retour

 

 

 

2005

 

*

 

 

 

 

4 janvier

 

J’ai écouté le premier disque du 1er janvier. Pourquoi n’ai-je pas pensé à enregistrer les bises de minuit sur la plage ?*

 

* le passage de l’année s’était fait à la mer avec des amis (note du 30 octobre 2021)

 

 

6 janvier

 

J’ai remis en route la rubrique « journal » du site et poursuis la mise à jour du Livre. J’aimerais ajouter du son, mais je m’aperçois que je ne sais comment procéder…

 

 

10 février

 

J’écoute la série Holy Ghost d’Ayler à raison d’un exemplaire par jour. De l’alternance entre le standard sirupeux et la furie complète du « laisser-aller » jazzique. (Ou autre, lui comme d’autres du même milieu, du « free », encore que je retrouve ce phénomène dans le rock, par exemple, dont celui dit « progressif », Crimson et consorts qui ne pouvaient s’empêcher de glisser dans chaque album une ou deux ballades niaises au possible.) Comme ce que j’écoute à l’instant : partir d’un thème de standard, basculer tout à coup dans le cri et la démence pour retomber, revenir au même thème. Je pense aussi à la « ballade » telle que Laurent l’affectionne, « genre » que je n’aime pas, trouve convenu et pauvre. La cohabitation de ces deux extrêmes est pour moi une énigme totale…

 

 

17 février

 

Des remords vis-à-vis du journal : j’ai beau faire, je ne peux faire autrement que de rapporter, ne serait-ce que sous forme télégraphique. Avant-hier, hier, aujourd’hui. Je m’étais promis d’en arrêter là et ça me tracasse, je pense à la lecture que j’en ferai dans quelques mois, voire des années…

 

 

18 février

 

Ma correspondance avec Jacques est de plus en plus régulière, pratiquement quotidienne et je me demande si je ne pourrais pas considérer les mails comme partie du journal ; ou alors en créer un : le Journal du mail…

 

 

23 février

 

Thierry vient de m’apprendre la mort de Donald. Je lui ai aussitôt répondu pour lui dire que ça m’avait attristé. C’était vrai…

 

 

7 mars

 

Je viens de mettre à jour la rubrique Le Livre du site, fais le ménage de la page Guitry, puis range les deux Guitry de la semaine et note avec surprise un ou deux livres qui ne figurent dans le site. J’ouvre l’un d’eux, l’ex-libris est d’octobre 1992, l’autre, de juin 1989. Inutile de vérifier pour le second, les journals n’avaient pas encore commencé. Le premier devait figurer dans les journals. Non : l’année 1992 s’est caractérisée par un gros trou, énorme, gigantesque puisqu’il a couvert pratiquement toute l’année (je n’ai même pas parlé de la mort de mon père). Ils n’ont repris qu’avec le Journal du tabac, encore qu’il ne démarre qu’en septembre, je viens de vérifier…

 

 

9 mars

 

Une fois rentré, j’ai entamé la préparation du CD à l’attention de Sylvette et Sandra, copie de la cassette audio de 1996 des extraits du Journal musical. Suite à la discussion que j’ai eue avec Sandra à la Renaissance l’autre soir, je me suis décidé à préparer le premier CD du Journal musical ; tant pis pour les pièces qui ne sont pas encore enregistrées (je vais en parler à Laurent). Un point à éclaircir : le nombre de pièces par CD. J’avais décidé qu’il correspondrait au nombre de jours du calendrier, mais si cela marche pour le premier, est-ce que cela marchera pour les suivants ? Et il semble que c’est un peu excessif en temps comme en nombre de pièces…

 

 

12 mars

 

Sylvette et Sandra ont reçu le CD, j’ai eu en retour deux mails dithyrambiques ; elles veulent « produire cette œuvre ». Ça m’a presque inquiété. Mais j’ai l’impression que ça va me stimuler pour entamer enfin l’entreprise…

 

 

15 mars

 

J’ai réécouté le premier CD du Journal musical tel que je l’avais conçu il y a quelques mois. Je me suis décidé pour douze numéros pour la totalité, chacun comporterait entre dix-huit et vingt pièces. Cela me laissera du temps. J’ai donc réécouté les vingt premières pièces dans l’ordre « chronologique » horizontal, vertical tel qu’il a été établi à l’époque, c’est-à-dire 1er janvier, 2 février, 3 mars, 4 avril etc. Ce n’est pas mal, mais la médiocrité de la majorité des pièces à venir me laisse encore réticent. L’intégrale est-elle une bonne chose ? (Se justifie-t-elle ? quel sens a-t-elle exactement ?) J’ai passé un bon moment à établir un calendrier par titres qui me permettra d’avancer clairement dans le choix des pièces à venir et en fonction de celles faites et à faire… Je doute fort de pouvoir faire plus d’un numéro par an. Cela me laisse effectivement du temps, encore qu’une fois la présentation et l’habillage fixés, il ne s’agisse que d’enregistrer et de graver. Il n’y a pas de travail particulier à effectuer comme dans le cas du Journal sonore

(Les CD, le JS, le JM, la radio*, mes propres pièces, dans quoi me suis-je encore lancé ?)

Mon regard sur le Journal musical doit être purement objectif. Tant pis pour les merdes… (Mais je n’ai toujours pas fixé la présentation. Je pense que je vais en rester à la simplicité : le boîtier habituel auquel, classiquement, je joindrai un livret explicatif : détails des pièces, extraits du JM écrit, plus, s’il y a de la place dans ce format qui sera forcément limité en épaisseur, les copies des partitions manuscrites. Effectivement, il n’y aura pas de travail supplémentaire…)

 

* je ne vois pas de quoi il s’agit (note du 1er novembre 2021)

 

 

16 mars

 

Au retour du bureau, j’ai achevé le calendrier des titres, ai envoyé un message à Laurent pour lui demander s’il était disposé à me donner un coup de main pour la réalisation des pièces manquantes….

 

 

20 mars

 

Alors que je me rendais chez ma mère, je pensais qu’il n’était pas impossible que j’arrête le journal, arrête le Lys ou pour le moins les publications des journals. J’ai souvent cette envie depuis près de dix ans. Je ne le fais pas. Mais à chaque fois, elle se précise, prend de plus en plus de présence et d’acuité. Je n’ai pas la moindre envie de faire le rapport des deux dernières soirées, hier, avant-hier, chargées, car au bout du compte ce ne serait pas pour moi, mais pour eux, ceux qui y étaient et, un jour ou l’autre, vont se retrouver « publiés ». J’en ai déjà trop dit…

(Je n’en ai pas envie, mais une force m’y pousse. Je pense qu’il serait bon que je combatte cette force. Une fois pour toutes – non, cette dernière phrase est de la littérature…)

La soirée d’hier a été symptomatique d’un fait : je suis de plus en plus détaché du monde – et ça n’a rien à voir avec l’estime, l’amitié, voire l’amour que je peux porter aux amis (amour est peut-être excessif)…

 

 

21 mars

 

Omer et Falbala nous avaient invités à un repas chinois autour de la table du salon. Doriane et Antek y étaient, Marian les avait accompagnés ; je ne l’avais pas vu depuis l’arrêt des cours, encore qu’il faille trouver un autre terme qu’arrêt pour qualifier cette lente dissolution dont la fin n’a jamais véritablement été décidée, ni même exprimée. J’ai pris de ses nouvelles en contournant habilement le mot « piano » ; puis s’est amorcée une étrange discussion. Il m’a dit qu’il se posait des questions au sujet des milieux sociaux, de la différence entre les êtres, de l’impossibilité qu’ont les milieux de se mélanger, voire même de se côtoyer ; riches, pauvres, bourgeois, etc. « C’est-à-dire ? » Mais il n’a pas réussi à formuler, était face à une masse confuse de pensées, de sensations, d’impressions qu’il ne parvenait pas à débrouiller. Nous en avions déjà parlé ; je pensais, à juste titre et en toute logique, qu’il souffrait de la séparation des êtres, de la ségrégation ; mais j’ai bien peur que ça ne soit pas ça. Il ne trouvait pas ses mots, mais, à un moment donné, il m’a donné ce drôle d’exemple : dans les soirées chez les bourgeois, on rigole, on ne s’ennuie pas, tandis que chez les « pauvres », on s’ennuie. Il m’a aussi parlé de son désir d’aller dans un lycée privé où il serait forcé de travailler ; mais ce n’était pas la seule raison ; il y en avait une autre, celle précisément qui l’embrouillait, et je me suis demandé si ce n’était pas le mélange des classes sociales dans son lycée actuel qui le gênait, et s’il ne désirait pas faire entièrement partie d’une caste plus haute que l’aisance et l’argent cimentent et où les rapports sont bien définis. J’espère avoir mal compris. Après un long silence, je lui ai proposé de passer un soir pour une partie d’échecs ; je ne m’attendais pas à sa réaction, c’est-à-dire l’embarras. Nous n’en avons plus reparlé. C’est définitivement terminé…

 

 

22 mars

 

J’ai commencé La traversée de l’Afrique de Savitzkaya et je m’ennuie déjà. Ça tient du souvenir (fictif ou non) et ça ne m’intéresse pas. J’ai achevé le premier chapitre. Vais-je aborder le second ? (J’ai relevé quelques pages auparavant, « à cette époque » qui a provoqué quelque chose en moi. À plusieurs reprises, je m’étais demandé si Journals pouvait s’apparenter au souvenir, notamment lorsque je glisse des choses qui ont trait à un passé suffisamment lointain pour pouvoir prendre le nom de souvenir (comme si c’était une question de distance). Cet « à cette époque »-là me donne la réponse. C’est cet « à cette époque » qui fait la différence. Comment l’exprimer (ou est-ce suffisamment clair) ?…

Laurent à la maison. Il m’a dit qu’en mp3, le nombre de pièces par CD ne posait pas de problèmes ; je peux donc tabler sur les sept mois (encore qu’il y ait le problème de celles qui comportent plusieurs parties – mais dans quelle mesure est-il logique de faire des CD dont le nombre de pièces correspond à un nombre de jours à partir du moment où l’année n’a pas été achevée ? Ne puis-je créer un calendrier pour l’occasion ? Douze mois ? Vingt-huit pièces par CD en posant comme règle que tous les mois s’appellent « février » (ou, avec plus de justesse, « décembre » – mais cela donnerait trente-et-une pièces par mois, c’est-à-dire deux cent dix-sept pièces donc quatre de trop). Je lui ai ensuite montré les partitions à exécuter. Pour lui, ça ne pose pas de problèmes, il rencontre suffisamment de musiciens pour qu’elles se fassent assez rapidement. Le seul véritable problème est posé par la pièce pour six cors*. Après retrait des pièces vocales et des pièces pour piano restantes – sauf Matthias trop technique pour moi –, il a emporté la totalité. Il pense pouvoir boucler pour la fin de l’année. Je le trouve un peu trop optimiste. Nous avons parlé d’Ayler, de Davis, il m’a montré le dernier numéro de la revue WIRE. Nous en sommes venus à Zappa, puis à Beefheart. Je lui ai fait écouter le magnifique Dust Sucker et me suis rendu compte qu’il ne connaissait que Trout Mask et Lick my Decalls off, me suis aussi rendu compte de mes lacunes, pertes de mémoire au sujet des titres, des musiciens, dont John French. Il m’a parlé avec ferveur d’un pianiste de musique improvisée, alcoolique, caractériel, que personne ne parvient à traîner dans un studio d’enregistrement. Mais quel est l’intérêt de faire un enregistrement en studio avec un musicien de musique improvisée ?

(J’ai remets le nez dans Kobe**…)

 

* je ne sais vraiment pas pourquoi elle ne s’était pas faite lorsque Guy Mouy m’avait proposé de la faire interpréter par ses élèves (note du 1er novembre 2021)

** Kobe-Roubaix, mon texte consacré à notre voyage au Japon, et le Japon en général ; il n’est toujours pas achevé (note du 31 octobre 2021)

 

 

2 avril

 

Nous avons invité Sylvette et Sandra à manger. Sylvette tient absolument à ce que je participe à une émission de radio de l’un de ses amis…

 

 

8 avril

 

J’écoute l’un des deux disques que Laurent m’a remis hier au Blockhouse. C’est l’un des seize exemplaires de N°46, le 2 précisément, composé de six pièces de diverses durées : Six compositions électroacoustiques de Laurent Rigaut. J’en suis à la deuxième. C’est bien de l’électroacoustique, dans la tradition du genre, celle inaugurée principalement par le GRM il y a trente ou quarante ans. J’en ai produit d’une manière purement artisanale, voire primaire, en ai énormément écouté à une époque (les deux coïncidant, l’époque mienne de « composition » – est-ce de la composition ? Schaeffer dirait sans doute non – et celle de l’écoute de celle des autres). Laurent m’avait dit hier : « C’est dommage : normalement, ça s’écoute avant ce que tu as entendu ce soir. » C’était après sa prestation (performance ? exhibition ? – terme qu’en l’occurrence il revendiquerait, que du moins il ne dénigrerait pas, et qui est approprié du fait du cadre qu’a constitué le vernissage de cette autre exhibition). Je me suis demandé si je devais émettre un jugement de quelque sorte. Oui, ne serait-ce que parce qu’il attend un retour, donc un avis. Que vais-je lui dire ? Le jugement, dans ce cas de figure, me semble superflu et presque déplacé. Il faudrait donc que je me manifeste d’une manière objective et cela ne peut être puisque je connais l’auteur, sais qu’il attend un avis (le mien, en l’occurrence) et que ce type de création, dans laquelle j’inclus la circonstance, la confection de la pochette, ne me paraît pas appeler de jugement, de critique. Il n’y avait pas d’intention véritable au départ, hormis celle de confectionner un produit destiné à être offert (vendu, mais d’une manière purement symbolique et ludique) en l’honneur de son anniversaire. C’est donc un cadeau. Alors, puisqu’il s’agit d’un cadeau, j’aime ce que j’entends. Mais si je me place d’un point de vue subjectif, je dirai que ça ne me plaît pas et qu’en dehors du plaisir ou non que je peux en tirer (qui finalement n’a pas vraiment d’importance), ce n’est pas bon. Hm. Ça ne l’est pas, parce qu’il s’agit d’une succession de sons, d’une longue suite de sonorités et de bruits qui n’obéit à aucun discours, à aucune réelle intention, parce que, placé dans une histoire qui a déjà tout dit sur le sujet depuis longtemps, c’est convenu. Je comprends pourquoi il prévoyait l’écoute de ces disques avant son passage. Le point de départ, c’était le vernissage d’une exposition (j’ignore toujours le nom de son auteur, qui se dirait certainement peintre) à laquelle Laurent a été amené à ajouter une « prestation » musicale. C’était dans la seconde salle du rez-de-chaussée réservée aux expositions. Il y avait quelques enceintes disséminées, un poste de radio (magnifique, des années cinquante, encore que Léo penche plutôt pour soixante), son laptop qui allait diffuser une partie sonore préenregistrée, et puis lui. Il y avait quatre pièces. Dans la première, où les accents de la bande m’ont tiré une quinzaine d’années en arrière tant j’y ai entendu et perçu de sons semblables aux miens, il a parcouru le sol à genoux en poussant devant lui un morceau de polystyrène, en écrasant une bouteille d’eau en plastique ; dans la seconde, il s’aide de cet instrument de musique coréen, une flûte, que son frère lui a rapporté de Corée et dont il nous avait déjà parlé ; dans la troisième, il utilisait son « cheap price saxophone » ; dans la dernière, un lâcher de billes d’acier sur le sol qu’il a fait rouler ensuite à l’aide d’une cymbale. Le tout a duré une vingtaine de minutes. Il y avait une trentaine de personnes qui l’entouraient dont moi qui enregistrais et les hauts talons d’une dame qui, avec une admirable justesse, ont ponctué, alors qu’elle s’en allait, les ultimes secondes. Les sons, la musique (en ce sens qu’il y a quelque chose de mélodique, de narratif, d’expressif opposé à du son brut) étaient doux, tendres, presque paisibles. Ce qu’il y a ajouté, par ces sonorités acoustiques en direct et sa présence, sa manière d’être et de se comporter (et je ne suis pas d’accord avec Léo lorsqu’il dit que la vue gêne : la présence de Laurent et ses évolutions sont tout aussi importantes que le son qu’il produit et je peux même dire qu’ils sont indissociables, et c’est flagrant lorsque l’on réécoute le lendemain, lorsqu’on entend la même chose, mais sans la vue, sans l’auteur de ces sons ; ce n’est pas la même chose et je me demande ce que pourrait en penser quelqu’un qui n’y était pas, qui serait dans l’ignorance de la manière dont ça s’est passé – happening ? –, n’aurait donc pas, en accord avec les sons, la vision des images qui les ont accompagnés)*. Ça n’enlève rien à la qualité sonore, musicale…

 

* cette longue phrase est restée inachevée et je ne sais plus ce que j'avais voulu dire (note du 1er novembre 2021)

 

 

9 avril

 

Après « l’intervention » de Laurent, nous nous étions réunis à une table, Laurent, Léo, Fanny et moi. Puis Wilfried nous avait rejoints. Il m’avait de nouveau demandé si je m’étais décidé à participer à son film. Il semble y tenir, et moi de moins en moins. Il commence le tournage dans une semaine jusqu’au 15 mai. Il me faudrait une idée d’ici là ; mais il me faudrait vraiment une idée extraordinaire pour me décider tout à fait.

Laurent a transmis mes partitions à des musiciens qui semblent intéressés. Il est confiant. Pour ma part, je préfère ne pas l’être…

 

 

22 avril

 

J’écoute l’enregistrement de Budapest*. Il y a beaucoup plus de choses que je ne le pensais, mais, inexplicablement, je retrouve le bruit de micro alors que je pensais que c’était résolu. En même temps, il n’y a pas grand-chose de véritablement intéressant (et c’est peut-être ça qui est intéressant) : l’enregistrement effectué dans le tram peut parfaitement être mis en parallèle avec celui de Lisbonne, même les intonations des voix des passagers alentours. Pour certifier son passage dans telle ou telle ville, on se fait photographier devant un monument, un édifice caractéristique, le Palais des Doges à Venise, par exemple, ou l’Église St Mathyas ici. Autrement, n’importe quelle photo peut être prise n’importe où (vieille rengaine, voir Loti). Il en est de même pour les sons. Il pourrait être intéressant de constituer un « carnet de voyage » sonore mêlant diverses prises qui toutes se confondraient et s’annihileraient, Lisbonne, Japon, Budapest… Quant au Musée de la terreur, dont j’ai l’intégralité, je m’aperçois que ce qui paraissait bref sur place prend à présent une dimension qui confine parfois à l’ennui. Il est vrai que tout fonctionne en boucle dans chacune des salles et que l’image, elle-même répétitive, associée à la bande sonore, allège, tout en accentuant la scansion (pas clair). Sans l’image, il y a une certaine lourdeur (en même temps, c’est bien de ça qu’il s’agit, c’est-à-dire d’un rythme, d’une cadence immuable qui va jusqu’à l’abrutissement [un martèlement] – le bourrage de crâne, l’interrogatoire, etc.). Je condenserai pour renforcer…

 

* nous y avions passé quelques jours, Éléonore et moi (note du 31 octobre 2021)

 

 

 

29 avril

 

Au cours d’une longue discussion au sujet de la musique, de la chanson, des réminiscences, Laurent m’a dit que la boulimie de lecture et d’écoute n’était qu’une recherche plus ou moins consciente de la coïncidence. J’avais illustré avec mon fameux « Sit you down, father, rest you »*. Puis il m’a demandé si je m’étais décidé pour mon rôle d’acteur dans le film de Wilfried. « Alors ? » « Je ne sais pas. Je n’ai toujours pas d’idée. » Je lui ai alors parlé de Gabriel dont il ignore l’existence, et des textes qu’il avait commis durant les premières années du Lys. Une fois rentré, j’ai tiré du stock Lucie, L’atour de l’aimant, Mes chers amis. Je lui avais dit que mon texte préféré était sans doute Lucie. Lorsque je lui avais parlé de l’idée d’Hermès, c’est-à-dire de rédiger mon journal sur les murs de la cellule, puis de la liste de Lucie, il m’avait dit : « Eh bien, inscrit cette liste sur les murs… » J’ai relu Lucie avec une émotion légitime et compréhensible, d’autant qu’à ce moment-là j’avais V. en tête (elle n’était pas au rendez-vous de ce 28 avril), puis L’atour de l’aimant qui me paraît tout de même un peu léger aujourd’hui, encore que je trouve la présentation magnifique. J’aime la manière d’écrire de Gabriel… Je n’ai fait que survoler Mes chers amis que Léo a eu raison de ne pas aimer à l’époque de sa sortie… Wilfried m’a appelé ce matin. Il m’a parlé d’une pièce consacrée au journal de Tarkovsky, elle l’avait enchanté. Puis il m’a posé la question que j’attendais : « Alors ? » Je lui ai dit « d’accord » tout en lui avouant que je n’avais pas la moindre idée. Il m’a dit que pour la cellule de Moulins, le planning était un peu serré, mais qu’il était question d’une seconde cellule dans un autre endroit pour quelques participants, dont Hermès. Ce serait en juin. « D’accord. » En écrivant, me vient l’idée de Gabriel qui rédigerait un journal amoureux sur les murs, c’est-à-dire chaque jour de la semaine assorti de plusieurs prénoms de femmes…

 

* ce sont les derniers mots audibles du chaos de la fin d’I’m the Walrus des Beatles. J’avais écouté cette « chanson » stupéfiante une centaine de fois et, à chaque écoute, résonnaient ses six mots « sit you down father rest you ». Je ne les comprenais pas vraiment, les entendais plutôt phonétiquement, je n’en connaissais pas la source (mais ça ressemblait à une bande son radiophonique), ni la raison d’être, mais ils me fascinaient. Des années plus tard, une bonne vingtaine pour le moins, j’avais rencontré Éléonore, elle m’avait parlé de Shakespeare et, durant un temps, nous avions lu ses pièces à voix haute, et plutôt que de choisir chacun un personnage (elle les femmes, moi les hommes, par exemple – et dans ce cas de figure, il y aurait eu une nette inégalité), nous alternions les répliques sans nous préoccuper du sexe des personnages. Un jour, nous avons « joué » King Lear. Dans la scène VI de l’acte 4, il n’y a que des hommes, Gloucester, Edgar, Oswald, King Lear et un gentleman. Nous alternions donc, j’ai été l’un et l’autre puis un autre, ainsi qu’Éléonore, et, à un moment donné, c’est elle qui a été Gloucester qui dit : « What, is he dead ? », et Edgar, donc moi, lui répond : « Sit you down, father, rest you ». Je me suis tu, pétrifié : la voix qui était sortie de ma bouche était celle que j’avais entendue une centaine de fois sans savoir d’où elle provenait et je venais de la prononcer exactement de la même manière avec les mêmes intonations (le hasard a fait que c’est moi qui ai prononcé ces mots ; je suis pratiquement sûr que je n’aurais rien remarqué si ça avait été elle qui les avait dits). En sachant cela, on peut entendre les paroles qui précèdent : elles proviennent de King Lear, extrait d’une émission de la BBC à l’époque (note du 1er novembre 2021)…

   

 

3 mai

 

Au retour, j’ai trouvé un inconnu dans le séjour, un homme un peu musculeux au type latin assez prononcé, espagnol ou italien. Je n’étais pas très disposé à parler, me suis forcé à soutenir un semblant de conversation jusqu’à ce qu’arrive la question fatidique. « Et toi, qu’est-ce que tu fais ? » Je me suis embrouillé, ai bafouillé jusqu’à ce que me vienne l’idée de lui montrer la vitrine. J’ai commencé par le commencement, c’est-à-dire par le journal. « Vertical, je suppose. » « Pardon ? » Je l’ai regardé en deux fois. « Éléonore t’en a parlé ? » « Non, pas du tout. Mais je ne vois pas bien l’intérêt d’un journal horizontal. » J’avoue que j’ai eu du mal à assimiler ce que je venais d’entendre et il m’a fallu un temps avant que je ne me lance et lui explique tout. Il m’a posé de multiples questions, m’a dit qu’il écrivait aussi, de la poésie, du théâtre. Il s’appelle Diego, est espagnol (de Salamanque), enseigne sa langue aux mêmes écoles qu’Éléonore…

 

 

6 mai

 

En face de moi, sur le pupitre, me nargue la liste des pièces du Journal musical. Elle y est depuis je ne sais combien de temps, je la regarde régulièrement. Je n’ai toujours pas trouvé le fil, le sens à leur donner…

Dans le Dot VII figure des choses au sujet de V. Je répugne à les retirer, mais je le ferai tout de même « à cause » d’Éléonore. Mais y trouverait-elle vraiment à redire ? Pourquoi devrais-je me censurer ? Pourquoi mettre au ban cette partie de ma vie et donc du journal ? Il y a, entre autres choses, les recherches que Mylène et moi avons entreprises au bureau à l’aide du fichier employeurs pour retrouver sa trace. Ne devrais-je pas les laisser en masquant les détails ?...

 

 

16 mai

 

Saisie de la semaine en retard, Le Livre du site, les livres sur le côté de mon bureau, tout cela qui m’attend. J’en ai franchement assez. Que puis-je faire pour m’ôter le journal de la tête, ou, pour le moins, pour ne pas m’y forcer ? C’est ce que je fais à l’instant : je me force. J’y pensais lorsque Gaspard* me disait qu’il en faisait trop, qu’il fallait qu’il arrête, souffle, fasse autre chose. Depuis dix ans, je suis pris par la contrainte du journal ; ça n’en était pas une au départ, ça l’est de plus en plus. En même temps, Léo me disait à quel point il avait apprécié le récit du dimanche des pâtisseries**. Je lui ai dit : « Ce n’est donc pas tout à fait vain. » Il aurait été dommage de passer outre à l’époque de sa rédaction. Bien sûr. Je n’ai pas le souvenir de m’être contraint à le faire, mais je l’ai aussi fait pour Hermann. Je l’ai certainement fait davantage pour lui que pour moi…

 

* « mon » garagiste de l’époque

** une après-midi « pâtisseries » à la maison, créées par Herman et moi ; il y avait eu une trentaine de personnes, ça avait été un moment assez extraordinaire, je ne suis pas fâché de lavoir consigné, puis publié (notes du 31 octobre 2021)

 

 

20 mai

 

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur la soirée d’hier au Blockhouse, dernier jour d’une manifestation qui en a duré quatre. EMOS en faisait partie. Les formes se sont confirmées, l’ensemble s’assoit. Ils parlent, se concertent, se donnent des jalons, des pistes ; ont planté des petits drapeaux, mais, entre chacun d’eux, il y a des voies de brouillard à démêler. Mais ils ont des lunettes spéciales, des antennes sensitives qui font que, de l’un à l’autre, ils ne se perdent jamais. Ils savent. Alors, puisqu’ils savent et ressentent, ils ont scintillé pour ma joie. C’est un groupe… Sylvette était là, et Mia (elle est belle tout de même) ; pour l’occasion, elle s’est occupée à sa manière de la décoration : des petits fanions, des tentures, des bougies et des fleurs de métal sur de grandes tables rondes. Ce lieu ordinairement sordide était métamorphosé. C’est exquis, à son image. Elle était à côté de moi durant le concert ; à plusieurs reprises, j’ai eu envie de l’embrasser. Je me demande comment elle aurait réagi…

 

 

6 juin

 

J’ai reçu un coup de fil d’un certain Eustache, l’ami de Sylvette, animateur dans une station locale, RCV. Il me confirme mon passage le 11 à 21 h 00, une émission de deux heures trente. « Il faudrait que l’on se voie avant », m’a-t-il dit, « je te rappelle… » Qu’est-ce qui m’a pris d’avoir accepté cette émission de radio ? Merci Sylvette…

 

 

10 juin

 

J’ai eu un coup de fil d’Eustache (« Tatache », dit Sylvette), nous nous sommes vus à la terrasse du Sébasto pour quelques points de détail au sujet du déroulement de l’émission ; nous nous revoyons demain à la station… (Il m’a appris que Dino* y serait, ça m’a mis en colère. « Je parie que c’est Sylvette qui te l’a suggéré ! » « Oui. Pourquoi, c’est gênant ? » « En soi, pas vraiment, mais elle aurait pu au moins m’en parler… »

 

* auteur, chanteur, interprète que Sylvette avait rencontré et qui était un peu devenu son protégé (note du 1er novembre 2021)

 

 

11 juin

 

J’avais sélectionné une bonne vingtaine de morceaux en pensant qu’il serait toujours possible d’utiliser le CD des extraits du Journal musical en cas de trous, et j’en prévoyais beaucoup au cours de deux heures et demie d’émission. Je savais ce que j’allais dire, le journal, les publications, tout ce que j’ai tant et tant dit et répété, mais encore fallait-il que je sois disposé et qu’ils sachent me les extirper. Eustache m’attendait sur le trottoir, avec une cigarette, son air doux et sa broussaille. Une autre voiture s’est garée en même temps que la mienne ; en sont sortis Sandra, Dino, Léo et enfin Sylvette qui, à peine sortie, m’a fait des grands signes des bras en criant : « ouh ouh, mister Guy ! » En plus de la guitare de Dino, ils avaient des sacs et des sachets pour un pique-nique… Nous avons passé une porte vitrée, puis une autre sur la gauche qui donnait sur l’escalier du sous-sol. Il y a un couloir, un autre, puis une première salle avec des tables, des affiches, des classeurs, des ordinateurs ; c’est le centre de cette station qui, d’après Eustache, est la dernière associative de la métropole à fonctionner avec des bénévoles et sans publicités, ni sponsors. Ils ont déposé les marchandises sur une grande table, les ont aussitôt déballées, Sylvette en tête. Elle m’a proposé à manger, puis un verre de vin ; j’ai refusé : « ni nourriture, ni alcool, surtout pas d’alcool, ne serait-ce qu’une goutte ». Elle a ri. Sa bonne humeur, son entrain m’épateront toujours, et elle me stimule. D’ailleurs, j’avais pensé, si l’occasion se présentait, de la présenter comme ma productrice, « productrice, tour à tour et en même temps, de chaleur et de fraîcheur ». Tout le monde s’est installé pour se partager les raviers, crudités, légumes, sauces, jambon, chips ; sauf moi. Je n’avais en tête que l’arrivée dans le studio, l’installation et la fin de l’émission. Eustache et moi avons parlé de la sélection ; il s’est révélé que plus de la moitié de mes titres étaient superflus : il en a retenu moins d’une dizaine. « C’est largement suffisant », m’a-t-il dit. Puis sont arrivés les trois animateurs, trois, pas moins. Ils ignoraient tout de ce qui devait se passer moins d’une demi-heure après. Ça commençait bien. L’un d’eux m’a demandé de me présenter en quelques mots. Il avait un exemplaire d’un livret que Sylvette lui avait prêté ; il y en avait d’autres sur la table que les deux autres consultaient en silence. J’ai insisté sur le fait que j’aimerais que ça soit axé sur la parution du Journal musical. Ils ont acquiescé, mais en ajoutant : « On verra bien. C’est improvisé, décontracté. » On est passé dans le studio. Nous y étions tous, Léo, Dino, Sandra, Sylvette, les trois animateurs. Le générique a été lancé ; l’un d’eux a fait les présentations, m’a posé une première question ; j’y ai répondu dans le vide, mon micro ne marchait pas. Ça a repris après quelques minutes d’agitation. Cette fois, tout marchait correctement et j’ai commencé à me sentir à l’aise. J’ai raconté, en m’embrouillant un peu, mais je suis parvenu à garder le fil en m’efforçant de ne pas entrer dans mes habituelles digressions. « Quels sont vos pairs ? » m’a demandé l’un d’eux. Le premier nom qui m’est venu à l’esprit, c’est Proust. « Qui était aussi tentaculaire », a justement dit un autre. Le deuxième, c’est Ballard. J’ai parlé longtemps ; Tatiana est passée, j’ai enchaîné sur le Journal musical. Sylvette à côté de moi ne cessait de répéter : « C’est méga super ! Bravo ! » Léo acquiesçait. Je ne comprenais pas, me sentais très confus. Il y a eu Jacqueline, puis un extrait de la Japonaise dont j’oublie toujours le nom. Sylvette battait des mains « super ! ». Puis il y a eu Non piangere, et Sylvette et Sandra ont lu des passages d’un livret. C’était très étrange, inattendu ; c’était la première fois que j’entendais des choses que j’avais écrites… À un moment donné, Léo a été sollicité et on est arrivé au Japon. Eustache a passé un extrait de l’enregistrement que j’avais fait à Shinjuku, la harangue électorale et mon curieux échange avec la sympathisante qui me propose un tract. C’est à ce moment-là que j’ai porté le regard sur la pendule à ma gauche. Deux heures s’étaient écoulées, je n’en revenais pas. Puis ça a été le tour de Dino pour la dernière demi-heure. Ça aurait pu continuer, mais je commençais à bafouiller, n’avais plus les idées très claires. L’un d’eux m’a demandé s’il y avait des points que j’aurais aimé voir abordés. J’ai dit non ; mais il y avait l’opéra, il y avait la manière dont s’est constitué le Journal musical, il y avait le site – je n’ai rien dit du site –, et puis Partch, Massacre, Cage – je me suis dit à ce moment-là que c’était drôle que tout tourne autour du Japon. Puis ça a été fini. J’ai terminé le verre de vin que Sylvette avait fini par me faire accepter, Dino s’est installé, a parlé un peu, trop peu à mon avis, car en vérité j’ignore toujours qui il est – le « chanteur oublié » a dit Sylvette. Il a interprété quelques unes de ses chansons. Laurent a appelé au moment où passait un extrait de son concert chez Léo…

 « On va donc figurer dans un prochain journal », m’a dit l’un des animateurs. « J’ai bien peur que oui. » « Et vous serez gentil avec nous ? » m’a demandé l’un des deux autres. « Oui, très. » J’étais sincère. Contrairement à ce que je craignais et bien que tous trois n’aient rien su de moi avant mon arrivée, ils se sont magnifiquement comportés, et, à croire toute la compagnie, moi itou ; à les croire, j’avais été parfait… Lorsque nous sommes revenus dans la salle, je me suis jeté sur le reste des victuailles. Dommage qu’il n’y ait plus eu de pain...

 

 

24 juin

 

Je lis et relis Dot VIIb dont le passage consacré à la « prestation » de Gala sur des images de Wilfried à la Sécu* ; j’en dis beaucoup de mal et je cherche le moyen d’en parler malgré tout. À quoi cela sert-il ? Ou je le laisse tel quel ou je le supprime. De même pour la soirée chez Omer et Falbala où je parle du malaise que j’avais ressenti en présence de Doriane et d’Antek, de la discussion que j’avais eue avec Marian que je ne peux laisser telle quelle. Mais pourquoi ne pas la supprimer, purement et simplement ? Pourquoi veux-je à tout prix tout mentionner des soirées, des sorties, comme si j’étais redevable de quelque chose aux amis ?...

 

* structure associative qui organise des spectacles (note du 31 octobre 2021)

 

 

27 juin

 

Je pense à Kobe, à La Barge, au Journal musical

 

 

17 juillet

 

Cette nuit, j’ai achevé la copie de toutes les parties sélectionnées pour le château Copreaux. J’y ai ajouté, idée pour la transition entre chaque partie et donner ainsi un rythme à l’ensemble, les parties de ping-pong délestées de toute parole. Ne reste qu’une succession d’échanges de balles, de choc de raquette, d’exclamations, de cris, c’est assez étonnant. Le gros problème, c’est que l’ensemble atteint les quatre-vingt-dix minutes, c’est-à-dire un quart d’heure de trop…

 

 

28 juillet

 

Ce matin, j’ai glissé dans la boîte de la poste les cinquante-cinq enveloppes contenant Dot VII. Soulagement. L’achevé du précédent est le 28 avril. J’avais dû l’envoyer courant mai, c’est-à-dire qu’il m’avait fallu plus de deux mois pour ce numéro. En même temps, je constate que le fichier ne se renouvelle pas beaucoup et il y a eu des abandons. Éternelle question : à quoi sert-il de continuer ?...

J’ai consacré un petit moment à Copreaux. Ça ne va pas. Notamment le début. Comment arranger cela ?

 

 

2 août

 

Après le japonais, et comme il était un peu tôt pour aller me coucher, je me suis finalement installé face à l’écran. Mais pour quoi y faire ? Je n’avais de goût ni d’envie pour quoi que ce soit. Je me suis finalement attaqué à la présentation du premier CD du Journal musical, ça m’a mené à l’aube…

 

 

6 août

 

J’ai achevé la première maquette du livret du premier CD du Journal musical. Couverture grise, papier ivoire. Pas mal. J’ai renoncé à y insérer une reproduction de partition, encore qu’il me vienne à l’instant une idée : Valérie d’un côté et en vis-à-vis le texte à partir duquel elle a été écrite. À voir…

 

 

11 août

 

Le Journal de ma vie selon quatre principes temporels : chronologique, horizontal, vertical, spirale…

 

 

12 août

 

Nous avons invité Léo pour son anniversaire, ainsi que Laurent. Éléonore m’avait dit qu’elle s’occuperait de tout, et, en effet, de la cuisine au jardin, elle n’a pas arrêté : tartes au fromage, zakouski, tomates, puis saucisses, salade (j’avais tout de même préparé la salade). Après le Mortiès de Laurent, à la somptueuse robe d’or, le Corbières de l’ami de Madeleine, j’ai posé un Risannes 2001. Pour clore, le gâteau à base de noix de coco qu’avait confectionné Laura, puis champagne, et, pour parachever, le Calvados paysan que Léo nous avait rapporté de Cabourg. Le tout s’est fait à la bougie et dans la fumée anti-moustiques, et accompagné, nouveauté, par le grésillement constant d’un appareil que l’un des voisins a installé de l’autre côté du mur, climatiseur ou congélateur, on l’entend très bien le soir… Nous avons papoté art, le nôtre en particulier, lui la forme, l’autre le son, le dernier le mot, mot dont il n’aura pas eu le dernier lorsque la conversation a bifurqué sur le temps, passé, futur, et présent, comment est-ce venu ? Oui, Éléonore, les langues, l’espagnol en particulier directement lié à l’Argentine (nous en parlions auparavant) ; elle a ensuite parlé d’une peuplade ou d’un peuple (n’était-ce pas Bali ?) dont la langue serait dépourvue de futur et de passé : ils voient le futur comme un passé et le passé comme un futur, ou, plus logiquement, et c’était là la conclusion, regardent le passé devant eux et le futur derrière (en effet : le passé n’est pas derrière, mais devant puisqu’on peut le regarder sans se retourner). De là le temps, l’illusion, la réalité, passé, souvenir et ce que la mémoire fait de tout cela. Laurent et Léo en parlaient, j’ai voulu me joindre à eux puisque c’est bien mon domaine, mais je me suis tu, ai simplement écouté tant il me semblait que tout ce que j’aurais pu dire à ce sujet ne pouvait être que du domaine de l’évidence, évidence après toutes ces années passées à y penser, à tâcher d’en exprimer la vérité (et s’il y en a une, c’est bien celle-là), à accumuler les sentences et les réflexions, à piocher dans mes capacités pour en faire surgir la solution, c’est-à-dire l’expression par l’écrit de la simultanéité de tous les instants. En bref, le point. Mais puis-je réellement en parler ? J’en ai douté à ce moment-là, et le doute n’a fait qu’accentuer le silence qui m’a saisi. Pourtant, alors qu’à ce silence mien se mêlait une pause générale, j’ai jeté, en ayant tout à coup à l’esprit le passage révélateur et implacable d’In the mood for love où le processus narratif fait se confondre sans superposition trois moments séparés du temps qui dès lors n’en deviennent qu’un : « L’écriture ne peut rendre compte de la confusion du temps. » « Moi, je crois plutôt qu’il n’y a que l’écrit qui puisse le faire », a dit Léo. « Il y a Claude Simon qui le fait », a dit Laurent. « Non, Simon tente, mais n’y parvient pas. Ce n’est qu’une approche, il n’y arrive pas. Une illusion, en quelque sorte. » Et je veux dire que seule la musique, le son peuvent y parvenir, et de même l’image. Et je veux apporter ma contribution, le gâteau arrive, se pose, il accapare toute l’attention et me laisse complètement frustré. J’ai attendu quelques minutes, attendu que les bougies veuillent me rendre la couverture, mais il était trop tard, et j’ai bien été obligé de me taire et de garder pour moi ce qui, à ce moment-là, m’était apparu comme une révélation. Puis le temps a été évacué, Laura est rentrée, a pris un verre de champagne avec nous tout en répondant au tir nourri des questions de Laurent et de Léo : l’Argentine…

(De la discussion autour de la singularité : Laurent m’a qualifié de pessimiste car je ne crois pas en une société de singularités – il n’y a pas à y croire ou non, puisque c’est inconcevable... Je me suis aussi rendu compte que j’étais habillé exactement de la même manière que sur la photo que j’avais envoyée à Léo du Japon, celle au restaurant du Ryokan-Ji ; j’avais même les cheveux relevés en queue, alors que je ne le fais jamais...)

 

 

14 août

 

J’ai eu une petite frayeur cette nuit juste avant d’éteindre et d’aller me coucher : la disparition du disque D et tout son contenu. La quasi-totalité de mes fichiers sont copiés, copies que j’effectue régulièrement sur l’autre disque et qui s’ajoutent à celles déjà effectuées sur disquettes et sur un CD à l’époque où j’avais acheté cet ordinateur-ci. Sauf un d’importance : Copreaux, qui était trop lourd pour être archivé sur le C, et cela signifiait des dizaines d’heures de travail perdues, et également la maquette du livret du JM 1 qui m’avait aussi demandé des heures de travail. J’ai immédiatement pensé à Samuel, mais Samuel est en Angleterre jusqu’en septembre. Alors, en désespoir de cause, j’ai tout éteint avec à l’esprit la totalité de la saisie de l’après-midi perdue. Mais au moins en avais-je une trace manuscrite. J’ai misé sur ma bonne étoile qui ferait que Samuel puisse tout récupérer. Et je me suis couché. C’est en fermant les yeux que j’ai pensé à l’enregistrement de la centaine de pièces du Journal musical. L’avais-je copiée ? Je me suis levé, ai couru jusqu’à l’ordinateur, l’ai rallumé. C’est là que j’ai eu la surprise de découvrir que tout était rentré dans l’ordre, que le disque D n’était pas mort comme je le pensais. J’ignore ce qui s’est passé, mais tout est revenu à sa place. Une fois rentré de chez ma mère, j’ai immédiatement fait la copie de Copreaux, plus les derniers fichiers, dont le travail sur la traduction, qui ne l’avaient pas été. Désormais, il faudra que je le fasse systématiquement, aussitôt un travail achevé. C’est arrivé une fois, je l’attendais du reste, et il y a toutes les chances que ça se reproduise…

 

 

2 septembre

 

J’ai repris la relecture de La Barge. Que lui manque-t-il pour que je me décide à la publier ? Dans la tête : Blocs de voyage, Kobe. Et puis le vrac du Journal sonore qui se précise dans mon esprit. J’attends le déclic pour m’y mettre tout à fait.

Je n’ai pas réécouté Copreaux…

 

 

23 septembre

 

Nous étions installés au second rang, j’avais posé mon petit sac sur le sol, micro incliné à cinquante-deux degrés. Le son était amplifié, mais insuffisamment. L’enregistrement n’est pas des mieux, mais c’est parfaitement audible. Ce sera une autre trace de Duchêne*… Lorsqu’il a parlé de l’âge, du vieillissement, de sa « mort prochaine » (était-ce délibéré ?), il a été secoué de quintes de toux, à plusieurs reprises, lourdes, grasses ; je n’ai pu m’empêcher de penser que cette trace sonore de lui était peut-être l’ultime (de la même manière que pour Donald dont j’ai une espèce de testament sonore)...

 

* un discours qu’il avait prononcé au Musée de Villeneuve d’Ascq à l’occasion de la donation de ses œuvres (note du 1er novembre 2021)

 

 

24 septembre

 

Je viens de retrouver dans mon cahier un brouillon à la limite du lisible. Il s’agit d’une présentation à l’édition éventuelle des émissions de radio*. Le voici, en substance :

« Aucune trace écrite ne rend compte de cette (mot illisible qui remplace “ collaboration ” biffé, mais duquel il subsiste le “ co ”.) faite à une époque où le journal n’existait pas, où le temps était livré à lui-même, où, Léopold Franckowiak et moi-même, collaborions étroitement au sein de la Styko Fondation dans le cadre de ses manifestations radiophoniques. Je ne peux donc me fier qu’à ma mémoire pour rappeler que passée une période (illisible, “ transitoire ” peut-être) Itinéraire en a été la forme achevée. Il y a eu 4 n°. »

 

* en 1983, 84, sur les ondes de Radio-Lille ; je prévois de les faire entrer dans la rubrique Le Son de ce présent site – mais de quel cahier s’agit-il ? en toute logique, le brouillon aurait dû se trouver à cette date dans le cahier 82 (LXII), il n’y est pas (note du 31 octobre 2021)

 

 

29 septembre

 

J’ai vu et revu le livret censé accompagner le premier CD du Journal musical. J’ai très peu de place, six misérables pages, et il faut condenser, en dire le maximum, encore qu’il me reste les suivants pour le texte. Cela m’a donné l’occasion de replonger dans le livret du dossier de l’opéra. Ce n’était pas si mal, tout de même…

(Je poursuis mes leçons de polonais, en ayant du coup abandonné l’espagnol et surtout le japonais auquel je ne concède plus qu’un vague coup d’œil…)

 

 

8 octobre

 

J’ai travaillé au livret du Journal musical, divers essais, texte revu, refait, choix de couleurs, de couverture. Rien de satisfaisant pour l’instant…

 

 

10 octobre

 

Dans l’après-midi, saisie de la semaine que j’ai interrompue pour me rendre au Blockhouse y voir et entendre Laurent. Week-end portes ouvertes, c’était l’occasion de découvrir les étages où s’alignent des ateliers. Celui de Laurent est au troisième, porte rouge (ouverte), qu’il partage avec un inconnu, sorte de guitariste qui ose encore le truc des objets, métalliques de préférence, frottés contre les cordes, il en pend un peu partout, le tout (ou plutôt la guitare, quoique ça soit le tout) branché sur ordinateur, bricolé, trituré, je n’en redemande pas. Laurent proposait un Opéra minuscule de moins de quatre minutes. J’avais avec moi mon sac à son, micro, enregistreur – dont la batterie a lâché au bout de deux minutes, la première pile de secours au bout de trente secondes, la seconde a duré juste le temps nécessaire pour enregistrer, voilà ce qu’on appelle être bien préparé. Il n’empêche, c’est sur le disque. C’est un « brouillage numérique » que suit une bande-son avec expressions de bébé et une mélodie de piano d’enfant qu’il accompagne à l’unisson au sax. La mélodie a été écrite sur le principe de la note accordée à la lettre (la A, si B, etc.), lettres d’un texte intitulé Et si. C’est court, frais, léger ; comme un interlude, une comptine. L’expression « brouillage numérique » appartient à un individu qui, aussitôt la pièce achevée, s’est dirigé vers Laurent pour lui signifier à quel point il détestait les « brouillages numériques », en faisant référence à Chion qui « explique bien la différence entre analogique et numérique ». Tiens. Cette franchise m’a étonné, et davantage l’absence de réaction de Laurent, encore que je sache qu’à mon image il est dans le doute, manque d’assurance, est fragile, inquiet. Après son départ, Laurent est venu vers moi et m’a dit : « Il faut que je te demande quelque chose ! » La pianiste prévue pour son expo de janvier l’avait lâché, il cherchait un ou une pianiste, m’a proposé que je la remplace. Je lui ai dit ce qu’il en était : ma peur-panique de jouer en public. Mais je n’ai pas dit non. Il m’a montré les partitions, j’y ai jeté un œil, rien de compliqué. Je lui ai promis une réponse rapide… J’ai commencé à déchiffrer les partitions une fois rentré ; pas difficile techniquement, en effet, mais sans repères, ça sera une autre difficulté. Beaucoup de tension en perspective, mais comment lui refuser cela ? (Je descendais les escaliers, étais presqu’au rez-de-chaussée, suis remonté pour lui dire que j’étais d’accord…)

 

 

12 octobre

 

Je peux considérer le livret du Journal musical comme achevé. Reste le CD. Je m’aperçois que le blanc de l’étiquette ne convient pas du tout. Je cherche désespérément une idée…

 

 

27 octobre

 

Le film de Wilfried, il y a quelques jours. Gabriel est enfermé dans une cellule ; s’y trouve un matelas recouvert d’un drap, une bassine, une chaise, un radiocassette, un tas de feuilles chiffonnées, un rouleau de ruban adhésif ; sur le lit : des cassettes audio, les gants, briquet, étui à cigarettes. Il a ses lunettes de soleil, son écharpe, son blouson ; il est assis dos à la caméra, regarde le mur ; il avise le tas de feuilles, se lève, s’en empare, fait le tri, en tire une longue bande qu’il va coller au mur à l’aide de l’adhésif. Deuxième plan : la bande est collée, il commence à y tenir son journal amoureux, c’est-à-dire les jours de la semaine assortis de prénoms féminins (et sa stupéfaction, à ce moment-là, de se trouver face à un vide total : pas le moindre prénom qui lui vienne à l’esprit). Troisième plan : la bande de papier est largement couverte, la radio diffuse de la musique (il a choisi de ses propres cassettes, c’est-à-dire mes compositions). Une seconde bande sera ajoutée à la première, plan où il choisit des cassettes et les insère dans l’appareil, plan volé où il prononce à voix haute chacun des prénoms, pris tout à coup d’inspiration, il les alignait tout en les prononçant et en ne sachant pas que Wilfried avait laissé tourner – mais, à un moment donné, il s’en est douté et, à partir de ce moment-là, a joué – mais pas vraiment ; c’était en vérité un moment étrange où il s’est trouvé entre le naturel du départ et le jeu qui était tout à la fois offert aux observateurs – un auditoire à ce moment-là, et est intervenu le fait que jusqu’à ce moment-là il avait beaucoup peiné, qu’ils l’avaient aidé pour les plans hors-champ, et il s’était tout à coup trouvé très enjoué de pouvoir enfin se débrouiller seul – et à la caméra. C’est lors de ces passages à blanc où ils lui soufflaient des prénoms – qu’il écrivait aussitôt – que Wilfried a prononcé celui de V. Il l’a aussitôt écrit et même répété par la suite. Il y avait évidemment deux prénoms qui s’imposaient et auxquels il a immédiatement pensé : Éléonore et V. Il a écrit Éléonore, mais il hésitait à écrire celui de V. Pourquoi ? Reste le tout dernier plan suggéré par Wilfried : la cellule est vide, tout est rangé sur le côté, le détenu est parti. « Il faudrait que quelque part figure un prénom, en évidence, qui pourrait être le préféré de Gabriel, la seule femme qui, au bout du compte, a de l’importance pour lui. » Il a dit : « Non, c’est un secret. » Il n’imaginait pas une seconde que ce prénom puisse être de la fiction ; il fallait que ça soit réel. Mais lequel ? Le premier qui lui est venu à l’esprit est celui de V. ; puis il a pensé à Éléonore ; mais il ne pouvait pas l’utiliser, c’était trop facile et d’une certaine manière « déplacé ». Pour V., c’était impossible vis-à-vis d’Éléonore. Alors ? « C’est de la fiction », a dit Hermès, « ça n’a pas d’importance. » « Moi, je pense que ça en a. Et quand bien même, lequel choisir ? » « Alexandra », a fait la script. « D’accord pour Alexandra. » Le cadreur a eu alors cette belle idée : faire écrire le prénom sous le matelas qui, tout à la fin, serait appuyé contre le mur. « C’est avec elle qu’il aura dormi durant tout ce temps. » « Sur un lit sans draps », a dit Hermès. Il aurait tant aimé pouvoir y écrire celui de V… (« C’est drôle », lui a dit Wilfried, « tu as le numéro 22 sur la liste des détenus et nous sommes le 22 !... »)

 

 

9 novembre

 

C’est le vide dont j’étais empli (!) qui m’a tenu englué dans le sofa face à la télé toute la soirée, je ne parvenais pas à m’en défaire. J’y suis parvenu durant le générique pour aller m’installer face à la partition de 1296 de Laurent et en poursuivre le déchiffrage. Avant-hier, il m’avait envoyé un message pour me demander où j’en étais. Il est impatient, veut réaliser un enregistrement sur fond d’images qu’il diffusera après la première en direct. Je pensais avoir tout mon temps jusqu’au 8 janvier et, à présent, je vais devoir accélérer. J’y ai passé une petite heure, détermination des doigtés. Je suis ensuite monté pour ne rien faire de ce que j’avais prévu, les notes pour Kyoto*, la suite de Köln. J’ai passé un bon moment sur le bloc-notes de Séraphin et de ses deux compagnons en Chine, leur ai rédigé des notes fantaisistes. J’avais de même prévu de regarder Soleil vert en fumant le cigare que m’avait offert Gélase. À la place, j’ai survolé Dot 8 sans la moindre conviction…

 

* à la demande de Thierry Derosier pour le numéro quatre de sa revue GAZ ; la photographie est de Patrick Genty (note du 1er novembre 2021)

 

 

17 novembre

 

Mon ordinateur m’a lâché, je l’ai porté en réparation et j’utilise le laptop d’appoint (j’ai bien fait de ne pas l’acheter : multitude de problèmes, mauvais clavier). J’y reçois mes mails (dont un, hier, de Léo pour annuler le cours de ce soir, le premier depuis un an, ça m’a mis en colère). Mais si je peux recevoir, je ne peux pas envoyer. Mystère. J’ai travaillé 1296 (je n’ai toujours pas vérifié si, après transcription, le compte était exact), puis suis monté dans l’étrange silence du grenier. J’y ai achevé le grec, comme si de rien n’était…

 

 

18 novembre

 

J’ai vérifié : il y a neuf cent quatre-vingt notes. J’en ai parlé à Laurent qui m’a dit qu’il ne s’agissait que du compte des lettres du poème*…

 

 * à la relecture, hier, je me suis gratté la tête, et, cette nuit, je lui ai écrit pour lui en parler, il m’a répondu : « En correspondance lettres/notes, j'ai “ noté ” 296 accords de 6 notes chacun, mais parfois il y avait deux fois la même lettre dans l’accord et donc ce dernier n’avait plus 6, mais 5, voire 3 notes. Ceci explique qu’il y ait 1296 lettres et simplement 980 notes (mais j’avoue ne pas avoir compté ces dernières)... » (note du 1er novembre 2021)

 

 

21 novembre

 

Samuel cherche des musiciens pour la soirée Téléton, Éléonore en a parlé à Laurent. Laurent a appelé Samuel pour lui proposer une sorte de performance : lui seul sur une scène avec son sax qui se ferait payer pour tenir une note le plus longtemps possible : dix euros la minute. J’aurais bien voulu voir la tête de Samuel à l’autre bout du fil…

Je pensais à Laurent qui allait arriver pour que je lui montre ce que j’avais fait de Tel l’égoïste et de 1296 ; je sentais la tension monter, me sentais comme à la veille d’un passage en concert. Est-ce bête, n’est-ce pas ? Nous sommes aussitôt passés dans le séjour, je me suis installé au clavier, lui à ma gauche et je lui ai dit : « Est-ce bête : je me sens comme à la veille d’un concert ? » Il a souri, j’ai attaqué L’égoïste, ai raté la deuxième mesure, me suis empêtré, arrêté, ai repris, c’était lamentable, impossible de chasser la tension. Je suis malgré tout parvenu à atteindre la dernière mesure, lui ai demandé de m’excuser, il a souri, m’a dit de ne pas m’en faire. Nous avons alors parlé des nuances, du tempo. Il m’a donné quelques indications d’interprétation tandis que je m’imaginais dans la salle du Centre d’Art, tendu comme un arc, me voyais rater ces quelques mesures d’une écriture simplissime que n’importe quel débutant parviendrait à exécuter à vue. Puis ça a été 1296. Je me sentais un peu mieux et 1296 n’est pas au point, j’y travaille. Je lui ai dit que j’étais particulièrement gêné par l’alternance des dissonances et des harmonies qui fait que je peinais à trouver une couleur d’ensemble. C’est alors qu’il a eu l’idée de le jouer en trois temps et non en deux pour lui donner l’aspect d’une sorte de valse lente, cassée, cahotée. J’ai essayé, c’était beaucoup mieux, c’était ce qui convenait. De ce fait, je me suis senti mieux, plus à l’aise et j’ai su que je pouvais désormais donner une forme « musicale », « audible » à cette pièce purement aléatoire, basée sur les mille deux cent quatre-vingt-seize lettres d’un poème formé de trente-six vers de trente-six lettres. Il m’en a donné une copie, je l’ai lu, l’ai trouvé pas mal du tout. Il m’a ensuite montré un essai de texte qui consistait à donner à chaque lettre un corps inversement proportionnel à son apparition. Les « e » sont minuscules tandis que le « J » ou le « Y » sont gigantesques. C’est également aléatoire, c’est une règle arbitraire, mais l’effet est somptueux : de la beauté née du hasard (pas vraiment). J’ai pensé à certaines de mes pièces construites sur une règle arbitraire et dont le résultat s’est parfois révélé stupéfiant, Valérie, par exemple… La tension était toujours là, même si je me sentais beaucoup mieux ; impossible de la chasser, et elle est encore restée longtemps après son départ. Mais je sais que la prochaine fois, ce sera au point, que je serai au point…

 

 

25 novembre

 

Copulation, population. Je me demande à l’instant combien de couples à une seconde donnée forniquent dans le monde. À cette seconde-ci par exemple. Vingt millions, trois cent millions ? (Enregistrer le son de chacun d’eux et les diffuser tous simultanément…) (Le chant du rut – en ut…)

 

 

1er décembre

 

Sylvette nous a invités. Du coup, je me suis mis au CD que je comptais constituer à partir de l’enregistrement à Malo*, puis, le soir même, à la Renaissance chez Léo (mais je n’aurais sans doute pas terminé)…

Je travaille mollement à Dot VIII. J’ai envie de tout jeter par la fenêtre. Dégoût. Vide. Ça ne vaut pas un clou…

 

* si mes souvenirs sont bons, il s’agissait du jour de la présentation de la nouvelle Marie de Léo à la population de Dunkerque ; nous étions ensuite allés au musée, puis sur la plage, j’avais tout enregistré (note du 1er novembre 2021)

 

 

5 décembre

 

À mon retour de chez ma mère, j’ai trouvé la maison déserte. J’ai laissé fruits et laptop dans le couloir et me suis jeté sur le piano pour travailler les pièces de Laurent, puis pour me lancer dans une très longue (et belle) improvisation. (Je suis fait pour l’improvisation…)

 

 

6 décembre

 

J’ai achevé Méli-Malo. Ce sera le deuxième hors-série du Journal sonore. Privé…

 

 

17 décembre

 

À l’instant, Laurent m’informe que le piano arriverait le 6 au Centre d’art ; il serait magnifique : j’aurai toute la journée du 7 pour travailler sur place. Au soir, en lisant, j’ai été saisi par une sorte de somnolence à la fois délicieuse et insupportable. J’ai fini par réussir à me tirer du canapé pour rejoindre le piano et travailler les pièces de Laurent. J’en parlais avec Léo ce midi, lui disais à quel point tout cela me mettait sous tension, et je cherchais en vain une réponse à cette éternelle question : pourquoi se mettre en péril ? Pourquoi s’imposer ce qui forcément sera une épreuve dans laquelle le plaisir n’aura qu’une faible part (voire aucune) ?

 

 

22 décembre

 

Je suis passé au Centre d’Art à la demande de Laurent qui y achève son installation avant la fermeture du centre jusque début janvier. Le texte 1296 occupe la totalité du mur de gauche ; les deux murs qui encadrent la porte de la cuisine supportent un dispositif de douze haut-parleurs plus un (« Le treizième, en bas, est à l’usage des handicapés, des nains et des enfants. » « Et des chiens », a ajouté Séraphin.) Une composition sonore en sort. Un moniteur diffuse les voix de Butz et Fouque* qui disent le texte ; sur un autre moniteur s’affichent des fragments du même texte soumis à un « morphing » ; une « cabine » téléphonique servira aux dépôts des sons**. Ce n’est pas tout à fait fini, il manque encore quelques éléments. J’écoute, regarde tout en fumant une cigarette avec un café offert par Séraphin. « Et toi, tu seras là ! » m’a dit Laurent. Il m’a indiqué de l’index l’emplacement face au texte du mur. Je n’ai rien ressenti de particulier à imaginer la même salle emplie d’un public qui m’écoutera (mais non, c’est lui qu’il écoutera, je ne suis qu’un interprète). Nous sommes ensuite allés dans l’atelier où il m’a montré les trois affiches correspondant aux textes des pièces restantes Et si… Ma vie, Tel un égoïste ; à l’instar des pièces, elles ne seront pas présentes ce jour-là, ni les autres jours de l’exposition. Nous enregistrerons tout de même les pièces. Ces trois images sont magnifiques, entrelacement de lettres des textes et de la reproduction des toiles qu’il a choisies, notamment celle d’Ingres qui est tout simplement splendide. Il y aura un cube spécial dont chaque face sera dévolue à une voyelle et portera le même texte débarrassé de ladite voyelle. Il y a enfin, le tout encore en préparation, les feuillets qui reproduisent le texte avec sa règle typographique spéciale, tel qu’il me l’avait montré sous forme de cahier. Je pressens quelque chose d’une grande beauté. J’espère être à la hauteur… Au moment de mon départ, Léo est arrivé avec un gros rhubbe [sic]. Il part aujourd’hui pour l’Allemagne…

 

* Perrine et Bénédicte, duo d’artistes photographes que nous avions rencontré quelque temps auparavant et qui, durant un temps – jusqu’à ce qu’elles versent dans le racolage –, m’avait fasciné

** durant quelques jours, des enfants du quartier sont venus déposer des sons que Laurent a enregistrés pour les diffuser ensuite au cours de l'exposition (note du 1er novembre 2021)

 

 

 

27 décembre

 

Laurent. J’avais hésité à aller chez lui. Je ne me sentais pas en forme suite à la journée d’hier que j’ai passée complètement hagard. Dans une certaine mesure, il n’était pas non plus vraiment nécessaire que j’y aille puisqu’il avait entendu les pièces et rien ne pouvait vraiment se décider avant l’arrivée du Steinway. Il avait entendu les pièces, sauf une : Ma vie, je ne l’avais pas encore travaillée la dernière fois qu’il était passé à la maison ; et c’était une manière de me tester dans un état de tension, l’état du jour dit. Mais, finalement, ça s’est bien passé et mieux, cette répétition a permis de revoir le placement final. Il apparaît que 1296 fait près de vingt minutes, et qu’Et si… et Tel un égoïste sont de belles pièces qui pourraient très justement être alternées avec les deux duos qu’il compte interpréter le jour du vernissage. Nous avons décidé que présenter 1296 le jour du vernissage serait une erreur : trop longue, trop austère, inadaptée au contexte : ce n’est pas un concert. De ce fait, elle serait jouée la veille pour quelques privilégiés, puis enregistrée pour que Laurent la diffuse durant l’exposition, de même pour les autres pièces. En revanche, Et si… et Tel un égoïste seraient jouées le jour même ; ça me soulage beaucoup : je les aime toutes les deux, j’aurais un réel plaisir à les interpréter et elles sont adaptées à un public qui, vu les circonstances, sera impatient (et elles sont courtes). En outre, quelques suggestions de Léo lui ont fait revoir la disposition générale de l’exposition : les affiches seraient présentes et, si j’ai bien compris, l’espace serait divisé en deux parties : l’une dévolue à 1296, l’autre aux trois pièces et ce qui en découle, ou plutôt ce qui leur est lié, c’est-à-dire les affiches…

 

 

30 décembre

 

De temps à autre, lorsque je suis au rez-de-chaussée et que le séjour est désert, je m’assois au piano et égrène les pièces de Laurent. Et si… est une quasi jouissance et je suis ravi que nous l’ayons retenue pour le vernissage. Je ne me presse pas, ne m’inquiète pas ; j’aurais deux jours pour m’accoutumer au piano et lui adapter les pièces…

J’ai un peu travaillé à Copreaux qui reste tout aussi bancal. Je pense que je ne le réserverai que pour Hermann…

 

suite

retour