé sa voix. Elle commence à maîtriser sa partie et devient Alida. C’est du reste ce que nous a dit Léo qui nous entendait du premier. Nous avons dû faire une dizaine de prises. Je ne pense pas qu’il y en ait une entière qui soit satisfaisante, mais je pourrais toujours faire un montage en cas de besoin. Nous avons papoté encore un moment avec Léo avant de nous en aller. Je l’ai déposée chez elle. Il ne sera peut-être pas nécessaire de nous revoir pour une autre répétition, mais je pense que nous la ferons tout de même, mardi prochain puisque Léo sera chez son kiné et que nous pourrons être seuls…

 

 

29 novembre

 

Dans un mois, j’aurai bouclé Mai. Va-t-il se passer quelque chose qui viendra le bouleverser (extérieur ou intérieur : un événement particulier – je pense à toi, évidemment – ou la maladie, voire la mort) ?...

Cécile a appelé pour annuler la répétition*...

 

* il n’y en aura pas d’autre et j’avais retenu, comme date de l'enregistrement d'Alida, le 23 novembre, jour de notre ultime répétition (note du 21 novembre 2021)

 

 

3 décembre

 

Mai.

Faire un livre de l’intégrale des journals du 1er janvier au 31 décembre, sans sauts de paragraphe, en corps 4 ou 5 (un corps à la manière du lisible, une lisibilité – lisibillyté – qui ne demandera pas trop d’efforts), à la manière des cadres.

Faire le même à partir de Mai « épuré », la version de la publication.

Faire le même que le précédent, c’est-à-dire Mai mais en distinguant les jours.

À la réflexion, seule la première version présente un intérêt…

Un équivalent sonore est-il possible, c’est-à-dire la superposition des trois cent soixante-cinq jours lus, à la manière du Mozart de Laurent ? C’est possible, bien sûr, mais proche de l’irréalisable. En outre, il serait préférable que chaque jour ait la même longueur, donc la même durée (encore que l’on puisse jouer sur la diction, la vitesse, les pauses etc.)…

J’écoute Cage Roaratorio de l’ACR de 1979. Parmi les voix off, l’une lit les instructions pour la création de la pièce finale : « prenez », « superposez », « retirez », etc. J’ai l’impression que ce texte ne concerne que lui, Cage, et n’est pas destiné à un éventuel utilisateur, et qu’il faut lire « prendre », « superposer », retirer », etc.

Son travail est d’une grande humanité et d’une admirable humilité. Il se donne au monde…

 

 

6 décembre

 

Je me suis levé, relativement en forme, mes lombes étaient encore engourdies. J’ai passé l’après-midi à commencer la numérisation de Souvenirs de France. Hier, plusieurs personnes m’ont parlé de Léo*. Comme je l’ai écrit à Jacques, il est possible que ça soit le signe que la période des journals, en exceptant Mai, est définitivement achevée. C’était peut-être l’heure de revenir à mes anciens manuscrits, de les revoir et de les publier. Il y avait longtemps que j’ai Souvenirs de France en tête, de la même manière qu’il y avait longtemps que j’avais Léo en tête. C’est sans doute le moment. C’est peut-être l’une des choses qui vont clôturer Mai

 

* Léo et la barge

 

 

14 décembre

 

Est-ce qu’avant la fin de l’année, je vais te revoir ?

Est-ce qu’avant la fin de Mai, une nouvelle, bonne ou mauvaise, va le bouleverser, et donc bouleverser ma vie (ou l’inverse) ?...

 

 

26 décembre

 

Hier, la journée a été semblable à d’autres dans les mêmes circonstances au même endroit et je suis persuadé que ces journées peuvent se confondre* : le repas, la remise des cadeaux que j’ai effectuée avec Armel, le thé, puis retour à table, le trop plein de nourriture. Je suis sorti cinq fois sans que le tabac me manque vraiment. De multiples cadeaux. Parmi ceux d’Éléonore, il y avait un livre de Tanisaki que j’ai entamé, puis poursuivi au lit, coïncidence étrange en cette fin de Mai : croisement du journal d’un homme et de sa femme à propos de leur vie sexuelle, il a cinquante-six ans…

 

* Noël en Angleterre (note du 20 novembre 2021)

 

 

30 décembre

 

J’ai mis le Journal du site à jour, ai épuisé toutes les photos à ma disposition et il reste deux jours. Alors que je plaçais une toile d’Ophelia m’est venue à l’esprit l’une des photos du site de V. où elle apparaît vêtue comme une princesse celte face à une sorte de tenture illustrée de démons et de sortes de gargouilles. Elle y est de profil, on la reconnaît à peine, voire pas du tout ; de là, l’idée de l’insérer dans le calendrier en toute dernière position, le 31, et mieux, puisque le trois cent soixante-sixième jour n’est pas pris en compte, de l’y placer ce jour-là. Mais c’est une photo, pas une peinture, et en noir en blanc qui plus est. Je l’ai regardée. Elle est légèrement colorée et je pense qu’elle pourrait passer pour une peinture hyperréaliste…

Le trois cent soixante-sixième jour n’existe pas. Il n’est plus de l’année en cours et pas encore de l’année à venir. Il est entre le 31 décembre et le 1er janvier. Mai va s’achever et à la fois commencer. Peut-il y avoir mieux que toi pour en célébrer à la fois cette fin et ce départ ? (En réalité, le nombre 366 ne devrait pas figurer dans le calendrier du site de cette année puisque 2009 n’est pas bissextile. Mais il y est et il m’est difficile de ne pas le considérer : si j’ai oublié de le retirer, c’est pour qu’il me serve pour ton entrée dans mon propre site. C’était écrit. Tu es la reine incontestée de Mai…)

 

 

 

31 décembre

 

Suite d’hier. Un peu de travail sur le site, pas grand-chose d’autre. J’en suis vite arrivé au repas, puis au sofa jaune du jardin d’hiver où j’ai poursuivi The Buddah of Suburbia que j’avais entamé au matin. Pourquoi ce livre-là plutôt qu’un autre ? Sans doute parce que je l’avais pris avec moi en Angleterre pour accompagner When I was cool que du reste je n’ai pas repris. Je ne suis pas sûr d’aller bien loin dans cette nouvelle lecture qui ne m’apporte rien. Pendant ce temps, Éléonore regardait la télé de sa curieuse manière qui consiste à s’asseoir une dizaine de minutes avant de monter à son écran pendant une demi-heure, puis de redescendre avant de remonter. J’ai profité d’une de ses absences pour glisser Burn after Reading dont je voulais regarder les suppléments. Lorsque je suis monté, j’ai découvert un envoi de Laurent : Estelle interprétée, et enregistrée par ses soins. Très belle surprise. Du coup, j’ai remis en route le troisième numéro du Journal musical. Le sommaire est désormais complet, je n’ai plus qu’à le réaliser.

Dans moins de vingt-quatre heures, Mai sera achevé dans sa constitution. En toute logique, je bouclerai cette journée vers 17 h 00 et je n’écrirai rien avant demain au plus tôt. Vais-je faire entrer dans le 31 décembre ce que j’écrirais sans doute au sujet du réveillon ?...

 

 

 

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