1996
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1er février
Troisième réunion de travail de Domicile conjugal chez Valérie. Nous progressons peu, mais nous progressons. Ça a été une excellente soirée, plaisir encore augmenté par la présence de Valérie. La prochaine est fixée au 26...
Nous avons fait quelques essais à quatre mains qui nous ont gênés et émoustillés tout à la fois… Nous nous voyons jeudi prochain pour une répétition des pièces*…
Rien de neuf au sujet des enregistrements. Par contre, je me suis remis au déroulement...
Demain, il faut que j’appelle Aurélia et Christelle Rambert... Quant à Yann...
* de Domicile conjugal, j’imagine (note du 5 septembre 2021)
4 février
René m’a appelé pour quelques précisions au sujet de ses partitions, notamment les respirations. Il compte travailler ce weekend avec Samantha la pièce pour piccolo et tuba (je n’ai pas le titre en tête – Éric, il me semble). Il me rappelle pour que nous fixions une date...
Dans l’après-midi, j’ai remis à Didier une copie du Condensé et du Synopsis. Il n’est pas très chaud pour une reprise d’Igor, dit que ça lui semble vain. De toute manière, nous n’avons pas eu de nouvelles de Christelle qui devait nous appeler avant lundi, date fixée pour la répétition. Je suis assez d’accord avec lui, je ne vois pas trop l’utilité de refaire une pièce alors qu’il en reste encore tant à faire ; mais au théâtre, je me voyais mal contrarier un enthousiasme et une initiative qui, de la part de Marc et de Christelle, étaient si manifestes...
J’ai « achevé » le déroulement pour la période du 11 avril au 2 mai. Je suis bloqué au 2 mai, premier obstacle d’importance : accumulation d’éléments, profusion de textes. Que montrer, comment le montrer ? quelles parties de textes choisir ?... Il n’empêche, une première vision d’ensemble de ce que sera « l’opéra » sur scène est loin d’être négligeable. Beaucoup de choses (et je devrais dire : toutes) sont irrésolues – mais du moins je commence à voir...
5 février
Coup de fil de René : le rendez-vous est fixé au 8 mars. Voilà une bonne chose de faite...
7 février
J’avais rendez-vous avec Valérie, chez elle, pour que nous travaillions les pièces du Journal. Sur la porte, se trouvait un papier : contretemps, elle était désolée, avait dû partir. « Bises. » Je suis reparti avec le mot, que j’ai conservé, première trace écrite de sa main… Elle m’a appelé au soir. J’ai senti qu’elle avait envie de parler davantage, mais j’étais énervé, fatigué, n’avais pas très envie de parler, étais comme vide de mots. Elle part pour une dizaine de jours, nous nous revoyons le 24. Elle m’a quitté avec un « je t’embrasse », qui m’a pris de court et touché, peut-être parce qu’il s’agissait de la première fois… Évidemment, des choses remuent en moi, à présent…
J’ai oublié de dire à quel point, l’autre soir, je l’avais trouvée gaie, souriante, légère et ça n’avait fait qu’accentuer mon désir de me rapprocher d’elle…
(Pour son jour de naissance, j’ai pensé lui confectionner un numéro spécial qui comporterait les fragments du Journal* qui la concernent…)
* lequel ? le mien, je veux dire le journal courant, ou celui du projet ? (note du 6 septembre 2021)
15 février
Richard m’a appris qu’il n’assurerait pas les pièces solos pour trompette et pour cornet. Je le sentais venir depuis un moment. Il a trop perdu de son instrument, n’a pas le temps d’y travailler, trouve les pièces trop techniques pour son niveau. Me voilà avec un nouvel instrumentiste à trouver... Par contre, il accepte de tenir la baguette pour le « spectacle »…
Après trois semaines d’arrêt, répétition avec Thierry et Jean-Marie. J’ai mis les choses au point et fixé à quatre semaines la durée maximale pour achever Philippe et Jacques. Nous répétons a capella*, les choses vont beaucoup mieux que je ne l’espérais. En vérité, du fait de ma fatigue, de ma lassitude et d’un vague dégoût pour le projet en général (lié entre autres à la perte de V. qui désormais ne sera plus qu’un fantôme, et aux échos qui me sont parvenus, via Olivier et Richard, au sujet de la lecture que Didier a faite du condensé), je comptais ne rien faire et simplement parler. La répétition s’est tout de même faite. Jean-Marie a toujours autant de mal à s’ajuster, à s’accorder, mais ça va mieux. Et je suis résolu à diriger et, si Jean-Marie persiste à ne pas chercher à s’améliorer, à m’en séparer...
Pas de nouvelles de Marc et de Christelle...
Je n’ai plus la moindre envie de continuer...
* c’est-à-dire ? c’est une pièce a capella (note du 30 août 2021)
20 février
La répétition de chant a été à peu près potable. Je me suis affirmé dans mon nouveau rôle de « chef ». C’est plutôt un bon point...
J’ai passé divers coups de fil ; seule Christelle Rambert a répondu : elle est débordée, est à deux doigts de renoncer. Je la rappelle lundi matin. Tout va pour le mieux…
25 février
J’ai passé la soirée d’hier avec Richard et Didier au St Amour. Au dessert, Didier m’a annoncé qu’il renonçait à jouer pour le projet. Les raisons qu’il a avancées ne m’ont guère semblé convaincantes. Tant pis…
J’ai appelé Valérie pour la mettre au courant de la bonne marche des affaires. Elle en est restée coite. Cependant, il semblerait que Marie ait l’intention de revenir sur sa décision*. Nous nous voyons demain soir pour la troisième** réunion de Domicile conjugal. Nous fixerons une date pour la répétition de ses parties piano avant enregistrement...
Coup de fil à Aurélia. Répondeur...
Coup de fil à Marc et Christelle, ils semblent s’être envolés dans la nature...
Demain, j’appellerai un saxophoniste que Thierry m’a recommandé et rappellerai Christelle l’altiste…
J’ai longuement parlé avec Didier de sa lecture du condensé. En vérité, il ne l’a pas achevé ; il s’attendait à un texte, c’est-à-dire à une chose travaillée, et non à cette succession de fragments. « Je n’ai pas réussi à entrer dedans, je me suis ennuyé. » Par contre, il a lu le synopsis en totalité... De tout cela, il ressort qu’il serait nécessaire que je revienne sur mon idée de départ, c’est-à-dire la fidélité aux journals. J’y avais déjà songé, car il est vrai que la masse des éléments fournis par les différents journals est colossale, et insurmontable. Aussi je vais sans doute revenir à ma toute première intention, telle qu’elle est exprimée dans le dossier, c’est-à-dire : « l’autobiographie inédite »...
Je suis dans le doute et la confusion. J’ai tout arrêté ; ai décidé, pour l’heure, de ne me consacrer qu’aux enregistrements, et il est d’autant plus impératif de les mener à terme qu’Olivette y participera : je lui ai proposé de se charger de la conception de l’habillage de l’ensemble : CD, livret, partitions, journal. Elle a accepté avec joie. Acceptera-t-elle en plus d’interpréter Zita ?...
Dans le fond, je ne suis pas fâché que Didier n’ait pas lu le condensé dans sa totalité. Il sait pour V. ; mais que peut bien représenter pour lui cette initiale dont, du reste, il ne m’a pas parlé ? Rien de plus que les autres éléments des journals. Et c’est tant mieux... J’ai récupéré son exemplaire...
* je ne comprends pas ; s’il s’agit de Marie l’altiste qui doit interpréter Jeanne d'Arc avec Guy Mouy, pourquoi « cependant » ? si non, qui est cette Marie ?
** troisième ? (notes du 30 août 2021)
29 février
Énième répétition de chant. J’ai constaté avec plaisir que Jean-Marie manifestait quelques velléités de progrès. Il y a eu de très beaux moments qui me poussent vers un certain optimisme. Je ne désespère pas...
J’ai appelé Marc. Nous nous rappelons lundi pour fixer une date... Il m’a donné le numéro d’un trompettiste, mais j’attends de voir Valérie qui, de son côté, aurait aussi un trompettiste à me proposer...
Ai-je parlé de Charlie Virgogne que m’a recommandé Thierry et que je vais voir la semaine prochaine ?
Il faut aussi que j’appelle Marie pour qu’elle me confirme la date du 7 mars prévue pour l’enregistrement de Jeanne d’Arc. Appeler aussi Guy Mouy, et Marie-Noëlle pour lui proposer les pièces solo pour violoncelle... Tout finalement ne va pas si mal...
Je me demande dans quelle mesure Richard ne pourrait pas tenir une voix de baryton ou de basse dans les quatuors. Et moi la seconde ? C’est ce que Thierry m’incite à faire ; je m’y refuse. Ce n’est pas l’envie qui m’en manque, mais il ne me semble pas que j’aie le timbre adéquat (mais Jean-Marie l’a-t-il ?)...
J’ai mis de côté le déroulement, il faut que j’y réfléchisse et ne me consacre plus qu’aux enregistrements, et faire en sorte que les délais soient respectés. (Olivette saura me stimuler...)
Je dois aussi penser à reprendre le dossier : le réduire, n’en garder que l’essence. Puis contacter Van Looy, l’ami de Wilfried à Bruxelles. Pour quelle raison un projet de CD de cette sorte n’intéresserait-il pas un label de disques ? Pour quelle raison ?...
2 mars
René, Marcelle et leur fille, Samantha ici, à l’appartement. René devait exécuter ses deux pièces solo pour tuba et Éric avec Samantha au piccolo. Il disait qu’il n’était pas très en forme, avait « la crève ». Hier, il avait effectué avec Samantha un enregistrement d’essai, chez eux. « C’était dégueulasse », dit-il. Marcelle et Samantha rient. Il n’était pas sûr que ça soit mieux aujourd’hui... Il faudra cinq prises pour Éric ; la cinquième sera la bonne. Je la sélectionne, malgré les réticences de René qui s’y trouve mauvais et ne serait pas opposé à la refaire une autre fois. Je ne pense pas que cela soit nécessaire. Par contre, il faudra refaire Benoît-Joseph Labre et Parfait qui sont loin de l’être, parfaits. C’est lui-même qui a exigé que nous les refassions. Nous nous revoyons samedi prochain...
René se dit musicien amateur et est parfaitement conscient de ses limites. Il avoue qu’il n’est pas du tout accoutumé à ce type de musique et j’apprends que c’est la première fois de sa vie qu’il exécute des pièces solo, aussi bien au tuba qu’à la clarinette ou au saxophone qui sont ses deux autres instruments. Il en tire une certaine fierté (et je devrais dire une fierté certaine), doublée de timidité. Il sait qu’il ne pourra pas les exécuter parfaitement (surtout Benoît qui est tout de même assez technique), mais il tient à les faire. Il dit : mes pièces solo...
À un moment donné, à propos du duo pour tubas, il m’a parlé de tubistes de sa connaissance, de très haut niveau ; mais il répugne à leur confier la seconde partie du duo, car il se voit mal leur demander une simple participation et conserver pour lui les pièces solo qu’eux exécuteraient beaucoup mieux que lui. « Je serais obligé de leur donner mes pièces solo... »
« Nous ne sommes pas de grands musiciens », dit Marcelle. « Moi, je trouve que si... »
Puis ça a été le « tour » de Valérie. Il y avait longtemps que je ne m’étais pas retrouvé seul avec elle ; j’ai été très troublé, et souvent tendu. J’appréhendais le rapprochement lié à Blandine et à Donatien, avec son corps si près du mien, parfois à le toucher, et les mains qui vont et viennent sur le clavier, se fuient et s’attirent tout à la fois. Nous y avons passé l’après-midi. Tout d’abord, Donatien, pour quatre mains ; la mise en place n’a pas été facile, en grande partie à cause de moi qui ne suis pas habitué aux quatre mains et peine sur un tel motif répétitif. Puis Blandine que nous devons revoir (j’ai dû, à plusieurs reprises, réprimer un tremblement de mes mains)...
Elle m’a ensuite montré Valérie. Ça me plaît beaucoup et nous avons décidé de l’enregistrer : cinq prises dont une seule est vraiment satisfaisante. Mais je me suis aperçu d’un souffle anormal à l’écoute, nous devrons certainement la refaire. Il n’empêche : j’aime beaucoup Valérie. Puis nous avons vu plusieurs pièces de Domicile conjugal. Cela m’a donné l’occasion d’en entendre certaines en totalité et en intégralité, dont Si que je n’ai jamais été fichu d’exécuter correctement et entièrement... Tout cela s’annonce très bien. Nous nous revoyons aussi samedi prochain...
3 mars
J’ai passé l’après-midi avec Valérie pour les pièces du Journal musical et de Domicile conjugal. C’est la première fois que je me retrouve seul avec elle depuis le 3 juillet de l’année dernière*. J’ai été très troublé, tendu ; mais moins que je ne le craignais. J’appréhendais un peu le rapprochement lié aux pièces pour quatre mains, mais je suis parvenu à être à l’aise et relativement détendu… Je ne sais pas très bien où j’en suis avec elle. Par moments, je souhaite la disparition du trouble et de la légère gêne qui subsiste lorsque je suis avec elle pour que ne subsistent plus entre nous que des rapports purement amicaux (et à ce titre, je constate que nous nous entendons de mieux en mieux), à d’autres, j’espère que ce trouble reste présent, comme si je le voulais comme garant d’une possibilité. Je ne sais pas si cette possibilité existe, si je la souhaite vraiment. Je ne sais pas ce qu’elle pense, ce qu’elle en pense, si elle l’envisage…
À un moment donné, j’ai prononcé le nom de Pacôme. Elle a tout de suite réagi, s’est tendue. Elle m’a avoué que la simple mention de son prénom la perturbait, lui faisait mal. Elle m’a demandé si je le connaissais, si je l’avais vu, puis a conclu par cette drôle de phrase : « J’aurais voulu que tu ne le connaisses pas… »
* non : elle était passée à l’appartement après mon déménagement et il me semble que je l’ai ensuite revue chez elle à deux ou trois reprises (note du 6 septembre 2021)
5 mars
J’ai passé plusieurs coups de fil :
- à Marie, qui m’annonce qu’elle a une tendinite et ne pourra pas jouer Jeanne d’Arc jeudi matin ; ça me contrarie beaucoup, et je n’ai pas très apprécié son ton un peu désinvolte au téléphone ; elle me demande aussi s’il n’est pas possible de revoir les partitions écrites trop dans l’aigu pour l’alto (« c’est injouable ; et c’est dommage pour l’instrument ») ; je lui ai promis une éventuelle transcription, nous nous voyons le 25 ;
- à Bernard, je lui soumets les trois noms que Valérie m’a laissés pour le second violon, il choisit Isabelle Dumélie ;
- à Isabelle, donc ; je la vois samedi après-midi ;
- à Marie-Noëlle, pour lui proposer les deux pièces solo pour violoncelle, elle a immédiatement accepté, nous nous voyons mercredi prochain ;
- à Yann, qui, pour toute réponse, me transmet son message téléphonique ; il y a quelque chose d’irréel dans cette affaire, qui me trouble, m’intrigue et, au bout du compte, m’agace et me fatigue...
- à Jean-Claude Descamps, aujourd’hui, trompettiste que Marc m’a recommandé, nous nous voyons lundi...
La tenue de ce journal me fatigue...
Je désespère de mener à terme l’enregistrement des soixante-quatre pièces restantes. S’il n’y avait pas le coffret confié à Olivette, je laisserais bien tomber... Va-t-elle, elle aussi, m’abandonner ?...
9 mars
Valérie est arrivée la première. En attendant Richard, nous avons revu Donatien et Blandine, puis j’ai répété les quatre pièces que j’avais prévu d’enregistrer et Valérie a revu Valérie. Richard tardait. Du fait d’une certaine confusion dans l’organisation de ce rendez-vous – il m’attendait, je l’attendais –, il est arrivé avec une heure de retard. L’enregistrement a été un peu précipité, il y a eu quelques incidents techniques. Mais Valérie a pu faire quatre prises de Valérie (j’aime décidément de plus en plus Valérie ; j’en suis même à regretter la contrainte que je m’étais posée pour l’écrire qui fait que je n’ai que peu de part personnelle dans sa composition). La quatrième est à retenir. Puis avons abordé Donatien ; abordé et non achevé car le résultat a été catastrophique, en grande partie de ma faute : pour une raison obscure (mais pas si obscure que cela), je ne parvenais pas à me mettre ma partie dans les doigts. Ça sera donc à refaire. Par contre, Blandine a été réussie en deux prises, alors que je m’attendais à ce que nous la rations (je n’ai ressenti aucun trouble, sans doute parce qu’il y avait Richard)... Ils devaient partir. J’ai rapidement exécuté Gisèle et Denise. Gisèle sera à refaire. Comment se fait-il que je bute si lamentablement sur des pièces pourtant si simples, voire simplistes ? Je ne comprends pas...
René est arrivé. « J’ai travaillé Benoît toute la semaine ! » Nous avons fait quelques prises. Il y a un net progrès par rapport à la dernière fois, mais ce n’est pas encore ça. René est très mécontent de lui, veut absolument faire parfaitement cette pièce qui désormais est la « mienne ». La première prise m’a satisfait, mais il insiste pour revenir la refaire. « Si ça ne te dérange pas… » Comment cela pourrait-il me déranger ? Son désir de perfection ne peut que me plaire et avoir mon assentiment... Nous nous revoyons samedi prochain...
Il ne cesse de répéter qu’il n’est qu’un amateur. Si je considère sa gentillesse et sa simplicité, l’amour qu’il porte à la musique et à son instrument, et les compare à la vénalité et à la prétention d’imbéciles qui lui seraient techniquement supérieurs, vendant leurs services au nom d’un professionnalisme que le vertige de la vanité leur impose comme un droit, pauvres souffleurs qui ne seront jamais que des égarés, je dis que cet amateurisme est tout à son honneur et je préférerai toujours la plus maladroite de ses interprétations à une quelconque perfection de studio que pourrait me proposer, moyennant finances – c’est-à-dire, me vendre –, je ne sais quelle sorte de « virtuose » local (la gloriole comme remède à la médiocrité viscérale). Car je sais que lorsque plus tard j’écouterai cette musique, j’entendrai aussi celui qui l’a interprété, c’est-à-dire un être sensible et vivant, et je penserai que là résidera toute la qualité de cette musique, cette musique qui à ce moment-là sera véritablement la sienne...
Puis je suis allé chez Isabelle*. Elle m’offre avec enthousiasme sa participation, c’est-à-dire les parties de second violon dans Pentecôte, Lundi de Pentecôte et Irénée. Elle est disponible en ce moment – elle accouche début mai – et me propose des dates à partir du 18. Une fois rentré, j’ai appelé Bernard ; il propose le 21 pour l’enregistrement des deux duos et se charge de contacter Isabelle, il la connaît bien, a déjà joué avec elle... Isabelle s’étonne que je veuille réaliser un CD avant une quelconque représentation sur scène. Il m’a été difficile de lui décrire la démesure du projet final, de lui expliquer que l’enregistrement des pièces n’est qu’une étape et qu’il n’a finalement pas vraiment de rapport avec « l’opéra » : ce sont deux choses distinctes. Les deux peuvent – et doivent ? – vivre séparément. M’est alors revenue à l’esprit l’idée de l’étape intermédiaire, celle qui s’intercalerait entre l’enregistrement – le journal achevé – et l’opéra proprement dit (l’an 2000 ne serait-il pas une bonne date ?), c’est-à-dire : une réduction de l’opéra, c’est-à-dire : l’exécution des pièces sur scène accompagnée de textes. Je suis de plus en plus tenté par cette idée qui aurait du moins le mérite de donner un corps aux enregistrements qui, je l’ai souvent senti chez les musiciens, ont quelque chose d’abstrait, d’irréel...
Du reste, c’était l’idée première. Mais si cette idée reste intéressante, elle achoppe au niveau de la forme : que peut donner la succession de quatre-vingt-quinze pièces musicales, disparates, sans lien « visible » entre elles ? Le texte peut-il être ce lien ? Et quel pourrait être ce texte ? Je pense souvent à ce qu’avait fait Luc Ferrari avec son Journal intime et j’essaie de le mettre en parallèle avec « le mien », et imagine cette forme minimale lui être adaptée, c’est-à-dire de la simple relation de texte posé sur de la musique (schématiquement, bien sûr). Ce qui marchait assez bien dans son cas (à mon sens, pas toujours avec bonheur) peut très bien ne pas fonctionner dans le mien. Et puis que dire, que faire, quel texte choisir, comment le présenter, pour donner une certaine cohésion à cet ensemble si hétérogène ? Mais, en considérant qu’il s’agit d’un journal, c’est-à-dire la juxtaposition de faits, d’éléments indépendants et autonomes, faut-il cette cohésion ? (L’image classique du « patchwork » ici s’impose : trouver le bon fil pour faire de quatre-vingt-quinze pièces différentes – plus de cent si je considère les pièces « magnétiques » qui se sont glissées dans la période des partitions – une seule et unique qui se tienne, chacune d’elles gardant son caractère d’unicité...)
Le teste** : jouer le jeu de la disparité, à l’image de « l’opéra » que cette version préfigurerait, ou au contraire, considérer cette étape comme une partie distincte et privilégier donc l’histoire, c’est-à-dire le narratif, la linéarité : le récit. Mais quelle histoire : celle de la Rue, celle de Billy, celle de V. ? Du fait des titres, c’est-à-dire des prénoms, celle de la Rue semble s’imposer. Mais comment la raconter avec deux récitants uniquement ? Et n’est-elle pas, elle aussi, disparate, la disparité même, et ce serait ajouter de la confusion à de la confusion ?... La seule histoire qui ait un caractère narratif, c’est celle de V. Mais n’y a-t-il pas un décalage entre son importance (gravité ?) et la « légèreté » de la musique ? Et dois-je encore considérer l’histoire de V. comme un élément majeur, voire comme l’élément premier, du projet ? J’avais dit que j’allais abandonner cette idée, du moins provisoirement, et ne plus chercher à la dévoiler (à me servir d’elle). V. doit rester secrète, doit rester dans les pages des cahiers. Je dois l’écarter du projet (du moins provisoirement)...
(Je n’ai pas parlé du lapin d’hier avec Charlie le sax : quiproquo sur l’heure du rendez-vous qui a fait que nous nous sommes loupés. Nous nous voyons vendredi prochain).
Les pièces enregistrées sont au nombre de trente-quatre...
* comme pour Christelle l’altiste, je n’ai pas le moindre souvenir d’Isabelle (note du 30 août 2021)
** j’ai dû me rapprocher du manuscrit, cahier 24 : c’est « le texte » (note du 30 août 2021)
12 mars
J’étais au Blockhouse avec Mylène, Valérie est survenue. Elle est restée très souvent au bar avec nous. Elle était très en forme, notre rapprochement l’un de l’autre s’accentue, de quelque type qu’il puisse être. Mylène la trouve « extrêmement sympathique ». À un moment donné, je me suis éloigné pour aller voir Olivette et ses parents. Mylène est restée avec elle. Elle m’a ensuite parlé de son comportement et de ses propos à mon sujet ; pour elle, il n’y a pas le moindre doute : « Elle est complètement mordue, c’est affolant ! »…
Cette nouvelle ne remue pas grand-chose en moi. Je pense à sa réponse à ma lettre à son retour de vacances et me dis : « c’est trop tard ». En même temps, elle me plaît de plus en plus…
13 mars
Il s’appelle Jean-Claude Descamps, est trompettiste. Je l’ai rencontré aux Arches où il donne des cours. J’avais dix minutes pour tout exposer, du moins la plus grosse partie. C’était peu. Il m’a écouté sans beaucoup intervenir, puis a accepté l’interprétation des trois pièces solo que je lui proposais. « Dommage qu’il n’y ait pas d’argent à la clé », a-t-il conclu, sans que je ne sache si le jeu de mots était voulu ou non. Mais il a accepté et, d’une certaine manière, c’est une victoire, car René m’avait prévenu qu’il ne jouait pas pour rien. Il m’a aussi vanté ses qualités d’instrumentiste qui font de lui une sorte de sommité locale dans le domaine.
Dix minutes. En le quittant, je me suis demandé ce qui pouvait bien motiver un homme comme lui, ce qui pouvait le pousser à accepter. Nous ne nous sommes jamais vus, je ne le connais pas, il ne me connaît pas. En dix minutes, je lui expose un projet délicat* dont, au bout du compte, il n’a pas dû bien saisir le sens, la direction. Nous nous reverrons pour l’enregistrement, puis ce sera tout. Qu’est-ce qui peut bien l’inciter à collaborer à un projet dont finalement il ne retirera rien ?...
Tout cela me semble complètement irréel, irréalité qu’a accentué le fait que nous nous sommes vouvoyé, distance supplémentaire à laquelle je suis confronté pour la première fois. Jusqu’à présent, j’ai toujours eu le temps de m’installer, d’exposer clairement les choses, de faire connaissance et le tutoiement s’est toujours imposé d’emblée. Cette fois, j’ai vraiment eu l’impression d’embaucher quelqu’un, embaucher pour un travail dont les contours restent flous, travail qu’aucun salaire ne vient sanctionner... Il n’empêche : les trois pièces solo pour trompette seront exécutées. Courant avril, m’a-t-il promis...
Marie-Noëlle est passée à mon retour du cours de latin. Elle prend en charge toute la partie violoncelle, me promet les deux pièces solo pour dans un mois au plus tard. Elle m’a donné des noms pour le sax baryton, le basson, un second tuba...
Coup de fil de Valérie. Nous nous voyons samedi pour répéter Donatien.
(Penser à appeler Didier P., René…)
* et farfelu (note du 30 août 2021)
14 mars
Répétition aujourd’hui à l’image des précédentes, c’est-à-dire, effectivement, une répétition... Jean-Marie ne travaille pas et sa voix me semble de plus en plus incertaine, flottante. Pour résumer : il chante mal. C’est laborieux, pénible, et si je n’avais pas été bien luné, je le lui aurais dit. J’étais dans de très bonnes dispositions et étais prêt, aujourd’hui, à tout accepter. Rien de concret ne s’est fait, nous n’avons pas avancé d’un pouce, mais j’ai accepté. Il est vrai, cependant, qu’une révision rapide des douze premières mesures (nous avons travaillé uniquement le passage entre la vingtième et la vingt-troisième, durant deux heures, alors que ces mesures devaient être sues) m’a agréablement surpris : une certaine cohésion, un bon placement, une forme qui se dessinait. Il n’empêche : ce sera très long si je ne me décide pas à me séparer de lui. J’attends encore... Après son départ, j’en ai parlé avec Thierry. Il est de mon avis, mais reste confiant ; il pense que nous pourrions en tirer quelque chose. Puis il a proposé que nous fassions un essai à deux. J’ai accepté. Le résultat a été immédiat, bien que ma voix ne soit guère extraordinaire : je chante juste, mais n’ai aucune technique de respiration, de tenue et, contre l’avis de Thierry, pas de timbre particulier. Mais l’accord était parfait, ça sonnait...
Du coup, nous nous sommes demandé s’il n’était pas possible, et préférable, que nous fassions effectivement Philippe et Jacques à deux. J’avoue que j’y ai pris un très grand plaisir et je suis assez tenté. Mais comment l’annoncer à Jean-Marie ?... Un second essai s’impose...
J’ai appelé René pour confirmer notre rendez-vous de samedi. Il est souffrant. Nous avons remis au samedi suivant...
16 mars
J’ai passé une heure avec Valérie au piano. Je suis désormais complètement à l’aise avec elle. Parfois un peu tendu, mais sans plus. Je suis sûr de ne plus avoir envie d’elle…
19 mars
Réunion Domicile conjugal à l’appartement. Valérie est arrivée en avance pour que nous répétions et enregistrions Donatien. C’était donc l’occasion d’être tout près d’elle. Nous jouons, je suis tout contre elle, je la regarde souvent, elle me regarde. Nous rions...
La trente-sixième* pièce est enregistrée...
Le rendez-vous de ce jeudi pour l’enregistrement des duos de violons est annulé...
J’ai rencontré Charlie Virgogne, saxophoniste, pour lui exposer toute l’affaire. Sans être réticent, il n’était pas enthousiasmé, mais lorsqu’il a appris que René faisait partie de la « troupe », il a accepté sur-le-champ... Il aurait à participer à deux pièces d’ensemble, Constantin et Achille. Pour les deux, il me manque le sax baryton, satané sax que je désespère de trouver un jour...
Jean-Marie s’est décommandé. Malgré tout, j’ai demandé à Thierry de passer pour que nous répétions notre expérience de la semaine dernière...
* trente-cinquième, à moins que je ne me sois déjà trompé le 9 mars où j’écris que le nombre des pièces enregistres étaient de trente-quatre (note du 30 août 2021)
11 avril
Christelle renonce à ses deux pièces solo ; je m’y attendais et n’en suis donc pas surpris. Il me reste à dénicher un ou une flûtiste. Marc m’avait suggéré Samantha, la fille de René – qui, du reste, a disparu de la circulation –, mais je sais qu’elle est très prise par ses études. Il m’avait aussi demandé une date, nous nous sommes arrangés pour le 11 avril, c’est-à-dire aujourd’hui, ici, enregistrement de Rodolphe...
Dans la foulée et à tout hasard, j’ai appelé Yann. Stupéfaction : il décroche. « Je comptais justement t’appeler... » Nous nous sommes arrangés pour une date, après-demain, ici, nous enregistrerons ses multiples pièces solo. C’est à n’y pas croire (mais je m’attends à tout moment à ce qu’il me demande de reporter...).
Je n’ai la tête ni aux enregistrements, ni à « l’opéra ». Tout cela bat de l’aile, et je suis bien obligé d’avouer que je m’en fous un peu. Et même beaucoup. Pour ne pas dire totalement...
Domicile conjugal : j’ai écrit une nouvelle pièce pour le fa. La partition est donc complète... La prochaine réunion est fixée à lundi. Léo m’a promis du neuf qui devrait faire avancer les choses. Il serait temps...
13 avril
Richard m’a informé que Marc – il devait l’accompagner – ne pourrait venir... Cet appel m’a laissé froid, je devais m’y attendre...
Je craignais également que Yann ne vienne pas ; il est venu... Nous avons passé l’après-midi sur les trois pièces pour hautbois, dûment répétées et enregistrées. Bon et beau travail (Yann est un excellent instrumentiste) malheureusement réduit à néant : à l’écoute apparaissent des pointes de saturation qui nous ont obligés à tout recommencer, saturations inexplicables, telles celles qui s’étaient produites pour les premières prises des pièces pour violon... Nous avons fait quelques essais en changeant et en éloignant les micros. C’était parfait, encore que le son ambiant qu’impose l’éloignement des micros nuise à la qualité de la reproduction du timbre. C’en n’est pas moins très satisfaisant... Yann m’a proposé de revenir samedi prochain. Nous nous revoyons donc samedi prochain...
Pas de nouvelles de René qui devait m’appeler…
À contacter : Marie-Noëlle et Didier P.
Pour les duos de hautbois, Yann m’a parlé de l’un de ses élèves...
Une pièce à réaliser rapidement et facilement : Jour du souvenir, avec Marcelle, Valérie et Yann (maintenant que je l’ai sous la main)...
21 avril
Isabelle va accoucher prématurément, notre rendez-vous est donc annulé. Nous nous voyons fin mai. La série continue...
Par contre, avec Yann, tout s’est bien passé : Anicet, Odette, Alban, Aymar et Catherine de Sienne ont été enregistrées. Malheureusement, il n’était pas très en forme et c’est nettement moins bon que la semaine dernière. En revanche, la qualité du son, suite à un changement de micros et de position des mêmes, est nettement meilleure... Je n’ai pas encore réécouté pour le choix des prises. Nous avons pris un nouveau rendez-vous pour le 4 mai, ou pour les duos de hautbois, ou pour Jour du souvenir, cela dépendra de la disponibilité de chacun...
Pas d’enregistrements en vue. J’attends des nouvelles de Guy, de J.C. Descamps, de Marc, de René. Je vais devoir tous les rappeler...
Je pense que nous avons atteint la quarantaine…
À contacter : Anne et Marie-Noëlle pour leurs pièces solos...
26 avril
Contacts pris pour l’enregistrement de Jour du souvenir. Seul Yann manque à l’appel...
Marie-Noëlle me promet d’être prête pour la fin de la semaine prochaine...
Tout cela est mou et vaguement décourageant...
(À préparer, copies des pièces solo pour flûte que Samantha ne serait pas opposée à exécuter ; c’est du moins ce que dit sa mère ; reste à voir...)
27 avril
J’ai mis au propre les pièces enregistrées par Yann. L’ensemble est tout de même plus que satisfaisant. Nous en sommes à quarante-et-une pièces.
Après vérification : compte tenu des instrumentistes dont je dispose, de leur disponibilité et de la nature des pièces, trente-six d’entre elles peuvent être enregistrées pour la fin du mois de juin. Cela porterait le compte à soixante-dix-sept...