2000
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14 janvier
J’étais à cran, déprimé, sans raison particulière. « Est-ce que je ne m’inventerais pas des problèmes ? » ai-je dit à Doriane en me laissant tomber dans un fauteuil. Puis : « Je ne suis jamais content. Ça doit être ma nature. Mon côté slave. » Je pensais à Antek, et l’ai sciemment dit pour qu’elle fasse le parallèle. Son arrivée a été comme une illustration à mes propos : il faisait la gueule. Nous étions dans la cuisine, je venais de quitter Marian au piano. Il manifeste un peu de volonté dans le sens de la lecture. Ça commence à venir. Petit à petit, il se rapproche de la partition, commence à montrer un certain intérêt aux notes écrites. Le cours s’est très bien passé, de la même manière que la semaine dernière, essentiellement pour moi qui lui avais proposé que nous réduisions à une demi-heure. Une heure, c’est trop, à la fois pour moi et pour lui. Je lui avais dit : « Désormais, on ne fera qu’une demi-heure ; si on veut continuer, on continue ; si on veut arrêter, on arrête. D’accord ? » « D’accord. » De ce fait, j’ai l’impression que les choses se passent beaucoup mieux, autant pour lui que pour moi. De plus, c’est largement suffisant puisque depuis quelque temps il travaille plus sérieusement durant la semaine. Nous nous y sommes aussitôt mis. Il m’a montré son travail de la semaine, nous avons vu les mesures suivantes. À un moment donné, j’ai regardé ma montre : la demi-heure était largement dépassée. Je n’en revenais pas. « Voilà. Qu’est-ce que tu veux faire ? On continue ou on arrête ? » Nous avons continué une dizaine de minutes, ce qui fait que, en définitive, le cours a duré plus d’une heure...
Petit à petit, le cours s’est transformé en une sorte de rituel : j’arrive vers 18 h 00 pour repartir à 20 h 30, pour l’autre cours, celui de grec/latin qui désormais a lieu chez Apollos, à deux pas de chez eux. Il y a le cours proprement dit, puis le thé, la conversation ; lorsque j’arrive, Marian est généralement seul ; pendant le cours, Doriane et Zoé rentrent, puis nous prenons le thé, puis Antek rentre, la conversation se poursuit jusqu’à ce que je m’en aille… La semaine dernière, Doriane me faisait le chèque pour le mois de janvier. « Combien je te mets ? » « Rien. Déjà le mois dernier, tu m’as trop donné. Et puis, je ne vois pas ce que je peux te demander du fait que je ne fais plus qu’une demi-heure et que j’ai davantage l’impression de passer en visite que pour un cours de piano. Je ne veux rien. » « Si, si. Il n’y a pas de raison. Tu passes du temps. Ce temps-là, tu ne le passes pas à écrire. » Elle m’a fait le chèque. J’ai eu des scrupules à le prendre, et lorsqu’Antek est rentré et que j’étais dans la cuisine avec Doriane, le thé et mes tartines de pâté, je me suis dit qu’il n’était tout de même pas normal que je me fasse payer et qu’à partir du mois prochain, je refuserai... Antek est arrivé, nous avons parlé de son exposition. Il en revenait, l’installation était achevée. Il semblait satisfait. Énervé, mais satisfait. « Et tout cela pour rien », a-t-il fait comme d’habitude. J’ai ri. « Mais tout est pour rien », ai-je dit en oubliant que j’aurais eu exactement la même réflexion que lui. Tout cela pour rien. À quoi ça sert tout cela ?...
28 janvier
Nous avons entamé le quatre mains Redite de Satie, puis vu Bruxelles qu’il chantait tandis que je tentais de le suivre au galop, joyeux chaos qui a fait éclater de rire Antek. Repas improvisé dans la cuisine : pâté, nuggets, blé chaud ; le tout au ketchup. « Nous sommes des Américains », ai-je dit en polonais (il n’y a pas de mot pour « états-unien » en polonais). Nous avons parlé de la télé, de la radio, de l’infinie indigence de la junte journalistique ou prétendue telle, propos entrecoupés d’accents de Michèle Torr, de France Gall et de Céline Dion. Nous avons bien ri…
17 février
J’ai répété avec Thierry nos nouvelles chansons, Bruxelles et Les vacances au bord de la mer. Ce n’était pas très concluant... (Je le soupçonne d’être un peu déprimé ; nous n’avons malheureusement pas eu le temps de parler...)
24 mars
Le quatre-mains avance, mais nous n’avons pas passé le cap de la demi-heure. Il était fatigué, j’ai attrapé mal au crâne. Antek était dans son atelier, au grenier. Il me restait une heure avant le cours latin/grec, j’ai fait un peu de Bach/Jonasz en feignant de croire que c’était magistral tandis que Marian jouait à la marchande avec sa sœur. Antek est descendu, m’a proposé un petit vin blanc des familles. « Non, j’ai mal au crâne, et je n’ai rien mangé de la journée. » « Tu veux un hot-dog ? » Nous sommes allés dans la cuisine, j’ai mangé des hot-dogs avec les enfants. « Qu’est-ce que ça veut dire, hot-dog ? » a demandé Marian. « Chien chaud », a dit Antek. « Goroncy pies », ai-je dit. Il n’a pas compris. « C’est Sandwich qui a inventé le hot-dog ? » « Non, il n’a inventé que le sandwich. Ce n’est pas la même chose. » « C’est sûrement les Américains qui ont inventé le hot-dog », a-t-il conclu en croquant le sien. J’ai goûté le vin blanc qu’Antek me vantait, un Gewurztraminer qu’il a fait venir, excellent, en effet. « Un peu de cassoulet ? » « Je n’ai jamais refusé une invitation à manger... »
28 mars
Thierry et moi avons répété les nouvelles chansons de son prochain tour de chant ; il y aurait des parties de guitare pour moi. Les essais ont été laborieux ; j’ai l’impression que cet instrument n’est plus le mien et, pire, que d’en jouer ne m’intéresse pas. C’est très étrange...
7 avril
Nous avons achevé le quatre mains. Après le cours et en attendant l’heure de me rendre chez Apollos pour le latin/grec, et tandis que Marian et Zoé jouaient dans leur chambre, j’ai fait un peu de piano avant de passer à la cuisine me préparer un thé que j’ai bu tout en achevant ma cinquantième leçon de polonais commencée dans l’après-midi. Doriane est rentrée alors que je m’apprêtais à enfiler ma veste. Elle m’a proposé des tartines au pâté et des raviolis, je me suis laissé tenter, malgré l’heure. Je suis arrivé au cours latin/grec avec une demi-heure de retard…
22 avril
Un peu de guitare, puis de piano. Il faut que je me refasse la corne des doigts : des mois que je n’avais touché à la guitare (et plus d’une semaine pour le piano)...
28 avril
Nous avons vu la Première gnossienne. Les capacités d’assimilation de Marian sont extraordinaires, Antek et moi n’en revenions pas… (Je ne l’avais pas vu pendant trois semaines, l’ai trouvé physiquement changé ; il est passé au stade suivant, celui de petit homme – il ressemble de plus en plus à son père)…
1er mai
Aujourd’hui s’est créée l’association Le Lys. Les papiers étaient prêts, il ne manquait que les signatures, et donc les signataires, c’est-à-dire Évrard comme secrétaire, Childéric comme trésorier (et Éléonore comme présidente – j’aurais peut-être dû la mettre au trésor). Pour l’occasion, nous les avons invités pour un café/pâtisseries avec leur famille respective, dont le garçon de Childéric, dix-huit mois, qui découvre la station debout, l’usage de ses pieds et celui du monde dans cette position neuve pour lui. Il ne s’en prive pas : il court, écrase, arrache, renverse, tombe, bouscule, crie, pleure, rit, et m’oblige, une fois de plus, à ne rien regretter et à m’exclamer : « je l’ai échappé belle »... L’ « A.G. » s’est déroulée dans le jardin. Nous avons profité qu’ils soient là pour leur faire découvrir l’album (ils y sont) et le bassin des vœux. Nous avons parlé du projet de la Rue et de l’événement littéraire qui y sera lié. Je n’ai toujours pas la moindre idée, c’est la confusion la plus totale. Nous en avons ensuite parlé, Éléonore et moi. Une chose me frappe, qui m’avait déjà frappée : mon entourage manifeste beaucoup plus d’enthousiasme que moi. C’est peut-être dû à la confusion qui règne dans mon esprit à ce sujet, ou alors je suis trop frileux ; ou j’ai moins d’enthousiasme en général. Je le remarque pour ma participation au tour de chant de Thierry. Ça me plaît et, en même temps, j’ai un mal fou à m’y mettre véritablement, à m’y intéresser un tant soit peu. Il m’avait remis une cassette dont je dois me servir pour travailler mes parties : nous nous voyons demain pour une répétition avec Cyril et je n’ai toujours rien fait. Il n’empêche : les papiers sont faits pour l’association ; reste à les envoyer. Demain, j’appellerai Dolart à la DRAC. Mais que vais-je lui dire ? Je n’ai pas d’idées…
Il y avait un vernissage dans une galerie de Roubaix (Mia y était, radieuse, m’a salué avec son « salut, beau Guy » habituel). Éléonore et moi sommes ensuite allés chez Horace et Lise où nous étions invités. Vendredi, j’étais passé chez Ulysse*, j’avais bavardé avec Lise, nous avions parlé de choses et d’autres, dont de leur récent voyage à Marrakesh qui l’a subjuguée. J’en étais arrivé à lui parler de l’événement littéraire au sujet de la Rue. Comme il lui manquait beaucoup d’éléments, dont l’existence même du texte, elle nous a invités à dîner. Léo y était. Horace nous a fait visiter son atelier installé dans les deux salles qui, à une époque, avaient été des ateliers de confection. J’ai pu à loisir détailler toutes les pièces exposées, de belles choses du début, d’avant les « suspens » (qu’il nomme Instants), puis des suspens. Je ne sais qu’en dire…
* la librairie que Lise tenait à Roubaix (note du 22 octobre 2021)
2 mai
Répétition chez Cyril avec Thierry pour quelques chansons de son tour de chant. J’ai très mal aux doigts...
6 mai
Je suis arrivé avec un quart d’heure de retard. « C’est Jean-Sébastien », ai-je dit à l’interphone (j’alterne avec Erik et Wolfgang). J’ai découvert Zoé en maillot de bain, Marian en slip, puis Doriane en une tenue décontractée qui mettait ses formes en évidence. Marian a filé se changer, nous avons attaqué la suite de la Première Gnossienne. Il avale tout, comprend tout : la semaine prochaine, ce sera au point. C’était un ravissement. Puis je suis passé sur la terrasse avec Doriane pour le thé rituel…
16 mai
Cours, puis thé sur la terrasse avec Doriane et le soleil. Elle vient de recevoir la confirmation pour son expo dans une galerie roubaisienne, elle exultait. Je lui ai parlé de mon projet de conférence/lecture. « C’est bien, il se passe plein de choses en ce moment, c’est réjouissant. Au fait, j’ai vu ta BM en bas, elle est belle... Léo dit que t’es plus dandy que jamais : une Mercedes, une BM. » « Je ne suis pas un dandy : un dandy, ça ne travaille pas. » « Pourquoi ? tu travailles ? » Elle a souri et, en descendant les escaliers, je me suis dit que, dans le fond, j’étais bien une sorte de dandy, dandy du travail, qui travaille sans travailler, donne l’illusion du travail... « Un dandy roubaisien », avait-elle ajouté...
24 mai
Répétition à la maison. J’ai fait la connaissance de Christine, la chanteuse (elle regardait autour d’elle comme s’il s’agissait de Versailles : « c’est magnifique, on dirait que l’on est dans un château, c’est chez toi ? »)... Ça ne s’est pas trop mal passé, mais je me suis aperçu que l’ajout d’une chanteuse desservait les chansons, leur donnait un caractère convenu et banal. Et je trouve que Thierry manque de rigueur. Sa politique est de laisser faire les musiciens, de leur laisser le soin de créer leur propre partie. C’est louable, mais dangereux. Son regard n’est pas assez critique, et les musiciens pas forcément « doués » pour cela. En ce qui me concerne, ce serait plutôt pour m’arranger : ça me permet de me dégager de la convention du genre et de tâcher de lui conférer un ton différent, une autre couleur. Mais ça ne marche pas ; de plus, cela va me demander un surcroît de travail. Cette tâche supplémentaire sera-t-elle utile, et efficace ? J’ai ensuite pris quelques notes :
Conférence/lecture
Les Éditions du Lys et Ulysse vous prient de bien vouloir venir assister
Le Roman de l’année (extrait de mon temps)
Conférence/lecture (musicale)
de Guy Grudzien
à l’occasion
de la publication de l’ouvrage
L’Année de la rue V. ou le Roman de l’Année
le 31 décembre 2000 à 21 h 00
29 mai
Instruments qui me viennent à l’esprit pour la conférence : violon, piano, contrebasse, clarinette ; et je pense aussi à l’alto (Cyril), à Marc (trombone). Penser au chant : masculin (Philippe et Jacques) et féminin (la Fête des Pères, Zita)…
Philippe et Jacques : dire le texte suivi immédiatement de la pièce. Chez Lise*, expo : la bibliothèque de Gérard, les toiles d’Hervé, un manuscrit d’Alix, un sac de détritus de la mère de Gérard, l’affiche de Tatiana (en fond musical : les arpèges d’Agathe**)... Éventuellement, à la clôture, le 31 décembre 2001, faire une vente aux enchères des divers objets (penser à un vêtement, ou à l’urne des cendres de Rémi, par exemple) ; prévoir un fragment de texte qui présente la conférence comme une préfiguration de l’opéra ; prévoir une pièce inédite pour tous les musiciens, en final... Citer tous les prénoms dans l’ordre chronologique en s’arrêtant sur ceux qui seront illustrés ou par le texte ou par la musique (ou les deux) ; prévoir sono pour passage de bandes... Après la lecture de la présentation, mentionner le Journal Musical et Journals, l’opéra. Problème pour l’énumération : la musique s’arrête en juillet. De ce fait, arrêter la conférence à la date de la dernière trace musicale (prévoir un « énumérateur » qui ne serait pas moi). « Pour le reste, c’est une autre histoire... », puis final musical (en fond sonore possible – ou visuel – l’énumération des prénoms restants).
« Le Roman de l’année s’achève le 31 décembre 1991. Cependant, légère entorse aux règles – mentale autant que matérielle, mentale car j’avais déjà l’idée de la fin et matérielle parce que cette idée ne pouvait se matérialiser dans les limites d’une journée, la dernière de l’année qui plus est –, ce jour a été rédigé durant les premiers jours de l’année 1992. Ensuite, si je consulte mon diagramme du temps (à projeter), je m’aperçois que rien ne s’est écrit cette année-là. Les choses reprennent aux premiers jours de l’année 1993 avec l’élaboration du Journal musical… »
Présenter le calendrier d’origine, les cahiers... plans, brouillons (encadrés, par exemple)***.
Jeudi, fête chez nous, une quinzaine de personnes. À partir de vendredi, il faut que je me mette sérieusement à la conception de la fête du 31. Recontacter Dolart, préparer le dossier, contacter Christophe**** pour les musiciens...
* entre-temps, il y avait eu le vague projet d’utiliser l’atelier d’Horace (mais il refusait de déplacer ses pièces et il y faisait un froid de canard)
** tous personnages de la Rue
*** ils l’ont été dans la vitrine que Léo avait confectionnée ; elle a été exposée sur l’une des cheminées du séjour à Roubaix, y est restée jusqu’à notre déménagement ; aujourd’hui, elle se trouve sur un meuble dans le séjour – je ne suis pas sûr qu’en vingt ans, il y ait eu plus de deux ou trois personnes qui ont demandé de quoi il s’agissait
**** qui est-il ? je ne vois absolument pas de qui il s’agit… (notes du 19 octobre 2021)
13 juin
Après être allé chez Childéric pour y prendre l’impression d’Emma*, je suis directement rentré pour la répétition. Christine est arrivée un peu en retard et Thierry, Cyril et Marc pas du tout. Nous avons bavardé pendant deux bonnes heures. Je lui ai parlé de la musique, des éditions, de l’écriture, du journal, elle de la Corrèze d’où elle est originaire, de sa vie comme institutrice à Roubaix depuis onze ans. Elle est sensible, intelligente, agréable (et a un rire sonore très particulier)…
* le vingt-troisième numéro des livrets du Lys (note du 22 octobre 2021)
14 juin
Journée calme, lente, admirablement lente. Je devais me mettre à la conférence, y ai beaucoup pensé, mais n’ai rien entamé. J’ai fait le grec, le latin, puis écouté divers enregistrements des pièces – surtout les pièces vocales – en rangeant des cassettes, des bandes un peu égarées dans le chambardement de mes affaires dans le grenier. Depuis deux ans, c’est la première fois que j’ai pu utiliser convenablement les Revox restés en plan dans divers coins du grenier. Ça m’a fait du bien... J’ai fait un peu de piano, de guitare au soir à l’aide d’un tout nouveau jeu de cordes prétendument révolutionnaire, garanti anti-oxydation. J’attends de voir (je bousille un jeu en moins de deux jours). Pour l’instant, compte tenu de la médiocrité de ma guitare, ça sonne admirablement...
J’écoute à l’instant la cassette destinée aux abonnés du Lys faite d’extraits du Journal Musical, et, à l’instant, précisément, Fête des Pères (qui m’émeut toujours autant). Je pense que, pour le 31, Cyril pourrait remplacer le violoncelle par l’alto…
Zita, Fête des Pères, Solange, Philippe et Jacques, Marietta…
15 juin
J’ai entamé le projet de la conférence, lecture de la présentation, puis quelques lignes supplémentaires destinées à présenter le Journal Musical. À partir de là, le premier extrait. Lequel ? J’ai aussi pensé à une chose qui risque d’être très gênante : la première partition apparaît le 10 avril : faudra-t-il de la musique jusqu’à ce moment-là, c’est-à-dire des extraits de bande sonore ou devrais-je me contenter de textes lus uniquement ? Quel effet feront les musiciens en attente durant ce temps ? (drôle de formule) En poursuivant mon rangement des cassettes audio en vrac, je suis tombé sur un enregistrement que Thierry m’avait fait il y a deux ans, Fête-Dieu et Notre-Dame du carmel, avec sa seule voix et en multipistes. L’effet est étonnant. Je me demande si je ne pourrais pas sélectionner ces deux versions plutôt que de me lancer dans un montage laborieux et certainement vain à partir de toutes les prises malheureuses qui ont été effectuées avec le quatuor au complet. J’en ai parlé à Thierry, il n’y trouve rien à redire...
Marian était épuisé, s’est de nouveau mis à pleurer. Comment est-il possible qu’en enfant de son âge soit fatigué à 18 h 00, fatigue au point d’être incapable de donner un minimum de son attention, de son énergie ? Qu’est-ce que c’est que cette société qui accable gamins et gamines avant même qu’ils ne s’abandonnent au labeur ? Au retour, j’en ai parlé à Éléonore ; elle m’a dit que c’était typiquement français : l’école toute la semaine et tout le jour durant, les devoirs à la maison, et, ajouté à cela, les activités que les parents se sentent un devoir d’offrir à leurs enfants, de peur qu’ils ne connaissent l’ennui, ou de peur qu’eux-mêmes n’aient la charge de s’en occuper...
23 juin
Marian est de nouveau en crise, en retrait, renfermé, il pleure. Sa mère l’engueule, ça n’arrange rien. C’est avec beaucoup de peine que je suis parvenu à le faire jouer. Il refusait de répondre à mes questions. Qu’a-t-il ? Il me fait l’effet d’être dépressif. Est-ce possible à son âge ?...
30 juin
Je montais les cinq étages, Marian est venu à ma rencontre en souriant. Il m’a dit qu’il savait désormais pourquoi il avait pleuré les précédentes fois : « C’est maman qui me l’a dit : c’est parce que je ne répète pas pendant la semaine et je suis perdu quand t’arrives. Alors, on ne fait rien à cause de moi et tu perds ton temps... » Le cours s’est admirablement bien passé. J’espère que ça durera...