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2004

 

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9 janvier

 

C’était au St Amour, repas de l’après vernissage de la nouvelle expo d’Antek. J’étais à côté de Marian. Nous avons beaucoup parlé, échangé des blagues sans que je sois parvenu à me faire à son grandissement, à adapter mon langage à son nouvel âge alors que je m’étais toujours adressé à lui sans penser à un quelconque décalage. À un moment donné, il m’a demandé avec beaucoup de gravité : « Tu ne parles jamais de ta jeunesse. Comment étais-tu enfant ? » Ça m’a complètement décontenancé...

(Il dit « immensément », comme son père…)

Je viens d’achever la spirale H-V pour la prochaine série de Journals qui confondra 2003 et 2004 en cours (elle s’intitulera DOT, Le Point)…

 

 

26 janvier

 

Laurent est passé avec son laptop et sa carte-son. Démonstration. Nous avons parlé son, musique, littérature, Boulgakov en particulier (Le maître et Marguerite qui l’enchante)… Il me reste une dizaine de CD à graver. Il y a en aura soixante-et-un, c’est-à-dire le nombre d’étiquettes que j’ai pu « sauver » de la catastrophe de l’impression, tout allait de travers, ça n’arrêtait pas de coincer, j'ai dû en jeter la moitié. J’en ai un peu moins pour l’étiquette intérieure, cinquante-six, il me semble. Les cinq derniers n’en auront pas, voilà tout… J’ai aussi imprimé les couvertures, je les massicoterai demain...

 

 

28 janvier

 

Les cours prennent une allure et un tour de plus en plus décontractés. À peine étais-je arrivé que le thé était servi. Antek m’a longuement parlé de son ami italien mourant qu’il était allé voir à l’hôpital ; il va mieux, ou moins mal : se déplace avec beaucoup de difficultés, est dans un état semi-catatonique. Il m’a raconté tout cela, bouleversé. Puis Marian et moi nous y sommes tout de même mis, le quatre mains de Mozart, nous avons beaucoup ri. Il n’empêche : ça prend forme… (À présent, lorsque j’arrive, Marian, après que nous nous sommes faits la bise, me donne une petite tape sur l’épaule avec un air très sérieux…)

 

 

4 février

 

J’ai sonné. Antek a ouvert et m’a aussitôt entraîné vers la pièce du jardin où se trouve leur ordinateur. Il avait déjà un drôle de sourire, et c’est avec le même sourire qu’il m’a demandé de m’asseoir face à l’écran. Je me suis assis, il souriait. Il n’y avait rien de particulier sur l’écran, mais j’ai noté, de chaque côté, d’étranges structures en plastique translucide, deux en forme de tubulures, deux autres comme des boules, un dernier à l’arrière comme un bocal à poissons. Des fils du même plastique en émergeaient pour se rejoindre à l’arrière de l’ordinateur. Il a pressé la souris. Un son est sorti. Des sons. Beefheart : il s’agissait d’haut-parleurs. « Écoute, écoute ! » J’ai écouté. « Écoute bien ! » J’écoutais Safe as milk qui sortait de ce curieux assemblage futuriste, les tubes pour les aigus, les boules pour les médiums et les basses qui provenaient du bocal. « Fantastique ! Écoute comme c’est beau, comme c’est clair, comme on entend bien tout ! » En effet, le son était d’excellente qualité, mais ça ne me semblait pas justifier son état ; figé, sourire aux lèvres, il était en extase, comme un enfant face à un prodigieux jouet. C’était démesuré et, pour je ne sais quelle raison, ça m’a mis mal à l’aise. Il a sorti le CD, m’a remplacé sur la chaise, en a glissé un autre. Et tout à coup, plus rien : la souris s’est bloquée, plus de son, tout s’est bloqué. Alors, il s’est énervé, de la même manière excessive et disproportionnée. « Merde ! merde ! qu’est-ce qui se passe ? » Il a trifouillé, a cliqué au jugé, s’est énervé de plus belle ; il n’y connaît rien, l’a dit et s’est énervé davantage. Le disque a fini par sortir, mais pour disparaître aussitôt après à l’intérieur : il l’avait mis à l’envers. « Je l’ai mis à l’envers ! je l’ai mis à l’envers ! » Plus rien ne fonctionnait. Je lui ai conseillé de tout éteindre, mais il ne savait comment et je ne connaissais rien à ce type d’ordinateur. Il était au bord de la crise de nerfs. Marian est alors rentré de l’école. « Marian ! Viens ! Il y a un problème ! » « Qu’est-ce qu’il y a ? » « Vite, il y a un problème ! » Le ton était le même, celui de l’enfant gâté qui trépigne, ne peut supporter que ça ne fonctionne pas comme il le veut et exige une réponse immédiate. « J’arrive ! » Mais il n’arrivait pas, était aux toilettes. « Tu te rends compte, je lui demande de m’aider et il va pisser ! » Il était furieux. Marian est enfin arrivé : il a tout éteint, a rallumé. Ça marchait. Antek a mis le disque dans la bonne position et de nouveau les sons sont sortis. « Écoute, c’est fantastique ! Écoute comme c’est clair, comme on entend tout ! » Oui, en effet, mais pas davantage que sur une bonne chaîne ; à croire que c’était la première fois de sa vie qu’il se trouvait face à des haut-parleurs. Pour ne pas le contrarier, je me suis efforcé d’abonder dans son sens, tout en pensant à Marian qui attendait près du piano. Je ne savais comment quitter Antek. Marian est alors revenu pour me demander de lui donner un coup de main en anglais. « C’est juste pour vérifier s’il n’y a pas de fautes. » Il m’a tendu un feuillet, j’y ai jeté un œil, tandis qu’Antek répétait « écoute, écoute ! et là, et ici ! ». Je suis parvenu à passer la porte-fenêtre et à me diriger vers le piano avec le texte à la main. Il s’agissait de l’histoire de la St Patrick, en une vingtaine de lignes imprimées dans un caractère inhabituel, gras et tarabiscoté. Je me suis assis, l’ai entamé, ai relevé une ou deux fautes dans les premières lignes tout en m’étonnant de sa maîtrise de la langue et du vocabulaire. Mais, aussitôt après, je suis tombé sur une bourde énorme, élémentaire, suivie d’une autre tout aussi grosse, et d’autres qui ne l’étaient pas moins. J’ai alors eu un doute. « Qu’est-ce que c’est ? » « C’est un texte sur la St Patrick que je dois rendre. » « Oui, je vois, mais c’est toi qui l’as écrit ? » « Euh, oui… non… enfin. En français, oui. » « Et ensuite, tu l’as traduit ? » « Euh oui, enfin… non… enfin. J’ai pris le texte en français sur Internet. » « Et puis ? » « Et puis, je l’ai traduit avec le correcteur d’Internet. » « Tu veux dire qu’il s’agit de la traduction d’Internet ? » « Euh oui… » « Et tu me demandes de corriger un texte d’Internet que tu vas faire passer pour tien ? C’est Internet que je suis en train de corriger, pas toi. » Antek avait entendu,  nous avait rejoints ; il n’en croyait pas ses oreilles. « Quoi ? C’est un texte d’Internet ? Mais comment peux-tu faire une chose pareille ? » « Mais tout le monde fait ça ! » « Mais tu n’es pas tout le monde ! » Moi : « Ce n’est pas parce que tout le monde le fait que tu dois le faire. » Antek : « Arrête. Ne corrige pas ça, ne corrige surtout pas ça ! » Je n’avais pas l’intention de le faire (mais après avoir hésité car ça allait mettre Marian dans une sale situation). Je l’ai posé. « On fait du piano ? » m’a demandé Marian. Nous avons repris le quatre mains, tandis qu’Antek retournait à ses haut-parleurs. Comme les fois précédentes, il m’a fallu un moment avant de m’y remettre, et ça m’a été d’autant plus difficile que j’avais cette histoire de texte en tête ; je pensais au comportement de Marian qui m’avait déçu, d’autant que, volontairement ou non, il avait essayé de me berner. Alors, j’ai accumulé les fautes, et ça l’a agacé ; il me l’a fait sentir, l’a pris de haut, comme si les rôles étaient inversés ; il était manifeste qu’il m’en voulait. Ça a duré quelques minutes. Puis Doriane est arrivée ; elle m’a demandé de l’embrasser pour son anniversaire avant de nous reprocher, à Éléonore et à moi, de l’avoir oublié. « Mais la carte ? » « Quelle carte ? » « Je t’ai envoyé une carte. » « Je ne l’ai pas reçue. Mais c’est possible qu’elle se soit perdue quelque part. » J’ai survolé du regard le foutoir qui règne dans le rez-de-chaussée. « Je vais sûrement la retrouver ! » Elle a disparu, Marian faisait la gueule, je l’ai ignoré ; Antek était de nouveau sur sa chaise face à l’écran à écouter un disque de je ne sais quel groupe électronique yougoslave aux accents nationalistes (faussement ?). Il m’a rappelé. « Viens écouter ! Assieds-toi ! » Je l’ai rejoint, ai écouté. À ce moment-là, on a sonné et j’ai entendu une voix de femme. C’était Pétunia. Elle n’y était pour rien, mais son arrivée n’a fait qu’accentuer mon malaise et une tension qui emplissait la pièce et les reliait tous, Doriane, Antek et Marian (disparu dans la cuisine suite à un accrochage avec son père au sujet d’une sortie avec un copain). Je n’avais qu’une hâte : partir. Je suis resté encore quelques minutes, par politesse vis-à-vis de Pétunia, puis j’ai filé. Derrière ma voiture, il y en avait une autre, phares allumés. S’y trouvaient Tatiana et Véra qui attendaient leur mère. Nous avons échangé quelques mots, je me suis étonné qu’elles ne soient pas entrées. Tatiana sortait d’une audition, une pièce de Beethoven, violon, basson, flûte. Elle a prononcé « Beethoven » avec une sorte d’affectation assez déplaisante ; j’espère qu’elle n’en était pas consciente… Au moment où j’étais parti, je n’avais plus vu Marian. Arrivé à la porte d’entrée, j’avais tourné la tête et l’avais aperçu tout au bout du couloir, dans la cuisine, assis à la table avec une mine d’adolescent rebelle. « Salut, Marian. » Il m’avait fait un signe ; c’est tout. J’avais refermé la porte derrière moi avec l’impression qu’il s’agissait de la dernière fois…

 

 

6 février

 

Nous avons passé deux heures chez Rita, première de leur « Salon de jeu ». Mon petit sac ne m’a pas quitté une seconde, avec la bonnette qui en émergeait comme un petit canon à attraper les sons. Je l’avais mis en marche dans la rue en arrivant, l’ai arrêté à la maison au retour. J’attendais avec fébrilité le moment de m’y glisser. Ce n’est pas d’une perfection absolue, mais c’est tout de même très acceptable. Le seul point défaillant reste la bonnette apparente qui, évidemment, est à mon étonnement (je sous-estime mes semblables), est rapidement perçue par les regards. En l’occurrence, ça n’a aucune importance, personne n’y voit rien à redire, encore que je sois persuadé que subsiste une différence entre l’appareil à images et celui à sons qui ne sont pas perçus de la même manière ; au contraire, c’est même assez comique, et plus drôle que si j’avais déambulé le micro à la main, comme j’avais pensé le faire au départ... Il y a de très belles choses, dont un passage qui m’a ému par la manière dont différents sons et voix s’alternent, se chevauchent, se succèdent… Je me suis dit ce matin que je me passerais du rapport de cette soirée, que l’enregistrement était suffisant, et, d’une certaine manière, me dispenserait de tout commentaire par écrit ; et donc me soulager. Mais quelques détails échappent au micro : l’habillage du rez-de-chaussée en tentures sombres, la multitude de jeux (de foire, mais je ne suis pas sûr qu’ils le revendiqueraient), la variété de leurs couleurs, leur richesse : invention, imagination, humour, ingéniosité, le tout fait de matériaux simples, bois, papier, carton et, pour le labyrinthe, de circuits imprimés. Tout est de récupération ; mais, alliée à l’imagination, ça prend souvent des proportions magnifiques, et, dans certain cas, a des accents de génie (c’est le génie de Léo)…

 

 

9 février

 

Pot de l’amitié. Champagne, canapés, platsek (délicieux du reste) pour rappeler si c’était utile que la majorité de ces mineurs, autant ceux qui se trouvent sur les photos que ceux qui ont trimé dans les galeries, sont polonais*. Thierry, Cécile, Cyril et quelques autres sont arrivés. Nous sommes ensuite partis pour le Sébasto. Thierry m’a accompagné et, durant la route, m’a longuement parlé du Journal sonore, puis de ses nouvelles activités musicales, de Charline qu’il revoit toujours. Au Sébasto  j’ai posé mon micro sur la table sous le prétexte de le montrer à Thierry ; j’ai laissé défiler la « bande » jusqu’au bout. Cécile et moi avons pris des dates, Cyril était saoul…

 

* une exposition de Gélase consacrée aux mineurs du bassin de Lens (note du 27 octobre 2021)

 

 

20 février

 

C’était au Blockhouse où se produisait Entreprise de Main d’Œuvre Sentimentale, deuxième concert auquel j’assistais et que je ne voulais pas manquer, tant par amitié pour Laurent qu’au nom de l’effet qu’avait produit sur moi le premier à la Renaissance. Il y avait une trentaine de personnes, dont Léo, Sylvette, Childéric, Fanny, Séraphin. J’ai pris un café au comptoir, Léo est arrivé, puis Childéric, j’avais mon sac à côté de moi, bonnette en évidence : j’ai mis l’appareil en route. Puis je suis allé m’installer au milieu de la dernière rangée des chaises, près de la table de mixage. Où placer le micro de manière à ce qu’il soit en hauteur ? Rien. Je l’ai donc laissé sur la chaise à côté de moi pour ensuite, après le premier morceau, le poser devant la table. Une petite heure, cinq ou six morceaux dont certains déjà présentés la fois précédente, mais dans des versions sensiblement différentes puisque la base c’est tout de même l’improvisation. Alors, puisqu’il s’agit d’improvisation, c’est la découverte (autant pour eux que pour nous), et donc les hauts et les bas avec des hauts fulgurants et des bas jamais décevants. Tout est enregistré…

 

 

21 février

 

Laurent nous a remis, à Éléonore, Léo et moi un extrait de l’un de ses projets. Il m’en avait parlé. Il s’agit d’un long enregistrement de solos au saxophone dont il ne savait que faire. Il a eu l’idée de les fragmenter et de constituer un mini CD à partir de chacun des fragments. Il doit y en avoir plusieurs dizaines (je n’ai plus le souvenir du nombre exact). Il offre chacun de ses fragments dans un boîtier personnalisé. Chacun possède un exemplaire unique d’une portion de l’enregistrement initial. J’ai le numéro 19, Éléonore le 20…

 

 

22 février

 

Je n’ai pas fait grand-chose durant mon congé, pour ne pas dire rien. Période de transition sans doute. Mais entre quoi et quoi ? Je me dis que c’est entre le dernier Rok, suivi du Journal sonore, et ce qui va suivre, c’est-à-dire Dot qui stagne et devrait déjà être terminé. Je ne fais qu’y jeter un œil de temps à autre ; pas par manque de conviction, mais par paresse. En même temps, je pense au prochain livre, au prochain Journal sonore. En exergue du premier Dot, figure : « Je me disperse trop. » À force de me disperser, d’avoir trop de choses en tête, je finis par ne plus rien faire. C’est vers cela que je me sens tendre… (Tendre. Tendresse pour le rien…)

 

 

24 février

 

Répétition avec Thierry à la maison, Philippe et Jacques et Henri/Joël. Ça n’en finira donc jamais. Nous avons souri en nous remémorant l’illustre période des répétitions du temps de la rue Manuel dont la seule trace, outre celle de notre mémoire, est une succession d’enregistrements dont je ne peux rien tirer aujourd’hui. « Mais combien de temps ça va-t-il durer, cette fois-ci ? » ai-je dit. Philippe et Jacques puis Henri/Joël, c’est prometteur, et j’aime beaucoup Henri/Joël. J’ai été très content de me remettre à chanter, même si ça n’a pas été facile (et surtout avec Thierry). Nous nous revoyons mardi prochain. (Il me semble bien que j’ai encore perdu un ton ou deux...)

 

 

3 mars

 

Plus d’une heure sur Paradis au lit*. J’avais lu mes deux pages, en ai lu deux supplémentaires, et puis j’ai été pris et n’ai plus pu m’arrêter. Sollers fait son petit Joyce. Mais qui ne fait pas son petit Joyce, et qui n’a pas rêvé, moi le premier, de faire son petit Joyce ? C’est du reste ce que je vais faire, ce à quoi va tendre Journals, ce vers quoi il se dirige. Il y a les chutes, il y a le projet de l’intégrale en publication qui aurait bien cette forme de suite ininterrompue, ponctuation en sus. C’est ce à quoi je songe, sans parvenir à décider si V. doit faire partie de la spirale appliquée à l’intégrale des journals. Je n’ai pas de nouvelles d’elle, mais j’y pense depuis que nous avons reçu une invitation du Casse-Noix pour une soirée mexicaine le 13 mars, c’est-à-dire deux jours avant mon anniversaire et la date butoir pour ma rencontre décisive avec elle : à partir du 16, elle n’aura plus exactement la moitié de mon âge. Elle y sera sans doute. C’est l’occasion ou jamais de vérifier la loi de la croisée des destinées…

 

* de Sollers, texte sans ponctuation ; je m’étais donné comme quota de lecture, deux pages au lit avant d’éteindre (note du 29 octobre 2021)

 

 

9 mars

 

Quelques mots avant de partir chez Marian où je n’ai pas, plus, envie d’aller… J’ai écouté cette après-midi la première partie du Salon de Jeu chez Rita qui m’emballe toujours autant. Ce sera la base du prochain Journal sonore...

 

 

10 mars

 

Je ne l’avais pas vu depuis trois semaines. Nous avons parlé de choses et d’autres, il m’a posé de multiples questions au sujet de la littérature, de l’écriture. « Est-ce que tu crois que tu écris bien ? » Je me suis efforcé de répondre ; je ne suis pas sûr qu’il ait compris, pas sûr de m’être fait comprendre. Est venue la question du piano. Je lui ai proposé de faire le point, histoire de repartir sur de bonnes bases. Que veut-il faire, qu’aurait-il envie de faire ? Il m’a parlé de Beethoven, je pensais à la Sonate au clair de lune que joue Samuel. Nous avons vaguement bricolé, tentative vaine (essentiellement pour moi, impossible de me concentrer) de reprendre le quatre mains de Mozart qui, à vrai dire, ne nous emballe pas beaucoup. Nous avons pris le thé en parlant anglais. De toute manière, le piano est complètement désaccordé et un fa dièse se bloque. J’ai conseillé à Antek d’appeler Venceslas*. « Ça te dérange pas de le faire pour moi, c’est ton copain ? » « Je vais essayer de ne pas oublier. Mais qu’est-ce que je vais lui dire pour le rendez-vous ? » « Quand il veut, il y aura quelqu’un toute la semaine… » Bien. Je ne l’ai toujours pas fait. Du reste, je suis sûr que dans dix minutes j’aurais oublié, et inutile d’ajouter que je n’en ai pas la moindre envie…

 

* facteur et accordeur de pianos (note du 29 octobre 2021)

 

 

14 mars

 

Je faisais la saisie de la soirée d’hier chez Laurent ; sur le manuscrit, elle a été interrompue, puis reprise quelques heures plus tard après quelques lignes sans aucun rapport. Le tout est rédigé sans séparation. En lisant tout en saisissant, je me suis aperçu que cela produisait un bel effet. J’ai aussitôt pensé à le tester sur Dot. Dans l’ensemble, ça marche bien, et ça résout le problème de l’excès de pages que je ne parvenais pas à réduire. Éléonore l’a lu sans que je lui en parle. Elle m’a ensuite dit qu’il serait peut-être nécessaire de laisser quelques séparations. Je ne sais. Sans doute. Il n’empêche, je vais l’adopter pour cette nouvelle série qui sera ainsi un nouveau pas vers la discontinuité totale de l’intégrale. J’ai de même hésité pour la couleur de la couverture. J’ai trouvé un beau bleu, mais pratiquement identique à celui d’Albena. Je ne me sens pas l’énergie de faire des recherches dans différentes boutiques. Je l’adopte…

 

 

17 mars

 

Jacques revient le 15 avril pour quelques semaines. Il repartira ensuite pour le Burkina où il a décidé de s’établir – il a même demandé à prendre la nationalité burkinabé. Il fallait s’y attendre, on s’y attendait et on l’espérait puisque cela semblait être le lieu qui lui convenait, la vie qui lui convenait. Mais d’être mis face au fait m’a « secoué », tel que je l’ai écrit à Léo sans parvenir à trouver le terme approprié pour décrire ce que je ressentais… Il m’a ensuite parlé du changement qu’il avait noté dans mon écriture depuis le début de Journals

 

 

22 mars

 

Thierry se trouvait avec une jolie fille dans la cuisine, petite brune franche et pleine d’aplomb qui attendait Denis pour une répétition. Elle chante, compose, Denis lui fait des arrangements au clavier. Il était en retard, « toujours en retard », m’a dit Thierry. Elle était sur le point de partir, un peu excédée, lorsqu’il est arrivé avec son immuable regard illuminé et les mouvements à ressort de son corps. J’ai alors pensé à ce que j’avais écrit à son sujet dans Dot. Va-t-il bien le prendre ? Ils sont allés dans le séjour, Thierry et moi sommes restés dans la cuisine à travailler Henri-Joël. Cette pièce me plaît de plus en plus…

 

 

24 mars

 

« On fait une partie d’échecs ? » « Oui, mais après le piano. » « Non, avant ! » « Après ! » J’ai sorti la partition de la sonate (la sonnette au clar de lune), l’ai posée sur le pupitre, en ai égrené les premières mesures. Il était affalé dans l’un des fauteuils, l’air ailleurs, préoccupé. De toute évidence, ça n’allait pas fort. « Ça te plaît ? » Pas de réponse. « Si ça ne te plaît pas, on peut passer à autre chose. » Pas de réponse. Puis : « J’sais pas. » « Alors ? » « Oui, non. » « Ça va ? » « Hm. » « Tu as toujours envie de faire du piano ? » Pas de réponse. « Hm ? » « J’sais pas. » « J’sais pas, c’est non, hm ? » Pas de réponse. « Bien. Et cette partie d’échecs ? » Il l’a gagnée. « Ah, je me sens mieux. Tout à l’heure, je n’avais pas le moral, mais à présent, ça va beaucoup mieux ! » Je suis ensuite allé chez Thierry pour lui remettre le matériel qu’il m’avait demandé. Nous avons pris un pastis dans la cuisine en parlant de choses et d’autres. Est arrivé Denis (a-t-il le corps court et enrobé ?). Il a sorti un saucisson sec au fromage de la montagne, nous avons papoté, parlé de Donald qui s’est remis à fumer et à picoler, creuse son propre trou*, puis pris une date pour la prochaine répétition d’Henri/Joël, confirmé celles avec Cécile, puis avec le quatuor…

(Doriane et Antek étaient absents, sortaient de leur voiture au moment où je refermais la porte derrière moi. Ils m’ont tous deux posé la même question : « Ça s’est bien passé ? » « Très bien… »)

 

* il s’était miraculeusement sorti d’un cancer de la gorge et des poumons qui l’avait ravagé ; il est mort quelques mois plus tard (note du 29 octobre 2021)

 

 

 

29 mars

 

Nous étions chez Cécile à Loos pour le concert du trio dans lequel elle chante avec Denis au violoncelle et Thierry à la guitare et au chant. Des reprises, des compositions personnelles de Thierry, j’avais mon petit matériel. Thierry m’avait parlé d’une quarantaine de personnes, mais ne m’avait rien dit de l’exiguïté du lieu ; elles formaient une telle masse que je me suis cru dans le métro à l’heure de pointe. Comment allais-je faire pour enregistrer dans cette foule ? Il n’y avait pas le moindre meuble, par le moindre espace libre. Je suis passé dans la première pièce. Une vingtaine de jeunes gens étaient assis à terre et, contre la fenêtre, une table, le violoncelle, deux chaises, micros, pupitres, impossible de le poser où que ce soit ; j’ai dû conserver le sac à la main, ou, plus précisément, l’embrasser avec la bonnette dirigée vers la table. Je me suis placé dans un tout petit espace libre à la jonction des deux pièces, ai tâché du mieux que je pouvais de ne pas bouger, mais j’attrapais des crampes, on me poussait, ça chuchotait et riait autour de moi. Des reprises, des originaux, Couleur café, deux chansons de Charlélie Couture. Il y a eu de belles réussites de composition, d’autres choses conventionnelles. Mais l’ensemble est au point et Cécile est une délicieuse chanteuse, je pense qu’Alida et Zita seront contentes. Ça s’est achevé sous les applaudissements et, très vite, avec une rapidité proprement stupéfiante, les deux pièces se sont vidées. Je ne m’en suis vraiment rendu compte qu’à la fin de la longue conversation que j’ai eue avec Firmin qui, alors que je me retournais pour prendre un verre, m’a posé cette question : « Alors, comme ça tu as écrit un opéra ? » Je l’avais rencontré au Sébasto après le vernissage de l’expo de Gélase. Nous ne nous étions dit que quelques mots, mais il faisait partie de ces personnes qui appellent immédiatement la sympathie. Ça s’est confirmé lors de cette soirée. J’ai raconté toute mon histoire, il m’a raconté la sienne, une société d’audio-visuel, et aujourd’hui la mise en route d’un service à l’image de celui qu’offre la société où travaille Laura : « nous n’avons pas le temps, moi j’en ai : confiez-moi tout ce que vous n’avez pas le temps de faire ». Il ne restait plus qu’une dizaine de personnes, Gélase, Cécile et son petit ami avec qui elle échangeait de multiples étreintes et embrassades (ça m’a agacé), le petit mec à l’accordéon, Jeanne. Éléonore était envoûtée par Denis saoul qui, à un moment donné, a chanté en s’accompagnant au violoncelle. Au retour, j’ai écouté quelques bribes. Comme je m’y attendais, c’est assez exécrable, encore que ça ne me gêne pas dans la mesure où je ne me soucie pas vraiment de la qualité : ce qui prime, c’est l’instant et le hasard. Mais Thierry m’en a demandé une copie, et je suis gêné d’avoir à lui proposer cette chose très imparfaite…

 

 

1er avril

 

J’ai Dot 2 dans la tête. Un gros passage concerne Lisbonne, je me demande si je ne vais pas le retirer pour en faire un livre à part, ou alors, au contraire, en faire le centre de ce journal-ci. D’un autre côté, il y a les enregistrements que j’y ai faits. Alors ? Pourquoi pas un carnet de notes accompagné d’un CD ?

 

 

2 avril

 

Répétition d’Henri/Joël. J’ai remis à Thierry le CD du récital de Loos, nous en avons écouté le début. Puis Anémone est arrivée pour l’apéritif. Lorsque je suis parti, deux heures plus tard, elle était toujours là. Ça ne m’a dérangé en rien, au contraire. J’étais fatigué et il y avait longtemps que je ne l’avais pas vue. Contrairement à ce que je pensais, elle n’a pas arrêté de travailler pour se consacrer entièrement à ses cours de yoga. Elle poursuit les deux, la journée le travail, le soir les cours. Au retour, j’ai eu la joie de découvrir les trois Kurosawa que j’avais commandés : Vivre, Le garde du corps et les Bas-fonds. J’ai regardé le dernier sur l’écran du bas ; la fin est tout simplement sublime. Je suis monté, n’ai rien fait de particulier, si ce n’est essayer de comprendre le fonctionnement de Dreamweaver. Essais sur une page : huit minutes ; avec Frontpage express, il faut dix secondes. Comment est-ce possible ? Quelque chose m’échappe et ça m’agace… (Cécile a remis à Thierry les paroles d’une chanson en anglais qu’elle compte chanter avec eux. Il ma demandé de la traduire...)

 

 

6 avril

 

Pensées sur la mort. Je me disais dans la voiture qui m’emmenait jusqu’ici que, quoi que j’en dise ou même en pense, il va falloir désormais que je fasse en fonction du temps qui m’est imparti ; les jours m’étaient comptés et je devais en tenir compte. Compte de mes jours. Et donc tracer une marche à suivre. Je pensais précédemment à la musique, au fait que je touchais de moins en moins à un instrument de musique, que mes capacités d’instrumentiste, par conséquent, diminuaient (en soi, ça n’a pas grande importance), mais surtout, que je n’écrivais pas, ou plus. Peut-être parce que je n’en ressentais plus le besoin. Mais est-ce acceptable ? Ne faudrait-il pas que je suscite cette envie ? Forcer le besoin ? Mais il y a le son, et est-ce que le son ne peut pas se substituer à la musique ? Le son peut-il s’apparenter à la musique ? Le son, tel que je le vois et l’emploie désormais ne remplace-t-il pas la composition de la même manière que le journal a remplacé la fiction ? Le son aurait rejoint l’écrit pour une même et complète constitution d’une trace qui serait celle de ma vie ? En ce cas, y a-t-il lieu de se plaindre de quoi que ce soit, ou de regretter quoi que ce soit ? Une chose encore : le son de la même manière que l’écrit, s’accumule et, avec cette accumulation qui me dépasse complètement, m’écrase presque, il y a celle des idées, des projets, des plans. Et les idées, les projets, les plans vont en proportion inverse des jours qui me sont comptés. Il y en a de moins en moins, il n’y en aura jamais assez. Je suis trop plein. Je ne suis pas en crise d’inspiration, mais d’accumulation…

Plus réjouissant et plus « authentique » : j’ai écouté l’enregistrement que j’ai fait de la première répétition de Fête-Dieu et Notre-Dame du Carmel, avec Denis, Cyril et Thierry. C’était chez Thierry. Il a  fallu moins d’un quart d’heure pour mettre Fête-Dieu en place, une demi-heure pour la première des deux pages de Notre-Dame. J’ai écouté cela avec des frissons : c’est la première fois que je les entendais, les entendais réellement, tel que c’était écrit, avec des vraies voix (sauf la mienne que je trouve pauvre), de vrais musiciens, de vrais chanteurs, et je suis encore stupéfait à l’idée des mois que nous avons passés sur ces deux partitions pour aboutir au millième de ce que j’ai entendu samedi et entendu de nouveau ce matin. Comment Thierry et moi (mais Jacques aussi qui, tout de même, se débrouillait bien) avons-nous pu supporter ces interminables répétitions vaines et honteuses alors qu’il était manifeste dès la première que cela n’aboutirait jamais ? Jean-Marie n’était pas fait pour ce type de registre, Marek, je ne sais même pas si je dois en parler, il n’était pas chanteur ni musicien et ne venait que pour agrémenter sa solitude, mettre un peu de plomb à son instabilité et de lest à ses innombrables problèmes. Comment cette chose-là s’était-elle faite, et je me demande dans quelle mesure Thierry et moi ne devrions pas refaire Marietta… Après la répétition, j’ai rejoint Éléonore dans un café à Lille où se produisaient Cyril et Denis. J’ai sorti mon petit matériel, me suis installé à côté de Thierry au comptoir, micro posé dessus. Je n’ai pas encore écouté, mais il y aura sans doute beaucoup de bruits parasites. C’est inévitable. C’est un café, ils se trouvaient à la jonction des deux salles, face au comptoir, Denis au clavier, Cyril debout qui chantait. Je les avais entendus une fois au Sébasto. Denis est égal à lui-même, habité, éclairé, dynamique, drôle, aérien ; Cyril a énormément gagné en assurance et en présence, et est tout aussi tonique et drôle, avec une espèce d’humour à plat qui joue sur la maladresse, la gaucherie, et chez un autre serait ringard. Caussimon, Vian, Dimey, Desnos, chanson française, La vache à mille francs de Jean Poiret, textes qu’ils mettent en musique, puis des compositions personnelles de Cyril dans le même ton. Après la première partie, je me suis déplacé pour m’installer à la table de Cécile et d’Hermine, sa « coloc ». Il y a ceux qui écoutent, se taisent, d’autres qui parlent, d’autres qui passent, d’autres qui boivent et dès lors font actionner le tiroir-caisse que l’on entend bien durant les deux premières chansons et avant que je ne me déplace. Cyril chante, passionné et amusé, soulevé par Denis qui fait le clown pour lui seul dans son coin, on le voit à peine. Mais il s’en fiche, il est amoureux, pétille, gigote, se trémousse, il aime la musique et elle le lui rend bien et chacune de ses notes est une jouissance. Premier tour, une pause. Puis deuxième, mais cette fois près de la porte, Cyril avec sa voix seule, Denis au violoncelle, trois chansons dont une extraordinaire Pamela qui a forcé toute la salle à se taire et à les regarder, puis retour à leur place, clavier, suite. Fin du deuxième tour, pause, et à ce moment-là, il était près de minuit, le café déjà plein s’est empli davantage, ils ont entamé le troisième, repris quelques chansons précédentes, rappels, applaudissements, clameur générale, avec, en final, la Grève du tabac et de l’alcool (de Cyril) qui, il faut bien le dire, et à juste titre, a fait un tabac. Tout cela est enregistré…

Je pense que les musiciens sont les êtres les plus vivants que je connaisse. Ces musiciens-là, en particulier. Thierry, Denis, Cyril. D’autres. Ils ont la force de leur humilité et de la simple joie qu’ils ont à exprimer, sans autre souci que celui-là, d’un café à un autre, d’une petite salle à une réunion de famille. Thierry avait certaines ambitions pour les Belles endormies, puis il a laissé tout tomber pour créer le petit groupe avec Cécile et Denis. Il écrit d’autres chansons, ils invitent leurs amis. Lorsque je lui suggère de reprendre certaines de ces anciennes chansons, dont quelques unes très belles des Belles endormies, il hausse les épaules. « Pourquoi faire ? » Je pense de temps à autre à certaines d’entre elles en regrettant qu’il n’en subsiste aucune  trace. Je lui en parle. Il s’en fiche. C’est fini, c’est ailleurs.

Les meilleurs moments que j’ai pu passer, c’est en compagnie d’autres musiciens, que ce soit pour mes compositions ou non. Je suis très heureux de reprendre les répétitions des pièces vocales, de me replonger dans ce type d’entreprises, de connaître ces êtres-là, à ce point que je ne pense même pas au but final, c’est-à-dire l’enregistrement de ces pièces en vue du Journal musical. Dans une faible mesure, c’est peut-être pour cette raison-là que j’ai pu permettre que les répétitions avec la première version des quatuors aient duré si longtemps, même si elles étaient catastrophiques : pour faire que ne cesse pas cette rencontre particulière d’êtres autour de la musique…

(Les regards de Denis sur Cécile et sa réflexion à un moment donné : « Elle est belle, quand même ! » avec quelque chose comme du regret*.) (Il m’a remercié pour l’exemplaire de Dot que je lui avais envoyé et pour le portrait que j’avais fait de lui…)

 

* ils avaient vécu ensemble (note du 29 octobre 2021)

 

 

7 avril

 

Lorsque je suis arrivé, les volets étaient clos. Je m’étais dit que Marian n’était pas encore rentré, qu’Antek n’était pas là. J’ai attendu dans la voiture battue par la pluie. Ça m’a semblé étrange, ce ne sont pas les vacances et Doriane m’aurait prévenu s’il y avait eu un changement. J’ai attendu un quart d’heure en faisant un peu de japonais. Puis, au bout d’une demi-heure, en désespoir de cause et par acquis de conscience, je suis allé sonner. J’ai été stupéfait d’entendre du bruit, puis la porte s’ouvrir sur Marian. « Mais tu es là ? » « Où veux-tu que je sois ? » « Mais les volets sont fermés et ça fait une demi-heure que j’attends dans la voiture ! » « Tu aurais pu sonner. » « Pourquoi veux-tu que je sonne si les volets sont fermés ? » « Qu’est-ce que ça fait ? » « Si les volets sont fermés en plein jour, ça signifie en général qu’il n’y a personne. » « Tu aurais pu sonner quand même. » « Pourquoi veux-tu que je sonne s’il n’y a personne ? » Je suis entré. Tout était bouclé à l’intérieur, les lumières étaient allumées. J’ai sorti le quatre mains. Marian était content, c’était la Danse hongroise n°1 de Brahms que j’étais allé pêcher in extremis sur Internet dans la nuit après plus d’une heure à tenter de tomber sur un site « free » qu’il le soit effectivement et qui me propose un quatre mains qui soit celui que j’avais entendu et vu à la télé chez ma mère il y a quinze jours et dont je n’avais perçu que le nom de l’auteur : Brahms. Est-ce celui-là ? Je l’avais survolé avant de le glisser dans mon sac ; à vrai dire, je n’en avais pas beaucoup de souvenir, seule l’impression générale me restait. J’allais donc le découvrir en même temps que lui. J’ai posé ma page, me suis assis, il a posé la sienne, s’est assis. Au moment où nous commencions à déchiffrer, Antek est arrivé. « Bonjour, ça va ? » « Bonjour. » Il m’a dit quelques mots, j’ai répondu par monosyllabes. Nous déchiffrions, parlions de la partition. « Bon, je vais aller faire du thé. » Nous avons poursuivi, il est revenu avec le thé, m’a parlé du concert à l’opéra la semaine dernière, un compositeur français qu’il avait rencontré au Japon. Nous étions tout à la partition, je répondais par des borborygmes. Il s’en est allé. Il ne s’est pas passé dix minutes que Doriane est arrivée. « Mais ils sont fous, ils n’ont même pas ouverts les volets ! » Après quelques mots, elle a disparu à son tour. Nous avons passé près d’une heure sur les premières mesures qui me concernaient plus particulièrement. « Je les travaillerai à la maison, ce sera du temps de gagné. » Doriane est revenue, Marian m’a récité une poésie qu’il avait apprise par cœur, de Gérard de Nerval, chose pas détestable dans laquelle figure cette bizarrerie : « doux rayon, qui m’as lui ». J’en ai parlé un moment, lui ai expliqué que c’était bizarre dans la mesure où « luire » est un verbe intransitif, qu’on ne peut luire quelque chose, tandis que Doriane morigénait Marian d’avoir choisi une poésie aussi nulle, qu’il aurait mieux fait de puiser dans un véritable recueil plutôt que dans son bouquin de français. Je ne trouvais pas cette poésie si nulle que ça, et Marian a bien le droit de ses goûts que je sache. Puis nous avons attaqué une partie d’échecs. Doriane me parlait, je lui répondais, ça a indisposé Marian qui le lui a fait comprendre. Elle est partie. Au moment de mon départ, elle et Antek étaient invisibles. Je pense que ce n’est pas du goût d’Antek que je consacre tant de temps à Marian et que lui, de ce fait, fait tapisserie… Puis je suis allé chez Thierry. Nous avons pris des nouvelles avec un rouge et du saucisson. Denis et Cyril sont arrivés : Fête-Dieu, puis N.-D. jusqu’à près de minuit malgré leur fatigue et sans la mienne, étrangement. Tout s’est bien mis en place. C’est réjouissant, stimulant. Cécile est apparue, la petite Cécile avec une mine toute chiffonnée, elle aurait des problèmes, dixit Thierry. Elle s’est assise, nous a écoutés achever la répétition, je lui ai remis la traduction, lui ai résumé le texte (loin d’être extraordinaire, et pour tout dire assez médiocre) : « En gros, c’est l’histoire d’une fille coincée. » « C’est exactement ce qui me convient. » Nous en sommes arrivés à parler du CD de leur récital, ça n’a fait qu’accentuer la grisaille de sa mine. Je l’ai rassurée comme j’ai pu, sans flatterie ni concession, je ne la trompais pas en lui disant que dans plusieurs chansons elle était parfaite. Mais ça ne la déridait pas. Elle s’est resservi un verre, a rallumé une cigarette, nous avons tous parlé du concert de Cyril et de Denis en tapant dans le fromage, puis pris quelques dates, il était minuit lorsque je me garé en face de la maison. Samuel regardait la télé, je suis directement monté, suis allé à la recherche des pièces pour violoncelle seul dont je venais de parler à Denis. « Si elles ressemblent aux pièces vocales, il n’y a pas de problème. » Je les ai réécoutées ; je crains fort qu’elles en soient assez éloignées et, pour tout dire, qu’elles soient un peu pauvres. Je les lui soumettrai tout de même. J’en ai profité pour réécouter toutes les pièces du Diplôme

 

 

13 avril

 

Première répétition de Cécile avec Denis. Elle a travaillé les pièces avec lui, il est beaucoup plus qualifié que moi pour une répétition vocale. Alida. Dès les premières notes, j’étais séduit, puis enchanté. Sa voix est parfaite, elle est Alida ; je me suis empressé de le lui dire pour la stimuler. Puis nous avons un peu travaillé Zita, moi au clavier, travail sur le rythme particulier de cette pièce qu’elle m’a en outre demandé de baisser d’un ton. Tout cela s’annonce extrêmement bien. Puis deuxième répétition avec Thierry de Philippe et Jacques. Nous y avons passé plus de deux heures, notamment sur la mesure 19 qui pose toujours problème du fait du demi-ton entre lui et moi. Une fois rentré, j’ai travaillé ma partie de la Danse hongroise, première page qui, comme je le craignais, n’est pas facile. J’y ai passé beaucoup de temps…

 

 

14 avril

 

Quelques mesures de la Danse hongroise, puis une partie d’échecs, le tout entrecoupé par le thé et des friandises japonaises aux « haricots rouges ». Je suis arrivé en retard chez Thierry. Sur la table, des bouteilles de bière, des pistaches, des cacahuètes ; autour, Denis, Cyril et Thierry, enjoués, l’œil brillant. J’ai compris et la répétition s’est bien passée comme je le craignais : dans une sorte de doux chaos. Je ne m’en plains pas, je n’étais pas particulièrement en forme pour chanter…

 

 

22 avril

 

Jacques est rentré après près d’un an d’absence. Je n’en revenais pas. « C’est drôle, on dirait que ça fait une semaine qu’on ne s’est pas parlé », m’a-t-il dit. En effet. Il va bien, n’a rien perdu de sa loquacité, est décidé plus que jamais à vivre là-bas. Il reste un mois ici pour régler diverses affaires dont la vente de sa maison, puis s’installe définitivement au Burkina. Nous nous voyons la semaine prochaine…

 

 

23 avril

 

J’attendais Cécile avec un clarinettiste basse (ou un clarinette bassiste ?). Il y avait bien Cécile, mais pas de clarinettiste, basse ou autre, mais un auteur, compositeur, interprète du nom de Thierry Augustyniak. Je n’ai pas bien compris pourquoi il l’avait accompagnée. Elle avait une petite mine, ceci explique peut-être cela ; je pense qu’elle n’est pas très bien en ce moment, est un peu déboussolée et n’avait pas eu envie de venir seule (à moins que je ne l’intimide, ou l’impressionne). Nous avons pris un verre dans le jardin, apéritif agrémenté de cris d’enfants et de rebonds de ballon en provenance de la cour d’à côté. J’ai fait connaissance avec le MD de Cécile, un Sharp aussi, autre modèle qui, quoiqu’inférieur au mien dans la gamme, dispose d’une entrée USB pour transfert direct. Elle ne sait pas encore bien s’en servir, je l’ai épaulée. Lorsqu’il a commencé à faire trop frais, nous sommes rentrés pour nous mettre à la répétition, Zita, une petite heure pour parvenir à un bon placement. Elle convient très bien au personnage, encore que j’aie encore à décider de la voix et du ton à adopter. Ils ont liquidé la bouteille de bière qu’ils avaient apportée, puis celle de vin que j’avais entamée dans le jardin. Thierry boit toujours autant (je note l’apparition de fils gris dans sa chevelure). « En ce moment, j’ai besoin de me laisser aller », a dit Cécile. Je lui ai montré l’album de famille ; je la prendrai, ainsi que Denis, chez Thierry…

 

 

24 avril

 

Nouvelle répétition de nos duos. Nous avons bien travaillé Philippe et Jacques. Va-t-on parvenir à le finir et à l’enregistrer un jour ? Gélase est arrivé alors que nous terminions ; j’ai été tenté de rester, de passer la soirée avec eux. Mais il y avait le chien, et je m’étais promis de travailler un peu à Dot 2

 

 

2 mai

 

Je suis passé prendre Léo. Après un café au jardin, nous avons pris la route pour St Amand. Nous étions bien en avance, avons décidé de prendre un verre à l’une des terrasses ensoleillées. Nous y avons retrouvé Laurent en compagnie de quelques autres musiciens et, à une table voisine, Richard et le trompettiste d’EMOS. Nous nous sommes installés, Richard a demandé à Léo des nouvelles de son périple. Il s’est laissé pousser les cheveux, arbore des rouflaquettes, ce n’est pas à son avantage et je lui ai trouvé quelque chose d’étrange dans le regard. Nous n’avons échangé que des paroles de pure mondanité… Le théâtre se trouve derrière la tour à côté de la médiathèque. Il y avait une centaine de personnes. Le petit-fils de Capellani a présenté le film* qu’il a qualifié, à plusieurs reprises, d’exceptionnel et de chef d’œuvre. En introduction, Olivier Benoit, le « chef » de La Pieuvre, a « conduit » une dizaine d’enfants pour une vingtaine de minutes de musique improvisée : percussions à partir d’objets usuels, des boîtes de conserves, des pots de peinture, puis des bruits de bouche, petits cris, souffles, éructations ; ils s’en sont donnés à cœur joie. Puis le groupe s’est installé. Ce Germinal-là est le premier du genre. Il y a quelques acteurs professionnels dont, dans le rôle de Catherine, Sylvie toute jeune, la seule qui s’en sorte, qui ne verse pas dans l’outrance outrancière si je puis dire. Ça a été tourné à Auchel, en grande partie en extérieur. Mis à part quelques scènes, dont celle de l’émasculation de l’épicier qui n’y apparaît pas, le scénario suit scrupuleusement le roman. Il n’y a pas de grande surprise, je m’attendais à davantage d’invention, mais c’est digne d’intérêt, ne serait-ce que d’un point de vue documentaire et historique. La Pieuvre suit tout cela, musiciens dos à l’écran, le chef est le seul à voir les images. Le carton de présentation, qui ne s’appesantit pas sur le film, indique que la musique a été composée et dirigée par Olivier Benoît et interprétée par La Pieuvre. Ah. Que signifie « composée » en l’occurrence ? Il va de soi que, dans un tel cas, il y a un minimum de suivi à respecter. Il s’agit d’un film sur lequel on colle une musique. Il est inévitable que ladite musique doive se conformer à l’image et donc, devenir illustrative, et la musique est tout sauf illustrative. En outre, il s’agit de musique dite improvisée où la notion de groupe englobe le chef qui n’est pas chef, mais plutôt conducteur, ou mieux : guide, je l’ai déjà dit. Il fait partie intégrante de l’ensemble, ne doit s’en distinguer que dans la mesure où les musiciens ne pouvant être livrés à eux-mêmes (encore que), un point d’ancrage leur est nécessaire. Ce point est figuré par Olivier Benoit. Ainsi, si l’on veut rester dans la logique de la ligne directrice de l’ensemble et de la musique qu’ils défendent, il s’agit d’une musique créée sur l’instant par La Pieuvre sur un film intitulé Germinal. Ce n’est pas ce qui apparaît sur le carton de présentation. Olivier Benoît se détache, se désolidarise de l’ensemble, se dit compositeur et directeur d’un ensemble qui interprète. Ce n’est donc pas la musique de l’ensemble, mais celle d’un homme seul, et ce n’est pas vrai car c’est bien la musique, le ton d’une musique qui leur appartient, celle qui m’a foudroyé à maintes reprises à Tourcoing. L’improvisation est toujours là, mais apparaît le mot « composition ». Que veut-il dire puisqu’il n’y a pas de composition ? Si Olivier Benoît considère comme une composition une structure composée de repères, de points d’appui, adaptée aux séquences du film et à leurs diverses tonalités, il est malhonnête. Comme m’a dit Léo, « les idées, c’est bien, mais la gloire, c’est mieux ». C’est exactement cela, c’est ce que veut dire le libellé du carton. En d’autres termes, La Pieuvre en tant que telle a cessé d’exister, et si elle continue d’exister, elle ne sera plus qu’une machine rôdée qui s’alimentera de procédés dont le seul auteur sera le chef. Et cette fois-ci, c’est bien un chef. Un beau rêve s’est envolé. Je suis curieux de savoir ce qu’en pense Laurent. Nous sommes allés prendre un kir à une terrasse avant de gagner l’intérieur pour une entrecôte au Vieux-Lille. Nous avons espéré voir passer Laurent, ou le retrouver dans l’un des quatre bistrots restés ouverts. En vain.

Qui a choisi La Pieuvre pour la musique du film et pour quelle raison ? Je ne suis pas sûr que cela soit une bonne idée. Une musique a caractère d’improvisation ne peut coller avec ce type de film narratif et structuré. Ou alors cela aurait demandé davantage de structure et de contraintes. Il y a eu quelques réussites où la musique n’était pas forcément illustrative. Le chef devrait s’en aider pour une meilleure justesse. En outre, il me semble qu’il doit y avoir un parti pris d’illustration quitte à ce qu’il soit ludique. Là, il y avait deux mondes qui se suivaient en parallèle sans entretenir de rapport. La musique aurait pu tout aussi bien provenir d’une autre salle mal insonorisée, et elle était brouillonne, excessive, bavarde. « Trop de notes », a dit Léo. Richard nous avait dit à la fin de la représentation que ça avait été une véritable épreuve : deux heures trente de musique ininterrompue, sans le moindre silence, sans la moindre pause. Il y a eu quelques silences, quelques pauses, mais rares, beaucoup trop rares. Le chef a manqué de jugement et « sa » musique n’était pas pertinente. Il emmène « son » groupe dans une ornière dont il sera le seul à se sortir indemne. 

(Léo m’a appris que Johnny avait fait une version de Suzie Q., je n’en revenais pas…)

 

* Germinal d’Albert Capellani, sorti en 1913 (note du 30 octobre 2021)

 

 

5 mai

 

Nous sommes arrivés vers vingt heures, nous sommes installés à une table en face de Cyril et Denis. J’ai posé le micro, bonne place pour un enregistrement. Jeanne était là avec déjà quelques bières dans le coco. « C’est un spécial trous de mémoire », a dit Cyril en introduction. Il a pas mal bafouillé, trous de mémoire en effet, mais s’en est toujours sorti avec beaucoup d’humour. Denis a trouvé que ce n’était « pas terrible » ; pour ma part, j’ai trouvé que Cyril était plus juste. Quoi qu’il en soit, ça a été un très bon concert. Léo, qui les entendait pour la première fois, a été subjugué… Thierry a aussi aligné bière sur bière. « On dirait que tu ne me connais pas », m’a-t-il dit alors que je lui en faisais la remarque. Je le connais, oui ; il n’empêche que ça m’impressionne et m’inquiète à chaque fois de la même façon. Cécile était là aussi, avec la même petite mine ; problèmes amoureux, d’après ce que j’ai pu comprendre des bribes de l’une de ses conversations avec Thierry…

 

 

6 mai

 

Je me suis remis à Dot jusqu’au repas. J’ai ensuite fait le découpage du MD 42, c’est-à-dire l’après-concert de Loos chez Cécile et la première répétition avec le quatuor…

 

 

8 mai

 

Je me suis levé à une heure avec la sonnerie de la porte d’entrée. J’ai maudit l’importun qui m’obligeait à m’habiller. En descendant l’escalier, j’ai perçu la voix de Jacques. Il était dans la cuisine avec Éléonore qui se préparait à partir. « Je viens de recevoir un coup de fil de Doriane, elle est au bord de la crise de nerfs, je vais la rejoindre. » Je lui ai parlé de mes problèmes d’ordinateur. Il y a jeté un œil, j’ai vaguement espéré qu’il arrange les choses. Nous avons parlé d’une date pour une soirée avant son départ pour l’Afrique dans une semaine. Il est parti, je suis monté, sans grand entrain. J’ai décidé d’achever le rangement de la mezzanine, c’est-à-dire de faire entrer dans le débarras tout ce qui l’encombrait : le meuble à étagères, le petit meuble à rouleau qui contenait une partie de mes manuscrits et tout un lot de diverses bricoles, des affiches roulées, des chemises, des dossiers, des boîtes emplies de je ne sais quoi. J’ai pensé le faire en écoutant Martin*. J’ai alors posé l’œil sur le CD de l’essai du premier disque du Journal Musical. Je l’ai glissé, et en définitive l’ai écouté jusqu’au bout. En le retirant, j’ai pensé à la touche « shuffle » ; j’avais déjà pensé à en préconiser l’utilisation à l’auditeur pour un choix aléatoire des morceaux. Je l’ai pressée. À ce moment-là, je me suis demandé si cela ne pouvait pas être une bonne méthode de sélection. Bonne et, d’une certaine manière, logique. C’est-à-dire un choix aléatoire, que le lecteur dirige, à partir d’une sélection prédéterminée qui ne me satisfait pas pleinement. C’est-à-dire faire entrer le hasard, une autre dimension du temps, autrement dit : confronter mon choix calculé d’un temps à celui de l’appareil. Je l’ai laissé s’écouler tout en relevant scrupuleusement l’ordre proposé (le lecteur prélève dans mon déroulement pour la création d’un autre déroulement). D’une certaine manière, je trouve ce choix meilleur que le mien. En tout cas, c’est très intéressant. Pendant ce temps, j’ai procédé audit rangement qui n’a fait qu’accentuer ma fatigue. Je suis fourbu et j’ai renoncé à me rendre à la péniche Gédéon où se produit en ce moment même Laurent…

 

* Franck Martin, le compositeur suisse (note du 31 octobre 2021)

 

 

11 mai

 

Lorsque je suis arrivé, Thierry m’a appris que Denis ne serait pas là avant une bonne heure. « À cette heure-là, je serai parti », ai-je dit. Cyril est arrivé, a partagé avec nous bière et vin, cornichons et cacahuètes, jusqu’à l’arrivée de Gélase. Je suis parti avant le retour de Denis. Belle répétition. (Mais je me demande si je ne vais pas retomber dans la même fosse que celle d’il y a huit ans. C’est drôle : tout se fait comme si le Journal musical ne devait jamais se faire ; à l’image de l’ « opéra » – mais il en est l’ossature...)

 

 

17 mai

 

Je me sens las, engourdi. J’ai tenté en début de soirée de me mettre au Journal sonore, deuxième édition. Ça m’a ennuyé, presque exaspéré ; comme m’exaspère le journal en général ; comme m’exaspère la présence de Samuel à la maison, la stagiaire*, les nouveaux voisins, les travaux incessants dans la cour d’à côté. Tout m’exaspère… J’ai néanmoins commencé la constitution de Dot 3.

Je ne sais pas où je vais…

 

* une de celles qu’Éléonore « employaient » à cette époque pour ses traductions (note du 29 octobre 2021)

 

 

20 mai

 

Double répétition chez Thierry, la première avec lui, la seconde avec le quatuor. Nous avons bien travaillé Henri/Joël, ça n’a pas été le cas avec le quatuor. Cyril avait la « tête dans le cul », Denis semblait absent. Nous avons vite expédié Fête-Dieu que j’ai enregistrée (je n’ai pas encore écouté). Expédier est le mot ; j’ai eu l’impression qu’ils n’avaient qu’une hâte, celle de se débarrasser de ce poids. J’ai eu la même impression pour Notre-Dame du Carmel (« caramel » comme dit Cyril), ça a été chaotique, confus, bâclé. Désordre total. En même temps, je n’avais de pensée que pour mon mal de crâne qui ne faisait qu’augmenter. Quoi qu’il en soit, je me suis promis d’enregistrer Notre-Dame la prochaine fois, quel que soit le résultat. Comme je le disais à Thierry auparavant, « j’en ai assez de ces pièces, je n’ai pas envie que ça traîne des mois et des mois », et j’ai l’impression que l’intérêt chez eux s’émousse un peu. À ce moment-là, face à l’apathie générale, je me suis demandé si je ne devais pas proposer de les payer, ça aurait eu moins le « mérite » de me donner le droit d’exiger. Je parle de Denis et Cyril, Denis qui a fait, sur le ton de la plaisanterie, quelques remarques d’ordre pécuniaire. Bref, il ne faut pas que tout cela s’éternise. J’enregistrerai Philippe et Jacques et Notre-Dame du Carmel. Il restera les deux pièces avec Cécile, Cécile qui, du reste, a fait un passage éclair pour récupérer une tarte au frigo et repartir aussitôt en nous annonçant qu’elle allait passer quelques jours à Budapest. Elle est allée en Grèce il y a une dizaine de jours. Et nous, au fait ? Le dernier voyage date d’octobre à Lisbonne. Mais ai-je envie de voyages en ce moment ? Même la perspective du Japon ne m’enthousiasme finalement plus tant que ça. Je me sens de plus en plus las et vide, sans énergie, sans volonté. Veule, en somme. Et les remarques d’Éléonore à propos de Dot 2 n’arrangent rien à l’affaire. « C’est confus, décousu, on s’y perd. » Je ne suis pas loin d’être désespéré ; encore que je ne sois pas sûr d’avoir suffisamment d’énergie pour une quelconque forme de désespoir. Quelque chose est cassé, ou se casse, est en train de se briser, en bien ou en mal, je ne sais. Pour parachever, il y a les nouveaux voisins qui bouleversent notre vie. Je rentre de chez Thierry, dépité après cette fausse répétition et le crâne en compote, et entends, dans la cour d’à côté, une bande d’enfants qui braillent, bruit tel, amplifié par le toit de leur cour, qu’ils auraient pu tout aussi bien être dans la cuisine…

 

 

24 mai

 

J’ai écouté les prises de Fête-Dieu. Il y en a une très satisfaisante. Mais je m’étonne encore une fois du souffle...

 

 

 26 mai

 

Marian m’a parlé de Barcelone d’où il est revenu enchanté. Nous avons repris avec un certain plaisir et un certain succès le quatre mains de Brahms. Ça commence à prendre forme. Antek, une fois n’est pas coutume, a été d’une discrétion rare. Je suis arrivé, ai demandé des nouvelles à Marian, Antek a dit quelques mots, puis : « Bon, je crois que c’est le moment que je m’en aille. » Il est revenu quelques minutes plus tard pour s’allonger dans le canapé : pas un mot durant près d’une heure. Puis il est allé dans la cuisine pour en revenir avec du thé et une planche garnie de charcuterie polonaise, pain et beurre, ça a été un délice. Nous avons parlé de Fanny, de Léo, de Godard. Marian m’a proposé une partie d’échecs. En même temps, je parlais avec Antek qui régulièrement se levait pour mettre un morceau, Gainsbourg revu par des chanteuses japonaises, Dominique A., Beefheart, puis Gorecki, Symphonie n°3, à la somptueuse simplicité, j’en ignorais tout… Étrangement, Doriane ne nous a pas rejoints ; elle est simplement passée en coup de vent pendant que nous étions au piano… Puis répétition avec le quatuor, enregistrement de Notre-Dame du carmel ; cest raté, fait dans la précipitation ; en outre, le son est mauvais et inexplicablement saturé, à refaire. Pour finir, la prise de Fête-Dieu que j’avais écoutée au casque et qui me semblait bonne ne l’est pas du tout sur baffles ; je ne comprends pas. À refaire aussi. Pour résumer, je ne suis pas très en forme*...

 

 * si j’en crois mon journal, il n’y a pas eu d’enregistrements ultérieurs et je note, dans la liste de ceux effectués, la date du 26 mai pour Fête-Dieu ; il s’agirait donc de la « définitive » (note du 30 octobre 2021) 

 

 

27 mai

 

Cécile devait venir ce soir pour l’enregistrement de Zita. Lorsque je l’ai annoncé à Éléonore, elle m’a dit : « Mais comment je vais travailler ? » Inutile de dire que ça m’a mis de bonne humeur ; j’ai appelé Cécile pour annuler…

 

 

9 juin

 

Je survolais quelques papiers en japonais qui jonchent la table. Je n’y reconnaissais rien ; même les kanji désormais familiers m’échappaient. Antek s’est moqué de moi lorsque je lui ai annoncé notre départ. « Toi aussi ? Quelle vulgarité ! » Je n’étais pas d’humeur à entendre ce genre de remarque. « Où veux-tu que j’aille pour ne pas faire comme tout le monde ? Au Pôle Nord ? » Il m’a dit qu’il plaisantait, que c’était très bien que j’aille dans ce merveilleux pays dont il m’a de nouveau parlé comme il l’avait déjà tant fait. Il m’a appris que trois personnes qu’il y avait rencontrées allaient venir ici en novembre : l’artiste de soixante-huit ans*, un traducteur japonais et sa femme française. « Tu verras, ils sont extraordinaires ! » Ça ne l’a pas empêché, l’instant d’après, de sombrer de nouveau dans son indécrottable nihilisme ; en l’occurrence, ça m’a abattu. J’ai ensuite passé une grosse demi-heure avec Marian, lamentable prestation commune. Je pense que nous n’avons jamais été aussi mauvais. « Je suis fatigué », a dit Marian. « Moi aussi. » « Il fait trop chaud. » « Ça doit être ça. » Mais je n’en suis pas si sûr. J’ai l’impression que nous sommes parvenus à un point de saturation. Il n’y a plus le moindre plaisir dans le piano. Aussitôt après, il m’a proposé une partie d’échecs que j’ai volontiers acceptée. Antek m’a proposé un thé, il buvait un kir (mais il m’avait proposé un kir en premier). Il m’a parlé de son projet d’exposition à Arras en septembre, grosse affaire qui l’effraie un peu. J’ai noté qu’il avait fumé trois cigarettes en deux heures : je ne l’avais jamais vu fumer que dans les soirées quand il commence à être saoul…

 

* Orio, un homme dune extraordinaire vitalité qui avait fait partie de Gutai ; Antek m’en avait montré une vidéo détonante ; jallais, par la suite, le rencontrer au Japon, puis, de nouveau, lorsquil est venu à Lille avec deux de ses amis artistes ; il s’est suicidé il y a quelques années en se jetant du haut d’un immeuble (note du 29 octobre 2021)

 

 

11 juin

 

À mon arrivée, Thierry m’a appris que Denis et Cyril nous attendraient chez Jeanne pour la répétition du quatuor. Ça m’aurait fait rentrer trop tard, j’ai décliné. Nous avons bien travaillé Henri/Joël avant de bavarder un peu en compagnie d’un rouge…

 

 

14 juin

 

Je saisis les jours précédents en attendant de me rendre à la Préfecture pour déposer le dossier du passeport. En fin d’après-midi, Cécile passe pour l’enregistrement de Zita

 

 

15 juin

 

J’écoute les prises de Zita et celles de Gusses*, multiples pour la première, courtes et peu nombreuses pour la seconde. En écoutant les secondes, succession de bribes prises au hasard (le sauvetage du radis, le rire de Jeanne, la grille du barbecue, les plaisanteries d’Antek, une balle de ping-pong, Rose qui hache, Humbert qui parle d’une mystérieuse substance grumeleuse, la voix d’Éléonore, un fond de musique baladeur, le rire de Léo), je me suis senti remué et ai pensé que j’avais enregistré de la joie. Ces prises devraient suffire à représenter ces deux jours. Il n’y a rien d’autre à dire et je les utiliserai telles quelles dans le prochain disque**…

J’ai passé près de trois heures avec Cécile. Elle est arrivée à l’heure, nous sommes allés dans le jardin où elle a bu une bière tout en me faisant écouter les prises qu’elle avait effectuées la fois précédente sur son propre MD ; je n’en avais pas le moindre souvenir. La stagiaire est partie, nous avons gagné le piano pour une dizaine de prises que nous sommes ensuite allés écouter dans mon bureau. C’était satisfaisant sans pour cela être réellement acceptable. Il manquait quelque chose. « Il manque de la vie », a-t-elle dit en reposant son portable. C’est cela. C’est un peu plat, froid. Nous sommes redescendus pour en effectuer une dizaine d’autres où elle s’est attachée à donner un tour juvénile à sa voix ; c’était la première idée, ma toute première intention pour cette pièce. Mais ça ne me semblait pas plus satisfaisant. D’un autre côté, je joue et suis trop attaché à la partition pour l’écouter, pour avoir un avis d’ensemble. Nous avons pris une autre date, assez dépités, ou pour le moins circonspects. J’ai réécouté le tout ce matin et je m’aperçois que c’est beaucoup mieux que je ne le pensais, que plusieurs prises sont tout à fait satisfaisantes, dont les deux premières. Je ne suis pas sûr que d’autres prises soient nécessaires. La fois prochaine, elle va tâcher de venir avec le clarinettiste basse promis…

Pour la première fois, je me suis rendu compte de sa jeunesse, d’un écart entre elle et moi. En outre, elle ne doit pas aller très bien, malgré sa gaieté qui parfois semble forcée ; par moments, elle paraît en complet décalage, ou plutôt en état d’absence, de retrait. Je m’en suis aperçu lorsque j’ai enclenché la première des prises sur la chaîne là-haut et qu’au lieu d’écouter, elle envoyait un message à l’aide de son portable. Elle semble consacrer beaucoup de temps à son portable qu’elle a constamment à la main…

 

* un weekend entre amis à la campagne

** je n’en ai utilisé que quelques passages qui figurent dans Le salon de je (note du 29 octobre 2021)

 

 

16 juin

 

Nous étions au clavier, Marian et moi. Ça allait plutôt bien, mieux que la semaine dernière. Antek est entré, l’air renfrogné et mauvais. « J’en ai marre de cette maison ! c’est le bordel ! et puis, tout craque ! J’ai envie de la foutre en l’air ! » C’était exactement comme si nous n’étions pas là (ou plus exactement, comme si je n’étais pas là ; d’un autre côté, je fais un peu partie de la maison). Nous nous sommes arrêtés, l’avons regardé se laisser tomber dans l’un des fauteuils où il est demeuré quelques secondes, comme prostré. Puis il s’est levé, a demandé l’heure à Marian, a disparu. Nos mains étaient suspendues au-dessus du clavier. « Qu’est-ce qu’il a ? » ai-je demandé, comme si je ne le connaissais pas. « Il est tout le temps comme ça. » La porte d’entrée a claqué, sa voiture a démarré. J’ai souri. « Ça te fait rire ? » « Oh non, pas du tout. » « Pourquoi tu ris, alors ? » « Je ne sais pas. Parce que ça m’a complètement déstabilisé. Non, ça ne me fait pas rire du tout. » Nous avons repris la partition au point où nous l’avions laissé… Puis chez Thierry, Henri/Joël, ça prend forme petit à petit. Thierry m’a parlé des ateliers qu’il anime. Cela fait douze ans, il aimerait trouver une autre source de revenus. « Je suis en train de me préparer un répertoire pour chanter dans les cabarets, ou les bistros. » « Je pensais que tu aimais les ateliers. » « Oui, mais j’en ai un peu assez. Et puis, c’est de plus en plus difficile. Les enfants ne sont plus les mêmes. Ils deviennent incontrôlables. Agressifs, grossiers, impertinents. Ils sont livrés à eux-mêmes, n’ont aucun repère si ce n’est la télé. Ils ne veulent pas faire le moindre effort, veulent tout tout de suite. Starac et compagnie. Même à six ou sept ans, ils sont méchants et insolents, sans la moindre conscience du rapport à l’autre. Tout cela me fait un peu peur. Et ça n’ira pas en s’améliorant. Même les filles ont le même comportement… »

 

 

17 juin

 

J’ai commencé cette nuit le Journal sonore 2. Rien à en dire pour l’instant…

 

 

18 juin

 

Cette nuit, j’ai poursuivi le Journal sonore 2. Avec perplexité. Trop de choses en réserve et l’envie, bien sûr, de ne rien retirer…

 

 

20 juin

 

Doriane n’avait prévenu personne, n’avait envoyé aucune invitation, ne voulait voir que des intimes et a simplement passé un coup de fil à Éléonore pour l’informer de son exposition. C’était à Zuydcoote. C’est un certain Darius, un ami de Jaouen, de Thierry, de Gélase, qui avait organisé cela. Ça s’intitule Bercé par les flots, ça se passe sur la plage. Ils sont six ou sept, je ne connaissais que Doriane. Nous avions donc prévu de nous y rendre pour y passer l’après-midi et ensuite revenir pour la soirée chez Jeanne qui fêtait ses six années de vie « pas commune » avec Cyril. Antek n’avait pas de voiture, nous sommes passés le prendre. Il était un peu tendu, bougon, mais, sur la route, il s’est un peu détendu. Depuis combien de temps n’étais-je pas allé à Zuydcoote ? J’ai découvert que le terre-plein face à la mer qui servait de parking, là où je m’étais enlisé avec la Ford la toute première fois que j’y étais allé, juin 1984, avec Lilas, était désormais couvert d’une espèce de végétation dont le sens m’a échappé, puis, et c’est beaucoup plus important, que la Grande Marée était fermée. La plage n’a pas changé, elle était tout aussi déserte. Nous l’avons remontée en direction du sanatorium. À quelques centaines de mètres apparaissaient des choses et objets étrangers au sable et à la mer : une réduction de cabine de plage, un parterre fait de divers éléments maritimes (marins ?), une sculpture à la Calder faite à partir de cannes à pêche formant un dôme et au bout desquelles flottaient des ballons, un EXIT en lettres rouges monumentales qui faisait pendant à une porte également rouge dressée à une dizaine de mètres au pied des dunes ; plus loin, des sortes de girouettes à faire des bulles. Doriane est arrivée, nous a emmenés un peu plus loin, au pied d’une petite dune, où elle a fait son travail, empreinte de phrases à l’aide de lettres de peintre. Il y en avait une autre un peu loin. Devant, en direction des vagues, deux alignements de petites pancartes portaient des photographies, grève et vagues (Gette ?). C’était de Darius. Il est apparu, la tête enturbannée ; ça accentuait son visage slave (je ne sais s’il l’est ou non) qui m’a rappelé celui de mon oncle Lukasz. Il y avait quelques amis, des badauds, à peine une vingtaine de personnes. On aurait dit des jeux de plein air. Une petite tente plantée sur le côté proposait des rafraîchissements, du café. C’était très étrange. C’est exactement comme si les intéressés n’avaient organisé cette exposition (« land-art » dit un panneau manuscrit à l’entrée de Zuydcoote) que pour eux-mêmes. Où est l’art et est-il question d’art ? Mais je n’y pensais pas, ne me posais pas la question. J’ai sorti mon petit matériel pour enregistrer Doriane en train de tracer une nouvelle phrase « inutile mais non vain » sur le flanc d’une autre dune (je me suis demandé s’il ne s’agissait pas d’un clin d’œil à ma phrase du dernier Dot : « l’acte d’art est gratuit, solitaire et inutile », je ne lui ai pas posé la question)*. Puis je suis allé m’asseoir près de la tente face à la mer. Antek m’a rejoint, il n’avait pas l’air plus en forme que précédemment, mais il parlait. Nous avons eu une discussion au sujet du style et de son empreinte indélébile sur les époques, de la villa Cavrois. Éléonore allait et venait sur le sable comme une petite sirène échappée d’un monde abyssal enchanté. J’ai allumé une cigarette, bu un café en regardant cet ensemble de réalisations en front de mer sans me poser la question de leur intérêt ou non, ou de leur valeur. Ce n’était pas important ; ce qui comptait, c’était le caractère apaisé, relâché, doux, bon enfant (benoît, pour résumer)  qu’elles conféraient à l’endroit et à cet instant…

 

* ce passage figure dans Le salon de je (note du 29 octobre 2021)

 

 

22 juin

 

La porte s’est ouverte sur Cécile et un jeune homme d’une vingtaine d’années. Il avait un large sourire et l’air ouvert et gai ; sa mise était celle d’un jeune homme de bonne famille, sage et un peu (beaucoup) efféminé : c’était le clarinettiste basse. Il avait à la main un étui parallélépipédique, sans doute celui de son instrument. Cécile a fait les présentations, il sappelle François. Comme la stagiaire n’était pas encore partie, j’ai dit : « Passons dans la salle d’attente. » Nous sommes allés dans la cuisine, j’ai ouvert une bière. Il s’est installé sans quitter son sourire qui a l’air de séjourner en permanence sur son visage. Il a parlé de la clarinette, de ses études de musique, de son insatisfaction dans le domaine, de ses difficultés à trouver son compte vu le répertoire extrêmement réduit qui lui est consenti. « D’où mon intérêt pour ta proposition », ma-t-il dit. La musique n’est pas son métier, il est interne en psychiatrie. Je l’écoutais, observais ses gestes et ses manières et ne parvenais pas à l’imaginer dans une section de psychiatrie. Son comportement féminin était à la limite de la caricature et c’était souvent troublant. Je lui ai fait un résumé de l’opéra, puis tendu la partition qu’il a survolée : « C’est tout à fait le genre de pièce que j’imagine pour la clarinette basse ! » J’ai écarquillé les yeux.* Il a ouvert la boîte où étaient rangés les divers éléments de son instrument. Il l’a monté en en parlant comme d’un animal ou d’un objet chéri ; l’a installé, en a tiré les premières mesures de la partition tout en commentant la qualité du son. Je lui ai rappelé le caractère spontané de l’écriture des pièces, et mon désir de voir l’interprète l’exécuter à sa guise. « Il faut d’abord que ça t’intéresse, et puis que ça te plaise. Si c’est le cas, joue-la comme tu l’entends. Tout ce que je demande, c’est la fidélité aux notes et à la structure, encore qu’il ne soit pas impossible que j’apporte des changements, même si le propos de départ était de ne rien y changer, quelle que soit la qualité de l’écriture. » « Non, ça m’intéresse, et ça devrait me plaire. » J’ai rempli leur verre, me suis resservi un thé. En allumant une deuxième cigarette, j’ai considéré la pochette d’où j’avais tiré sa partition : en feuilletant ce qui restait à enregistrer, c’est-à-dire une bonne cinquantaine, j’ai été pris de vertige, notamment face à des pièces comme Barnabé pour deux timbales, trombone basse et petite flûte ou le sextuor de cors. Quand, comment vais-je parvenir à faire exécuter tout cela ? Cécile et moi avons remis Zita à une autre fois. Elle est partie avec son ami et son drôle de manteau à large col et boutons dorés qui m’a fait penser à celui de M***. La clarinette basse a un son doux, chaud et rond ; velouté. J’aime bien ce son. Je suis surpris par sa relative petite taille, et la beauté et la complexité d’un tel instrument me stupéfie toujours autant (et m’émerveille). Je pense à celui ou à ceux qui l’ont pensé, puis conçu. Comment parvient-on à une telle invention et qu’est-ce qui la motive quand on sait la part infime qu’il tient dans le répertoire musical ? Il m’a parlé d’une clarinette contrebasse. Qui en joue ? Dans quelles circonstances ? Pour qui ? D’autant, c’est ce qu’il m’a dit, que les instruments rares et ingrats sont souvent remplacés par des équivalents en tessiture, et pas forcément de la même famille…

 

* en-dehors de sa tessiture, je ne connaissais rien de cet instrument en écrivant la pièce que je lui consacrais (note du 29 octobre 2021)

 

 

23 juin

 

« Pas de piano. » C’est ce que j’ai dit à Marian en arrivant. « Je pars impérativement dans une heure. Si on faisait une partie d’échecs ? » Je n’ai pas dû le lui dire deux fois. Doriane est arrivée alors que nous entamions la partie, tout euphorique ; elle m’a raconté la grande émotion qu’elle avait éprouvée au Musée de la Mine à Lewarde où s’était produite la Chorale des Mineurs de Douai. Elle avait acheté leur CD fait maison et en passait des extraits tandis que je bataillais avec Marian. Puis elle m’a parlé d’énigmatiques Comedian Harmonists, groupe vocal d’essence berlinoise juive qui s’était distingué de 1922 à 1937. Elle en avait un CD, pot-pourri d’airs classiques et de chansons populaires, curieux ensemble qui n’aurait pas dépareillé dans un film de Walt Disney. Dans le séjour traînent toujours des tas de documents en provenance du Japon. J’en ai prélevé un au hasard, ai tenté en vain de le déchiffrer, puis suis tombé sur une série de photos faites à Kobe, près du bassin que va utiliser Léo ; une rue, des passants autour d’Antek qui passe l’un de ses rouleaux* dans le dos d’une fille, celui de Maya l’abeille. Les Japonais rient. « Ils ont dû adorer cela », ai-je dit à Marian. « Tu verras comme c’est drôle de voir plein de Japonais autour de soi. Ici, on a l’impression qu’ils se ressemblent tous, mais en fait, là-bas, pas du tout, et c’est incroyable comme ils sont tous différents ! » C’est le bain japonais perpétuel. Vais-je connaître l’illumination attendue ou en ai-je trop entendu, trop vu pour qu’elle se produise effectivement ? Les immeubles que l’on aperçoit sur les photos pourraient très bien figurer ici ; ça ma déçu… Je suis arrivé à l’heure chez Thierry. Donald était assis à la table de la cuisine, avec son air de cadavre assoupi ; un verre de rhum trônait devant lui ; y trempait une cuillère. « C’est pour le mélange avec le sucre de canne », m’a-il-dit. Entre ses lèvres, pendait une roulée ; il en a fumé quatre durant l’heure que j’y ai passée. Thierry m’a appris qu’il a constamment sa bouteille de rhum avec lui ; c’était donc bien la sienne qu’Omer l’avait vu remettre dans son sac à la soirée chez Jeanne. Je me suis forcé à lui demander des nouvelles. Il m’a dit que, physiquement, ça allait, encore qu’il faille du temps pour que tout se remette en route, mais moralement, ça allait moins bien. « Je m’ennuie, je voudrais reprendre le travail. » « Et cest quoi, ton travail ? » « Prof de sport. » Je ne suis pas sûr qu’il soit véritablement conscient de son état et je suis stupéfait qu’il puisse se comporter « normalement », que son corps supporte si bien ce qu’il lui fait subir. Je n’ai pas pensé à lui dire qu’avec son traitement spécial, ça irait parfaitement bien d’ici peu de temps. Thierry et moi avons pris un rouge avec les traditionnelles cacahuètes et tranches de saucisson. Comme j’avais oublié mes partitions, il a installé un pupitre en face de nous, y a posé la sienne. Nous étions assis presque l’un à côté de l’autre, séparés par le coin de table ; nous tournions le dos à Donald. Comme Cécile devait passer pour qu’ils se rendent au Sébato écouter Cyril et Denis, nous nous y sommes mis tout de suite. Il m’a semblé que Thierry voulait oublier la présence de Donald ; j’ai cru ressentir chez lui une sorte d’agacement, et de colère ; ça ne lui ressemble pas. Nous avons répété, très bien du reste, sans plus faire attention à lui. De temps à autre, je faisais pivoter mon buste pour attraper mon verre ou reposer ma cigarette dans le cendrier. Au bout d’un moment, j’ai vu du coin de l’œil le cendrier s’approcher de ma main, puis mon verre, puis le ravier de cacahuètes. Donald a tout poussé entre nous pour que nous n’ayons que la main à bouger. Au bout d’un moment, et nous chantions toujours, il s’est levé pour se diriger vers l’évier où il a commencé à essuyer la vaisselle ; il essuyait quelques verres, retournait s’asseoir ; puis, quelques minutes plus tard, il a demandé à Thierry où il pouvait trouver un torchon sec. Il est retourné à l’évier, a essuyé une assiette ou deux et est revenu s’asseoir. Il a posé une question au sujet de la musique, puis est retourné à l’évier où cette fois il a achevé la vaisselle. Cécile est arrivée, je me suis levé pour partir. « Tu as une belle serviette », m’a dit Donald, et m’a demandé où je l’avais achetée. « Elle est belle. Plus belle que mon sac. Je devrais peut-être acheter un autre sac... » Au courrier, il y avait nos billets d’avion ; ça commence à se mettre en place. Éléonore m’a montré le Guide des terrasses qu’elle avait traduit, une édition bilingue assez mal fichue, trop chargée, au style racoleur et plat. « On dirait qu’ils n’ont pas envie de le vendre », lui ai-je dit...

 

* base de sa peinture, des rouleaux de caoutchouc aux motifs en relief dont les Polonais des campagnes se servaient (et parfois se servent encore) comme substitut au papier peint qu’ils ne pouvaient s’acheter ; des murs étaient peints de cette manière dans deux ou trois pièces de notre maison à Billy (note du 29 octobre 2021)

 

 

25 juin

 

Cyril est arrivé avec une heure de retard, Cécile une demi-heure plus tard pour une répétition avec Denis et Thierry ; cela a fait que nous n’avons eu qu’une demi-heure alors que j’avais prévu deux heures pour que nous achevions définitivement les deux pièces et les enregistrions. J’ai enregistré, mais je doute fort qu’il y ait quoi que ce soit d’exploitable, même après montage*… Je me suis consolé avec l’excellent Corbières que Cécile petite gracile avait apporté. Cyril a cessé de boire. « Ça devient trop lourd pour mon porte-monnaie. » Ce n’est sûrement pas un mal…

 

* comme pour Fête-Dieu, il n’y a pas mention d’un enregistrement ultérieur, et le 24 juin figure comme date dans la liste des enregistrements ; c'est donc l’une des prises de ce jour-là que j’avais dû retenir comme enregistrement définitif – peut-être avec montage, je ne m’en souviens plus (note du 30 octobre 2021)

 

30 juin

 

Cécile, Denis et Thierry, deuxième du genre, au Sébasto. J’étais à la table la plus proche pour pouvoir y poser mon petit matériel. Donald s’est assis en face de moi. Ça m’a agacé jusqu’au moment où il a tiré de son grand sac, au lieu de la bouteille de rhum traditionnelle (il buvait de la pression), un album en noir et blanc d’un fac-similé du Crabe aux pinces d’or, puis une dizaine de crayons de couleur. Je l’observais du coin de l’œil et l’ai vu se mettre à colorier les dessins, un avion, le visage d’Haddock, celui de Tintin. J’ai enregistré une partie de la conversation que j’ai eue avec lui à ce sujet. Charline était assise à côté de moi, puis est venue Hermine. Jeanne était là, et Gélase, Martha, Firmin. Le Sébato était comble et leur récital a été une réussite. Deux parties, des chansons ajoutées ; c’était en net progrès par rapport à la fois précédente, en particulier Cécile qui, durant quelques secondes, m’a remué de fond en comble. Tout est enregistré. À la fin du concert, je me suis retrouvé à la table de Charline ; Thierry nous a rejoints, puis Firmin. À un moment donné, Firmin a disparu pour revenir quelques minutes plus tard avec un dossier sous le bras ; il en a sorti une partie du courrier qu’il adresse à sa fille qui vit au Canada ; sur des feuillets A4, il « s’amuse » à des essais de lettres spéciales faites en PAO ; il y mêle des manuscrits, des aphorismes, des images, des photos, dessins, pensées. Je ne sais s’il attendait un avis, mais il aurait été déplacé de porter un quelconque jugement d’ordre esthétique ou littéraire sur des choses personnelles et intimes. C’était simplement beau parce que c’était intime, parce que c’était simple, parce que c’est un père qui s’exprime d’une manière particulière et originale. « Ta fille a beaucoup de chance d’avoir un père comme toi. » « C’est un joli compliment », m’a-t-il répondu. (Il fait beaucoup de fautes d’orthographe.) Jeanne nous a alors parlé du journal (« non, des journaux ! » a-t-elle rectifié en me souriant, puisqu’elle avait utilisé des supports différents) qu’elle a tenu durant la moitié de sa vie, un véritable journal intime où elle n’y parle que d’elle et s’y épanche…

 

 

17 juillet

 

« Alors, le Japon ? » m’a demandé Fanny. J’ai cherché une formule ou deux au débotté pour résumer. Par exemple : « Si le mot civilisation a un sens, le Japon doit être le pays le plus civilisé du monde. » Ou : « Le Japon, c’est l’Angleterre sans les Anglais. » Il y a peut-être là de quoi faire… Éléonore a lu Praha. J’étais dans le jardin à lire. Elle l’a posé sur la table et s’en est allé sans le moindre mot. J’avais décidé de ne rien lui demander. Durant la sieste, elle m’en a finalement parlé. « Good », a-t-elle dit. Sous réserves de quelques corrections, je pense qu’il peut être prêt assez vite. Par contre, Dot III traîne lamentablement. J’y suis complètement perdu. Je me demande si vraiment je ne suis pas arrivé au bout de Journals… (Plutôt que de m’acharner sur Dot, je ferais peut-être mieux d’attaquer tout de suite le texte de notre voyage au Japon, et de poursuivre le deuxième numéro du Journal sonore…)

 

 

27 juillet

 

Dot III toujours dont je ne vois pas le bout. Puis, après le repas, Les amants du Pont-Neuf en DVD avec Éléonore. J’en avais un mauvais souvenir, l’ai revu d’un œil un peu différent. Sur l’autre face figure un documentaire à propos de l’histoire mouvementée d’un film. Jacques y apparaît pour son ingénieux système du déplacement des automobiles sur les berges. C’est incroyable comme il y paraît jeune. (Mais il l’est : ça ne date que de quinze ans.) Curieusement, au générique, il a utilisé le prénom Jack qu’il n’aime pourtant pas…

J’ai prêté une oreille au second numéro du JS entamé. Rien qui m’affole…

 

 

4 août

 

Vaseux, barbouillé, chaleur moite, pesanteur, comme un concentré de Japon, le Japon qui, bien sûr – nous ne nous étions pas revus depuis –, a été le principal sujet de conversation de la soirée chez Thierry et Denis, et la jolie Cécile, puis Gélase, puis, plus tard, Anémone. « Tu me donnes envie d’y aller ! » m’a dit Cécile. Elle revenait de Bretagne, s’était initiée à la plongée sous-marine, l’authentique, avec l’embout, la « combi » et les bouteilles. Elle en parlait, bien, très bien, parlait de ses sensations au sein de l’eau et, en l’écoutant, je me suis étonné de la précision et de la justesse de ses descriptions, du vocabulaire qu’elle employait, de certaines images utilisées – je ne suis pas sûr que j’aurais pu trouver ces mots-là. Cette expérience l’a marquée, presque transformée, et elle n’a qu’une hâte, « replonger » (je replongerais bien avec elle). « Eh bien, va au Japon : de la mer, il n’y a que ça et s’y trouve les plus beaux poissons du monde. » Elle m’a dit qu’elle avait eu le temps de rattraper son retard de lecture de mes livrets et y avait pris un « plaisir immense ». Je ne sais si ça m’a fait plaisir ou non ; j’ai simplement hoché la tête ; j’avais à l’esprit le désastre du précédent que j’avais hésité à publier, de la même manière que je parle autour de moi du livre que je vais consacrer au Japon alors que je me sens de moins en moins capable de l’affronter. À ce propos, Gélase m’a offert Chronique japonaise qu’il m’avait promis de m’offrir avant notre départ. « Je ne le lirai pas tout de suite, je vais attendre d’entamer le mien. » C’était chaleureux et animé. Denis est définitivement fou ; il nous a parlé avec un enthousiasme fébrile de ses ateliers de vacances pour enfants (mais dans la banlieue chic ; est-ce si étonnant qu’ils soient ouverts et inventifs ? – et les enfants dont Thierry s’occupe sont des quartiers populaires de Roubaix). Il veut me donner des cours de violoncelle avec celui de Cécile qu’elle n’utilise plus ; elle en a joué (c’est du reste grâce au violoncelle qu’ils se sont rencontrés). Il m’a raconté une anecdote au sujet de l’une de ses élèves, une dame issue du conservatoire, qui désirait « connaître » le jazz ; elle a éclaté en sanglots lorsqu’elle s’est rendu compte que cet instrument qu’elle utilisait depuis tant de temps dans le cadre strict et fermé de ses études lui était inconnu, cest-à-dire lorsque Grégoire lui a fait découvrir que, jusqu’à ce moment-là, il n’était qu’un pauvre bout de bois dont elle ne connaissait que le centième des possibilités. Le conservatoire est une petite mort de la musique…

 

 

5 août

 

Je suis en train d’écouter le MD fait chez Gélase il y a un an. Auparavant, j’écoutais l’album que Thierry m’avait gravé, Murder ballads de Nick Cave et ses mauvaises graines. Il compte reprendre l’une de ses chansons avec Cécile et Denis, a demandé à Éléonore de la lui traduire, je me suis proposé de faire un brouillon pour qu’ils puissent la chanter en français…

 

 

6 août

 

J’effectue la saisie de la semaine. Hier soir et avant que l’orage n’éclate, j’ai travaillé au Journal sonore : copie de passages de « Paris », puis essai sur le vif de « Salon de je 2 ». C’est pas mal. Je vais y insérer des passages du disque chez Gélase dont le début est intéressant. Où cela va-t-il mener ? (Au début, il n’était question que d’une alternance entre le Salon de jeu de chez Rita et le concert de Laurent à la Renaissance…)

 

 

11 août

 

Je suis en train de réécouter « Beaurepaire »* suivie de « Gusses I », au cas où il y aurait des choses à prélever pour le prochain JS. Je constate avec une certaine surprise que Gusses qui m’avait tant enthousiasmé lorsque je l’avais réalisé me laisse presque indifférent aujourd’hui…

 

* une soirée chez Apolline et Jaouen que javais intégralement enregistrée (note du 30 octobre 2021)

 

 

14 août

 

J’ai passé toute l’après-midi à constituer deux CD du concert de Dans la Cuisine* à Sébasto. Je me demande quel est le problème avec Cécile qui, à certains moments, est exceptionnelle et, à d’autres, quelconque. Quoi qu’il en soit, sa voix me donne parfois le frisson… Il est minuit et quelques et je me demande à quoi je vais passer le temps qui me reste avant d’aller me coucher : Dot IV, Roubaix-Kobe, le JS ou Praha-Lucca ? Je ne souffre pas de l’angoisse de la page blanche, mais de celle de trop de pages. Pages noires…

 

* le groupe de Cécile, Denis et Thierry (note du 29 octobre 2021)

 

 

15 août

 

J’ai copié quelques extraits des minidisques en vue du prochain Journal sonore. C’est tout…

 

 

18 août

 

(Je viens de relire Harold et Chimène*, l’un des rares de mes anciens textes qui n’ait pas faibli face au temps.) (La spirale inverse : partie du centre pour gagner le bord – centripète.) (Non : centrifuge, « qui fuit le centre », tandis que la spirale de Journals est centripète…)

 

 * publié en 1986 dans la revue québécoise Imagine... (note du 30 octobre 2021)

 

 

15 septembre

 

Pas de nouvelles de Marian, et je n’en donne pas non plus. J’aimerais bien arrêter, ne plus rien avoir à faire après le bureau et rentrer, d’autant que mon temps sera bientôt compté, et donc précieux…

 

 

27 septembre

 

Marian était au vernissage de l’expo de son père à Arras. Trois mois que je ne l’avais vu, je l’ai à peine reconnu. Il a encore grandi, est de ma taille, porte les cheveux longs (les deux petits bruns à lunettes, qui l’accompagnaient et avaient l’air de nains chétifs à ses côtés, l’appelaient « Robert Plant »). C’est un adolescent dans toute sa force, c’est proprement incroyable. Nous avons un peu parlé, mais j’étais à la fois saisi par cette nouvelle vision de lui et pris par l’impatience de poursuivre la visite (je ne l’ai pas revu ensuite, mais, en vérité, je pense que j’ai craint d’être vite à court de mots : que dire à ce presqu’homme que je ne reconnais plus ?)…

 

 

29 septembre

 

Le JS2 touche à sa fin. Je ne me suis toujours pas décidé à aller massicoter Praha. D’où vient cette mollesse ?

 

 

3 octobre

 

Mon esprit est très loin du journal. Je n’avais pas pris de carnet pour cette journée en Belgique. Mais depuis combien de temps je ne prends plus de carnet pour nos sorties ? Éléonore me l’a fait remarquer à une terrasse. J’ai dit que j’étais en vacances. (Les vacances pour moi, c’est sans doute cela : n’avoir ni carnet ni sac à son avec moi…)

 

 

10 octobre

 

Jérôme fêtait son anniversaire. Avec Hermann, j’ai débattu de la différence entre le journal écrit et le journal sonore, de leurs difficultés respectives, du fait que l’on peut réécrire un texte, mais pas un son, d’où la contrainte qu’impose le son (à réfléchir). J’ai parlé du Journal Musical avec Thierry et Cécile, de mon manque de motivation…

 

 

12 octobre

 

J’écris sans goût. Je suis absent ; le suis depuis quelques jours, comme au ralenti, presque au repos. Le journal m’apparaît comme une chose vague datant d’un moyen âge personnel révolu (pourtant, j’y suis, non ?)…

 

 

14 octobre

 

Je réécoute Schnittke, cassette 266 avec les commentaires de la présentatrice (à relever). En même temps, je pense, pour le JS, à une superposition de voix multiples (la mienne) qui lirait des extraits de mon journal. Confusion réelle des temps (ce que l’écriture interdit)…

Idée pour une conférence : lectures multiples en utilisant divers lecteurs*. Titre : Journals. Lecture.

 

* et/ou lectrices ; mais, à la réflexion, je ne suis pas sûr du sens que je lui avais donné à ce moment-là : est-ce la personne ou l’appareil ? (note du 27 octobre 2021)

  

 

20 octobre

 

Absence totale d’énergie qui fait que je ne parviens pas à rappeler Marian, ni à relancer les répétitions de chant. Finalement, ne vois-je pas tout cela comme des contraintes, ou plutôt comme des obstacles à mes propres « affaires » ? Mais je sais qu’il y a aussi la programmation, la répétition, la reproduction au fil des semaines d’un programme établi (l’emploi du temps, en somme) qui me donne l’impression que le temps n’en est qu’accéléré : lundi japonais, mardi Marian, mercredi latin/grec, jeudi répétition, un dimanche sur deux maman. Je pense que c’est de cela que je ne veux pas… En vérité, le seul rendez-vous régulier auquel je me rends toujours avec un plaisir égal, c’est celui du latin/grec…

Je pense que je vais arrêter le Journal Musical. Je n’ai plus envie des enregistrements. C’est passé, ça n’a plus de sens aujourd’hui…

(Tibère me demandait si je composais toujours et est resté éberlué lorsque je lui ai appris que je n’avais pas écrit une note depuis près de dix ans. Mais jai ajouté que, d’une certaine manière, le Journal sonore était peut-être une manière de composition musicale – je n’y croyais pas un instant –, en tout cas un renouement avec le son. J’ai pensé plus tard qu’en vérité, mes dernières notes écrites dataient de 1995, rue Manuel, à l’époque où je m’étais mis à Bach. Il n’est pas impossible qu’il y ait un lien, comme si l’apprentissage et la découverte de cette musique au clavier étaient suffisants pour combler un besoin qui, en définitive, n’existait peut-être pas…)

Aujourd’hui, le seul sens que puisse avoir l’entreprise Journals, c’est la constitution et la publication de l’intégrale des quinze premières années selon la règle de la spirale. Je m’égare en poursuivant Dot

 

 

27 octobre

 

Je suis à L’Intimité, mois d’avril. L’Intimité, c’est l’intégrale sans V. C’est en ce sens qu’ont été préparés les mois précédents. Aujourd’hui, alors que je la vois apparaître dans les pages que je mets bout à bout, je me pose la question : doit-elle faire partie de l’intégrale ou non ? Pourquoi l’en écarter ? Pourquoi l’ôter de ce qui, en vérité, est ma vie ? (Sa présence dans L’Intimité devrait-elle empêcher l’existence du Journal d’un homme en mai* ? Non.)

 

* c’est le titre du journal que j’avais consacré à V. ; il désigne aujourd’hui l’intégrale des journals (qui couvre vingt ans puisque je l’ai arrêtée en 2010) ; cest en voie d’achèvement (note du 29 octobre 2021)

 

 

28 octobre

 

Dot 4 est toujours sur une voie du garage et je m’amuse avec Dot 8 que j’ai commencé à constituer après le 6 et le 7. Et je ris, trouve ça épatant, en pensant dans le même temps qu’au moment où j’y serai effectivement, je trouverai cela exécrable. Puis je me suis fait cette réflexion que je m’obstinais peut-être à trop les travailler et que cela pouvait nuire à la spontanéité, au caractère journal qui, malgré tout, est bien ce qui compte avant tout, ou pour le moins, ce qui prime. C’est un journal. Pourquoi chercher à tout prix à m’en écarter et c’est bien ce qui arrive à trop le travailler, ou, pour le moins, à le vouloir parfait dans des délais qui, évidemment, rendent la chose impossible. En outre, c’est trop monté, trop bousculé. Je devrais sans aucun doute respecter la chronologie de la spirale puisque spirale il y a, puisque c’est elle qui est la base de Dot. Pourquoi chercher à tout prix à tout mélanger puisque ça l’est déjà ? En toute logique, je dois me conformer à l’ordre qu’elle m’indique et le montage ne devrait être réservé qu’aux passages qui, effectivement, le nécessitent (les récits de voyage, par exemple). Je m’en rends compte en parcourant les autres Dot à l’état d’ébauche qui se lisent très bien sans qu’il soit nécessaire de tout chambouler dans la chronologie…

 

 

5 novembre

 

Nous sommes allés voir un film au Centre d’Arts, Tishe !, d’un Russe, Victor Kossakovsky. Lorsque je suis allé le saluer au moment de partir, et le féliciter, chose que je fais rarement, il m’a dit qu’il y avait une certaine ressemblance physique entre nous deux. « Big nose and the eyes like this. » Il a tracé une bande horizontale à l’aide de ses doigts au niveau de ses yeux. « I’m Polish », ai-je dit. « Oh, I understand, now. » Il m’a souhaité une bonne nuit et nous nous sommes quittés là. La ressemblance ne s’arrête pas là, et j’aurais aimé lui en parler s’il n’y avait pas la langue, et son anglais était rudimentaire. Elle se poursuit dans le film lui-même : il pourrait très bien être Journals mis en image, ou plus exactement une manière cinématographique de présenter un journal tel que je le pratique. Mais ça ne m’a pas effleuré lorsque le film se déroulait. Ça ne m’est venu que par la suite, au cours du débat, lorsqu’il insistait beaucoup sur le fait qu’il s’agissait d’un film réel, avec des images réelles et non du cinéma avec une histoire, une fiction. Guenièvre qui était à la table a aussi souligné que ça nen était pas vraiment, que c’était hors du documentaire pour la simple raison qu’il monte, arrange, insère, bâtit toute une histoire, qu’elle soit de fiction ou non, mais qui en devient une, comme dans mon cas, par le simple fait que c’est agencé et ordonné dans le sens d’un tout, d’une cohésion. Il dit non, que n’importe qui pourrait faire ce genre de film. N’importe qui peut acheter une petite caméra, s’installer à sa fenêtre comme il l’a fait, filmer ce qui se passe dans la rue, comme il l’a fait. Mais n’importe qui ne peut pas aboutir à un tel résultat qui est la marque d’une intelligence, d’une vision, d’une réflexion ; la marque d’un cinéaste. En deux mots, c’était très beau (tous les éléments comme des êtres vivants jusqu’à la terre du trou de nuit sur laquelle scintillaient doucement des gouttes de pluie, et l’envol de feuilles sur la chaussée, prises dans les aléas du vent et qui, et j’ai souvent été frappé par le mouvement d’un sac en plastique, d’une feuille, d’une chose quelconque et légère que le vent remue à son gré et à laquelle, effectivement, il confère un souffle, le sien propre qu’il lui insuffle, c’est le mot, et donc respiraient d’un bout à l’autre au même titre que les personnages qu’étaient, sous l’œil de la caméra, c’est-à-dire sous son œil quoi qu’il en dise, les passants, les habitants du quartier…)

 

 

16 novembre

 

Je n’ai pas donné signe de vie à Marian depuis le jour du vernissage ; lui non plus. Les choses me semblent claires (de tout manière, je n’ai plus envie de retourner chez eux)…

 

 

17 novembre

 

Ce n’est que le hasard, une simple coïncidence (ah ?), un concours de circonstances (vraiment ?). J’avais hésité à prendre mon matériel, m’étais demandé ce qui pouvait justifier une prise de son durant ce vernissage, même s’il s’agissait de celui de Léo*. Une trace. Mais pourquoi celle-là plutôt qu’une autre et je sais qu’en définitive, ce type d’enregistrement ne donne pas grand-chose et que je ne peux les utiliser. Je l’ai glissé tout de même dans mon sac, à tout hasard, pour ne pas avoir à le regretter. Une fois arrivé sur place, j’ai posé mon sac à terre et ai bavardé avec César près de la table à l’entrée. La salle était dans la pénombre. Le long du mur de gauche étaient alignées des tables et des chaises de jardin. Le sol était jonché de feuilles mortes. Je parlais avec César et m’est parvenu le son des feuilles que foulaient les enfants, puis, en fond et en boucle, une mélodie chantée par Léo. Alors, j’ai pensé au micro et, tout en poursuivant ma conversation avec César, je l’ai sorti de mon sac, branché à l’appareil, ai fait un réglage sommaire, ai glissé l’appareil dans ma poche, enserré le micro dans ma main droite et quelqu’un derrière moi a dit « bonjour ». Je me suis retourné. C’était V… J’avais le micro dans la main, ma main en partie enfoncée dans ma poche, la bonnette dirigée vers elle. Il était là, visible, un peu incongru, presque bête, et dans ma poche l’appareil enregistrait. J’y ai pensé à plusieurs reprises, ai trouvé cette situation presque grotesque, me suis senti un peu bête. Que devais-je faire ? J’étais incapable d’en décider, alors je l’ai laissé poursuivre son opération providentielle et miraculeuse de l’enregistrement de notre conversation sept ans après la dernière fois où, en sortant de chez elle, je m’étais résolu à ne plus la revoir, à ne plus donner signe de vie, à ne plus interférer dans sa vie. Il fallait pourtant qu’à un moment ou un autre, je lui en parle et je me suis souvenu de ses réticences vis-à-vis du journal à l’époque où je l’y avais fait entrer. Ça ne lui plaisait pas, et je lui avais promis de ne plus parler d’elle. Et qu’y avait-il de plus indiscret que ce micro qui, à son insu (mais au mien aussi), nous enregistrait ? Elle ne l’avait pas vu, ou du moins rien n’indiquait dans son comportement qu’elle s’en soit aperçu. Mais il fallait que je lui en parle. Elle m’a demandé de mes nouvelles, je lui ai dit que je continuais les livres, mais, nouveauté, je faisais aussi du son. C’est là que je lui ai montré le micro, lui ai expliqué le concours de circonstances qui expliquait sa présence dans ma main. Puis j’ai ajouté que ça enregistrait et que je pouvais l’arrêter si ça la dérangeait. Elle m’a dit que ça ne la dérangeait en rien et je pense à l’instant qu’il ne m’est pas venu à l’esprit de l’arrêter, qu’il suffisait que je le sorte de ma poche et l’arrête. C’est ce que j’ai fait à un moment donné, le sortir de ma poche et le lui montrer, mais sans l’arrêter. Comment aurais-je pu l’arrêter à ce moment où notre conversation se gravait pour l’éternité ?

Il devait être 18 h 35 lorsqu’elle m’avait interpelé. Je connais l’horloge, l’avais vu fonctionner. Je savais qu’à 19 h 00 un mécanisme allait se mettre en route pour déployer un éventail devant le cadran et permettre à deux portes de coulisser et à deux personnages d’aller l’un vers l’autre : Gabriel et Marie. À 19 h 00, nous nous sommes tus et tournés vers l’horloge. V. a dit quelque chose à propos de l’Allemagne, j’ai dit : « C’est le même cadran. Il l’a récupéré sur celle de l’Allemagne**. » Gabriel et Marie ont apparu, se sont rencontrés, puis séparés et les portes se sont refermées. C’est à ce moment-là que j’ai pensé que c’était la première fois depuis dix ans que Gabriel et Marie sortaient, c’était donc la seconde fois en dix ans et la première fois c’était le jour où je l’avais rencontrée**…

Je suis allé à la poste. Sur la route, je pensais à notre rencontre d’hier, pensais qu’il fallait que j’écoute ce disque, qu’il ne fallait pas hésiter : cet enregistrement est un miracle…

 

 * lune de ses expositions consacrées à Gabriel et Marie où il présentait une horloge astronomique de sa fabrication

** Erlangen, le 29 avril 1994 ; javais écrit un duo de contrebasses pour loccasion et, par la suite, un texte pour elle

** pas tout à fait ; javais rencontré V. la veille : jallais, avec elle et ses parents, à Erlangen où, face à Marie et Gabriel sétait véritablement faite la rencontre (notes du 30 octobre 2021)

 

 

21 novembre

 

C’est un PMU, Christine y exposait. La dernière fois qu’elle l’avait fait, le patron lui avait acheté l’une de ses toiles. Il l’avait ensuite contactée pour lui demander de faire quelque chose dans son café. Elle avait accepté. C’était un vernissage en chansons avec Nicolas Daquin. Je suis arrivé un peu en avance, ils n’avaient pas tout à fait achevé l’accrochage dans la seconde pièce. J’avais mon micro. Je l’ai immédiatement sorti, ai fait quelques prises en la suivant dans ses préparations. Le monde est arrivé, dont Apolline et Jaouen, et Darius que j’avais rencontré sur la plage de Zuydcoote. De temps à autre, je faisais une prise, micro et appareil dans la main droite. C’est ainsi que j’ai pris quelques bribes d’un bavard, ancien journaliste à Nord-Éclair dont j’ai eu toutes les peines du monde à me tirer des pattes. Puis une certaine Isabelle, une amie de Christine. Christine m’en avait parlé comme d’une « fan », elle avait souscrit à la Rue. Bref, cette fille désirait me rencontrer. Christine me l’a présentée. De mon « travail », nous en sommes arrivés aux livres, aux livrets et à l’opéra. Elle est bibliothécaire, a été amenée à effectuer un travail sur les livrets d’opéra à la Bibliothèque de France. Nous en avons longuement parlé, de l’opéra, et j’étais particulièrement en forme. Lorsque je m’étais aperçu que cette fille était loin d’être inintéressante, j’avais enclenché en douce l’appareil. En douce. Ce qui fait qu’au lieu de le mettre en route, je l’avais arrêté, je m’en suis aperçu par la suite. Je le regrette un peu. Je pense que j’aurais pu utiliser notre conversation dans son intégralité…

 

 

23 novembre

 

Léo m’a appris que Marian lui avait parlé de nos cours et dit qu’ils lui manquaient ; ça m’étonne ; peut-être est-ce ma présence, mon passage hebdomadaire qui lui manquent, car les derniers temps, il semblait plus enclin à jouer aux échecs que du piano…

 

 

25 novembre

 

L’un des frères d’Antek était là ; Marian a passé davantage de temps avec lui sur Internet qu’avec moi ; Zoé allait et venait, j’ai beaucoup parlé avec Doriane. Il n’a pas été question de piano, mais ça n’avait aucune importance, j’étais très content d’être là, chez eux, à boire un verre avec Doriane dans cette ambiance familiale…

 

 

29 novembre

 

Cécile était chez Léo. Je l’ai trouvée particulièrement belle et attirante, nimbée d’une espèce de lumière particulière à laquelle participait l’éclairage un peu orangé et feutré du rez-de-chaussée, et le pull qu’elle portait, de même, orange aussi, qui rendait son visage soyeux et feutré. Je la regardais souvent, me suis souvent rapproché d’elle. Nous n’avons pas parlé des pièces à enregistrer…

Toutes ces sorties en rafale augmentent dangereusement le nombre de mes enregistrements. Quand vais-je trier tout cela ? Et quel sera le contenu du troisième Journal sonore ? Le château Copreaux* dans son intégralité me tente beaucoup...

 

* un weekend passé dans le « château » de la famille d’Hermann dans l’Avesnois, avec Zibeline, Éléonore et moi ; c’était l’une des dernières fois où il avait pu en profiter : il a été vendu quelques mois plus tard (note du 29 octobre 2021)

 

 

10 décembre

 

Je n’ai pas mis le nez dans le JS2, j’accumule les enregistrements, me désespère face à la masse de choses que j’ai en tête et que freinent les sorties, les invitations, la fatigue (et une nouvelle traduction indigeste qui n’en finit pas)…

Nous avons parlé de choses et d’autres, j’ai aligné quelques notes sur son beau piano, nous avons entamé la « revanche » aux échecs en buvant du thé chinois dans lequel nous trempions des pâtisseries chimiques (très bonnes : l’industriel a parfois des qualités) avant que Doriane ne rentre et ne me propose un sherry aux TUC pour lui faire oublier sa lourde journée de travail. J’aime bien les TUC, même au sésame. Nous avons parlé de la soirée du réveillon...

 

 

14 décembre

 

J’ai passé l’après-midi au JS2. Enfin. Multiples coupures, peaufinage. Je ne sais toujours que faire de la dernière scène, celle du retour en voiture avec la conversation en anglais : dois-je la laisser telle quelle ? y ajouter une traduction off, insérée ou qui lui succède ? l’imprimer sur le carton « pochette » ? Quoi qu’il en soit, c’est pratiquement achevé. Je vais en tirer un CD d’essai avant de clore et de commencer à le préparer ; je crois bien que ça ne pourra pas sortir avant janvier. Ce sera donc une nouvelle carte de vœux…

 

 

15 décembre

 

L’écriture est une maladie. Le journal un cancer…

 

 

16 décembre

 

Wilfried a organisé une réunion au Blockhouse pour présenter son projet de long métrage. Il nous a remis à chacun quelques feuillets photocopiés et agrafés, puis, après lecture, en a fait un développement. Ça s’intitule Cheap… Cheap… (qu’il prononce « chip », je devrais le lui dire*), drôle d’histoire autour de cellules où sont enfermés des « marginaux » surveillés par vidéo par des surveillants et un Grand Surveillant. Ce scénario m’a fait un peu tiquer, d’autant qu’il a souligné qu’il n’y avait là aucun parti pris, aucun jugement de quelque ordre que ce soit, ni bons ni méchants. Ah. Mais j’imagine très bien les images qu’il peut en tirer et ça me rassure. Il requiert la collaboration gracieuse de tous et de chacun ; il a trop peu d’argent pour la réalisation « normale » d’un tel film et ne peut payer personne. Il a une idée générale, quelques idées précises et accepte volontiers toute initiative et toute idée venant de l’extérieur ; c’est une sorte de communauté, de collectivité. Je ne suis pas contre, encore qu’il ne soit pas obligé (mais l’est-il ?) de laisser une part d’initiative aux autres. Pense-t-il qu’il s’agit d’un moyen d’avoir notre adhésion ? Pour ma part, je serais plutôt enclin, dans un tel projet, d’attendre des directives… Il a ensuite demandé à chacun la part qu’il aimerait y jouer. Pour moi, ce serait le son et la musique. Il m’a demandé si je serais intéressé par un rôle. J’ai dit non. Hermès a dit qu’il me voyait bien dans une cellule en train de remplir les murs de mon journal…

 

* encore que « chip » soit un morceau et Morceaux a été le titre qu’il donnait à ses vidéos durant les années précédentes (note du 30 octobre 2021)

 

 

19 décembre

 

J’ai été mal fichu toute la journée, indigestion ou « gastro » comme l’a suggéré Guenièvre au téléphone. « Bois du Coca, il n’y a rien de tel. » Je pensais qu’elle plaisantait. « Pas du tout, ils en ont même dans les hôpitaux. C’est excellent pour le foie. » J’ai donc mis mes chaussures pour aller au distributeur d’en face, celui énorme qui a été installé juste à côté de la boulangerie. Je n’ai pas mangé de la journée, n’ai bu que du coca, me suis traîné. Mais j’ai tout de même réussi à travailler un peu au JS2 que je peux considérer comme terminé ; une dernière écoute, un dernier coup d’œil à l’habillage et ce sera fait. Je pense déjà au suivant ; j’hésite entre le château Copreaux et les Japonais à Lille*. Hermann me l’avait suggéré en plaisantant. « Mais j’y songe », lui ai-je dit sans plaisanter. Rien ne m’empêche de le faire et ça ne me coûtera pas beaucoup de temps puisqu’il n’y aura pas de montage (ben voyons, je suis curieux de voir ça)…

 

 * le « happening » d'Orio à la maison folie de Wazemmes le 3 décembre (note du 30 octobre 2021)

 

 

27 décembre

 

Après le supermarché, où on m’a appris que la fabrication des étiquettes que j’y avais achetées et qui me convenaient avait été arrêtée, je suis allé à la poste, puis dans un magasin d’électroménager pour acheter en désespoir de cause des étiquettes Micro Application ; il n’y en avait pas, mais d’autres d’une marque totalement inconnue, IT Works. Je les ai testées aussitôt rentrée, elles se bloquaient dans l’imprimante, mais, après de multiples essais, j’ai trouvé le truc pour les faire passer et ça ira. J’ai commencé la gravure des premiers CD du Journal sonore 2. Il y aurait des points à revoir, ce n’est pas parfait (je parle de la composition) mais il est trop tard, il faut que ça se termine…

 

 

31 décembre

 

Dernier jour de l’année. À 19 h 00, j’ai retiré du graveur le soixantième exemplaire du numéro 2 du Journal sonore. C’est terminé…

 

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