1995
*
1er novembre
Je suis tout à la constitution du synopsis de Journals. Il va bon train. Les choses s’ordonnent, se mettent doucement en place. Parallèlement, je révise le « journal condensé » que Mia et Olivier (et certainement d’autres après eux) seront amenés à lire...
3 novembre
Quatrième répétition. Jean-Marie est arrivé en retard, Thierry avait un rendez-vous, la répétition a été écourtée. C’était d’autant plus dommage que, comme par miracle, tout s’est instantanément mis en place : dès le premier essai, les deux voix se sont parfaitement accordées. Jean-Marie a donné de la voix comme jamais et s’il y a eu quelques heurts, quelques hésitations, ils ont été du fait de Thierry. Des quelques prises, aucune n’est vraiment concluante, il faudra recommencer, mais c’est égal car cette fois je suis assuré que cela marchera, que Marietta se fera. Je suis très satisfait et, pour la première fois, confiant. Nous nous voyons mercredi prochain...
Marie-Noëlle a appelé. Elle a pris contact avec le professeur de cor du Conservatoire, elle le connaît bien, il est très intéressé, est d’accord pour l’enregistrement d’Hervé par sa classe. De plus, il se propose de prendre la partie de cor des autres partitions. Enfin, il semblerait que rien ne s’oppose à ce que d’autres musiciens participent, dont un altiste (ou une, je ne me rappelle pas) qui exécuterait la pièce pour alto et cor (je n’ai aucune idée de son titre*). Marie-Noëlle lui a donné mes coordonnées, j’attends son appel avec impatience...
Je poursuis, en parallèle, la rédaction du synopsis et le « condensé » de Journals. Tout va bien (mais parvenu au 1er juin, je m’aperçois que j’en suis à quatre-vingt-six personnages, sans compter l’entourage de l’auteur, les récitants, les chanteurs et les musiciens ; à quoi vais-je aboutir ?)…
* Jeanne d’Arc (note du 29 août 2021)
7 novembre
Coup de fil de Marie-Noëlle, décidément précieuse et très présente. Elle m’informe de l’appel imminent d’un certain Guy, le professeur de cor au Conservatoire, me donne le numéro d’un bassoniste de sa connaissance, m’indique le nom d’un autre professeur, lui aussi suffisamment ouvert pour accepter de participer. Après ces quelques semaines de calme absolu, d’attente vaine de multiples coups de fil promis, voilà qui me réconforte...
Le synopsis va son petit bonhomme de chemin, ainsi que le condensé. V. prend de plus en plus d’importance et je trépigne face à l’impossibilité que constitue la présentation des faits tels qu’ils se sont passés...
11 novembre
Je m’apprête à me rendre avec Anne chez Bernard et Aiko pour notre seconde séance d’enregistrement... Une semaine assez chargée et agitée m’a empêché de rapporter à leur heure les quelques faits notables, dont la dernière répétition avec Thierry et Jean-Marie, et la cassette remise à Alex. J’en parlerai plus tard...
13 novembre
Je suis tout à la lecture du condensé, pratiquement achevé, et au synopsis qui m’accapare entièrement, et à V. qui de nouveau est à côté de moi...
La répétition de Marietta s’est conclue par quelques prises. La dernière nous a semblé très satisfaisante. Nous avons donc décidé, pour la prochaine, de passer à Philippe et Jacques. Mais l’écoute que j’ai faite le lendemain de Marietta me laisse sceptique et perplexe. C’est satisfaisant, mais loin d’être concluant. Je laisse encore passer quelques jours avant de la réécouter...
La cassette. Thierry avait mis Landry et Christine « sur ordinateur » (la formule est-elle juste ?). Je l’ai remise à Alex le lendemain, il peut donc commencer à y travailler... Avant de me rendre chez Anne, j’étais passé chez Richard pour lui emprunter le D.A.T. ; je n’ai pas dû beaucoup insister pour qu’il nous accompagne. Le temps que Richard installe le matériel, Bernard et Anne ont répété Raoul, puis deux prises (cette fois, sans problèmes de micros), toutes deux très satisfaisantes, je retiendrai sans doute la seconde. Puis Yves et Audrey, trois prises chacune. Ida n’a pas posé le moindre problème, une seule prise et bien supérieure à celle que j’avais pu sauver du désastre de la fois précédente (je parle de l’enregistrement, pas de l’interprétation). Comme je l’avais conservée, j’avais dit à Bernard que ce n’était pas la peine de la refaire. Il a tout de même tenu à la rejouer. Je lui ai dit : « comme tu veux », « non, comme tu veux ». Après Yves et Audrey, je lui en ai reparlé, lui ai demandé s’il désirait toujours rejouer Ida. « Comme tu veux », « non, comme tu veux »... En définitive, nous nous sommes mis d’accord pour une seule et unique prise, bonne ou pas. Elle a été bonne, et même excellente. J’aime beaucoup Ida et, en écoutant Bernard l’interpréter, j’ai regretté qu’elle soit si courte, et en pensant à la mention « inachevé » qui la clôt sur la partition, je me suis demandé si je ne pouvais pas me « permettre » de l’achever... Anne m’a dit qu’elle l’aimait beaucoup, « moi aussi », ai-je dit, et elle a ajouté que Bernard devait l’aimer aussi, et c’est sans doute la raison pour laquelle il a tenu à la rejouer...
Petite anecdote qui mérite d’être relatée. Lorsque nous sommes arrivés, Aiko jouait du piano au premier. Nous sommes montés, Bernard en premier, suivi de Richard et d’Anne, et enfin, avec un peu de retard, moi. Lorsque l’on est au clavier, on tourne le dos à la porte. Aiko jouait, et n’a cessé que lorsque nous avons tous été dans la pièce, moi en dernier derrière Anne et Bernard. Elle s’est alors retournée et en voyant Richard (elle ne le connaissait pas et ignorait que nous venions à trois), elle s’est écriée : « Oh, qu’est-ce que tu as changé ! » Ce n’est que lorsque je suis apparu à sa vue qu’elle s’est rendue compte de sa méprise. (« Sans doute le gros nez », a dit Anne avec un sourire…)
À ce jour, aucune nouvelle des autres instrumentistes malgré leurs promesses. Je vais de nouveau devoir tout relancer...
14 novembre
J’ai envoyé à Bernard et Aiko la cassette des enregistrements effectués jusqu’à ce jour.
Après quelques jours d’interruption, je me suis remis à l’écriture du synopsis ; mais sans grand résultat, ni grande conviction. Passage à vide. Je décroche et ai beaucoup de mal à m’y remettre...
18 novembre
Après relecture et corrections, j’ai fait trois copies du Journal condensé – arrêté au 15 juin –, et trois du Synopsis – arrêté au 28 juin. Je n’attends pas d’achever pour les faire connaître ; j’ai hâte que ça soit lu, hâte de connaître opinions, avis et jugements de la part de ceux qui seront amenés à collaborer étroitement au projet, c’est-à-dire, du moins pour l’instant : Olivier, Anne, Léo et Mia...
Je ne pense guère aux enregistrements. Pour l’heure, je suis tout à la rédaction du « livret », de ce qui bientôt deviendra le livret... La répétition avec Thierry et Jean-Marie s’est faite au rythme d’un beaujolais nouveau – aussi exécrable que les autres années ; je déteste le beaujolais –, ici, tout d’abord, puis, jusqu’à près de minuit, au bistrot. C’est dire que pas une parole articulée dans un sens vocal n’a été prononcée... Est-ce bien sérieux ?...
23 novembre
Première répétition de Philippe et Jacques, près de deux heures pour cinq mesures. Malgré tout, je ne suis pas sûr que cette pièce soit insurmontable et nous pose de réels problèmes...
Le synopsis et le condensé avancent à grands pas. Je suis très confiant ; en même temps, repose au fond de moi la pensée de la totale démesure que représente un tel projet...
Dans quelques jours, je devrais avoir terminé. Ce sera le moment de remettre les pièces aux divers intéressés. Que vont-ils en penser ? Et comment vais-je « oser » leur laisser découvrir V. et tout ce que j’ai écrit sur elle ?...
30 novembre
Jacques est de retour. Il m’avait appelé, je l’avais informé de la répétition d’aujourd’hui, il comptait passer et, en définitive, ne l’a pas fait : il est « sur un montage », repart demain pour un mois. Nous nous revoyons en janvier...
Seconde* répétition de Philippe et Jacques. Nous avons dépassé la dixième mesure. Les voix commencent à se mettre en place, ça prend forme. C’est encourageant...
J’ai achevé synopsis et condensé. Je m’accorde une journée supplémentaire pour les ultimes corrections et éventuels retraits (il ne faut surtout pas que l’on identifie V.). Ce weekend, si tout va bien, je remettrai les copies à Olivier, Mia et Léo. Advienne que pourra...
(Coup de fil d’Olivier : il compte passer demain après-midi...)
* non, deuxième, malheureusement (ou heureusement ?) (note du 29 août 2021)
3 décembre
J’ai remis une copie du condensé et du synopsis à Anne et Olivier. C’est seulement à ce moment-là que je me suis rendu compte de l’importance et du poids que revêtait ce geste, c’est-à-dire remettre à autrui la relation écrite de la part la plus importante de ma vie, donner accès à d’autres à la connaissance de mon intimité (c’est principalement de V. que je parle, mais pas seulement). Jusqu’au dernier moment, je me suis demandé si je n’allais pas le leur retirer des mains. En définitive, j’ai tout laissé. Advienne que pourra...
Quel regard vont-ils accorder à tout cela ?
Je ne sais pas du tout si je vais poursuivre la diffusion de ces textes (à moins que je ne me limite qu’au synopsis), c’est-à-dire les remettre à Mia et Richard...
7
8 décembre
Cela faisait deux mois que je ne l’avais pas appelée, ne lui avais pas parlé, et j’ai choisi pour ce « retour » cette date particulière, le 8 décembre, c’est-à-dire un an jour pour jour après ma première rencontre avec elle... Je ne l’ai pas fait tout à fait exprès. Il y avait déjà un moment que je devais l’appeler, elle comme tous les autres musiciens que j’ai un peu délaissés à cause de la rédaction du condensé et du synopsis, et lorsque j’avais noté que le 8 décembre approchait, je m’étais dit qu’il ne pouvait y avoir de meilleure date pour « reprendre contact »... Nous avons longuement parlé, notamment du projet, normalement, comme si de rien n’était. Je lui ai résumé les derniers événements, l’ai invitée à manger avec Anne, Olivier et Léo pour que nous parlions des douze pièces pour piano que j’ai l’intention de relancer et dont j’ai longuement parlé avec Olivier le weekend dernier. Nous nous reverrons ensuite pour « nos » pièces pour piano...
Je lui ai parlé de Yann et de son silence. « Ça m’étonne, je l’ai vu il y a quelques jours, il m’a parlé de toi… » Je l’ai rappelé, suis tombé sur son répondeur, ai laissé un message, à tout hasard...
J’ai appelé Marcelle. René est en pleine grève, n’a pas la tête à la musique. Par contre, elle est disponible et disposée à jouer quand je le désire. Nous avons pris une date pour l’enregistrement de ses pièces solo...
J’ai appelé Alex : il est « en pleine léthargie ». Il n’a donc pas travaillé sa flûte. En outre, Richard me l’a réclamée il y a quelques jours...
J’ai appelé Christelle, l’altiste. Ça ne répondait pas. Quelques minutes plus tard, j’ai su par Aurélia qu’elle était à Bruxelles. Elle ne m’a pas semblé très chaude (c’est d’Aurélia que je parle) et j’ai eu envie de lui dire que j’avais une autre violoncelliste. D’ailleurs, je me demande si je ne le ferai pas lorsque je la rappellerai (cette fois, c’est d’Aurélia qu’il s’agit*) pour que nous fixions des dates. C’est sans doute la meilleure solution, d’autant que désormais j’ai beaucoup plus envie que Marie-Noëlle joue plutôt qu’Aurélia (et elle a « beaucoup de travail »). Je ne suis pas sûr non plus que je puisse me fier à Christelle (également très prise)...
Pas de répétition de chant cette semaine. Thierry était bien au rendez-vous, mais pas Jean-Marie : il pensait que c’était le lendemain... Thierry et moi avons beaucoup parlé. Il dit que ce qui l’intéresse, c’est la phase scénique. Je ne la lui refuse évidemment pas, encore que je ne sois pas sûr que nous en ayons la même vision. Quoi qu’il en soit, je lui ai promis une copie du condensé et du synopsis. (Jusqu’où la divulgation de l’existence de V. va-t-elle donc aller ? Jusqu’aux confins du monde, je l’espère, et le veux, mais j’aimerais tant aussi qu’elle seule les lise)...
Thierry m’a demandé des cours de piano en contrepartie de cours de chant. J’ai accepté avec joie. En outre, il serait intéressé par des lieder. Comment refuser…
* quelque chose m’échappe (note du 29 août 2021)
10 décembre
Après le coup de fil à Valérie, j’avais appelé Richard. « Il n’est pas là », m’avait dit Mia. Elle m’avait demandé des nouvelles de mon « dossier » (le condensé et le synopsis), je lui avais dit qu’il était prêt. Je lui avais parlé de mes réticences, de mes hésitations, puis lui avais promis de passer les lui apporter le lendemain. Au matin, j’hésitais encore, puis y suis allé. Richard y était, mais prêt à partir ; ce départ providentiel m’arrangeait car c’est à Mia seule que je voulais remettre le dossier et lui en parler. C’est ce que nous avons fait. Je lui ai de nouveau parlé de mes hésitations, de ma réticence à voir d’autres personnes, dont Richard, en prendre connaissance, de mes scrupules vis-à-vis de celles que j’utilise (V., sa mère – je ne les ai évidemment pas nommées, mais « je t’en parlerai lorsque tu auras fini », c’est dit, et j’en ai envie, le dire à elle, Mia, lui parler de V. – mais peut-être pas de W.*) pour l’édification d’un projet, c’est-à-dire d’une divulgation... « Ton ego va en prendre un coup », m’a-t-elle dit à un moment donné avant d’ajouter : « Ça s’est produit pour Richard pour l’un de ses spectacles dans lequel il avait mis beaucoup de lui-même... » Ça ne me rassure pas pour autant et j’ai de plus en plus l’impression de me servir de V. ; elle n’est au courant de rien et j’érige autour d’elle une création dont, par moment, je n’ai plus la moindre envie, en laquelle je ne vois plus que la manifestation éhontée d’un narcissisme à son plus haut degré. D’un autre côté, en pensant au temps que ce projet demandera pour se mettre en place, et sans doute davantage que je ne l’imagine**), je me dis que des choses changeront et que d’ici là se produiront des événements qui la mettront en face de moi, moi qui, à ce moment-là, serais amené à lui parler, à « m’expliquer ». Alors, il faut que je continue et me dise qu’un jour les circonstances feront que je puisse lui dire : « V., depuis un certain jour d’un certain mois d’avril tu es le centre de ma vie. Depuis ce jour, tu m’accompagnes à chaque seconde et depuis ce jour j’écris sur toi et construis ma vie autour de toi. Depuis ce jour, je ne suis pas sûr, pas vraiment sûr de l’amour que je te porte, et ne sais même pas s’il s’agit d’amour, mais je me dis que si un jour arrive où je serai capable de te parler comme je le fais, c’est que ça sera vrai et que, effectivement, il s’agit d’amour. Alors, puisque je te le dis, puisque je suis capable de te parler et de te parler comme je le fais, c’est que c’est vrai et qu’il s’agit d’amour... » Et si je ne lui parle pas, si l’occasion ne m’en est pas offerte, encore que je sois sûr que cette occasion se présentera, je lui écrirai, et si je ne lui écris pas, si je n’en ai pas le courage, pas la force, je lui ferai lire ce que j’ai écrit sur elle, lire ce que je construis autour d’elle, et si je ne peux lui faire lire, il y aura fatalement une occasion qui fera qu’elle tombera sur l’un de mes écrits, qu’elle aura, d’une manière ou d’une autre, connaissance du contenu exact et de l’objet premier de ce projet, et ce bien avant qu’il ne se réalise, ne se concrétise, si tant est qu’il se concrétise un jour. Alors, pourquoi des réticences, des hésitations ?... Je suis parti de chez Mia sans le dossier...
* le double de V. ; je suis étonné qu’elle figure dans cette version du journal (28 août 2021)
** en effet : il est resté inachevé (29 août 2021)
12 décembre
J’ai passé la soirée chez Léo. Il a lu une centaine de pages du condensé. Nous en avons parlé pour en arriver à W. Il affirme que c’est une erreur de ma part de ne pas l’avoir mentionnée dans le projet. « Elle doit en faire partie. » Je ne sais pas, je doute. Mais je sais qu’il a raison. Je triche, je le sais : je veux à toute fin privilégier V., ne parler que d’elle, qu’il n’y ait qu’elle en cause et en scène. Mais j’ai tort. W. existe et a tout autant d’importance. Il faut que je me soumette aux faits, au journal...
14 décembre
J’ai passé la soirée et une bonne partie de la nuit avec Anne, Olivier, Léo et Valérie. Je l’ai revue avec beaucoup de plaisir, je la trouve toujours aussi belle, elle me plaît toujours autant.
Je n’ai pas ressenti le moindre malaise entre nous. Ça me satisfait pleinement (mais je ne sais pas comment ça se passera lorsque nous nous reverrons seuls)…
15 décembre
Répétition de chant annulée : Jean-Marie est souffrant (mais, d’après Richard, il se produit demain dans un café). C’est désolant, et vaguement suspect : est-ce qu’il s’apprête à déclarer forfait ? J’en ai parlé avec Thierry : « Il serait peut-être bon et judicieux de lui faire abandonner la seconde voix et de lui confier la troisième ou quatrième dans les quatuors. Jacques pourrait le remplacer… » (alors que je ne l’ai pas encore entendu – mais je connais sa rigueur et sa volonté) Son comportement va commencer à être préjudiciable à la bonne marche des enregistrements. Mais comment le lui dire ou le lui faire comprendre ?...
J’ai répété avec Thierry la totalité de sa partie pour Philippe et Jacques. Pas le moindre problème : il est juste, efficace, rapide, entreprenant et volontaire.
Demain, j’enregistre les quatre pièces pour clarinette avec Marcelle (mais elle devait me rappeler pour confirmer et ne l’a pas fait ; est-ce qu’elle va se désister ?...)
Valérie fait partie du projet en qualité de musicienne, et y est même complètement impliquée ; c’est dire qu’elle sera amenée à lire le condensé et le synopsis. D’où l’idée de la présenter dédoublée : la musicienne, d’une part, qui sera Valérie, et l’aimée, d’autre part, qui ne sera pas V. mais W., c’est-à-dire le double de V. (S’y ajoutent le W. de Souvenirs de France que France prononce V., puis, suggéré par Thierry, la Double vie de Véronique, c’est-à-dire Irène Jacob.) J’ai passé une partie de la journée et de la nuit à introduire W. dans le texte ; seule Valérie s’y reconnaîtra... J’ai appelé Anne pour lui demander d’arrêter la lecture (que du reste elle avait à peine entamée). Elle passera la consigne à Olivier. Demain, j’appelle Mia...
16 décembre
J’ai passé la soirée chez Richard et Mia. Le repas nous a plongés dans une douce euphorie que je n’avais pas connue, ni partagée, depuis longtemps. Ce moment avait quelque chose d’exceptionnel...
17 décembre
Marcelle était enrhumée, pas très en forme ; il n’empêche qu’elle a exécuté sa partie avec brio. Il y a eu quelques hésitations, erreurs ou maladresses, mais l’ensemble est remarquable. Voilà, Ascension, Diane, Kevin et Maxime sont enregistrés...
J’ai accompagné Richard dans le bistrot où se produisait Jean-Marie comme chanteur d’un groupe « bluesy-jazzy » sur le retour. Il était complètement déchaîné, et ses contorsions au micro disaient bien qu’il allait on ne peut mieux. Je l’ai taquiné à ce sujet. Il n’empêche que j’aimerais lui voir autant d’entrain aux répétitions (mais je suis injuste, car il est actif et attentif ; je me demande simplement s’il est adapté à ce type de chant : de toute évidence, il est beaucoup plus à l’aise dans ce type de musique classique que dans les chants a capella que je lui propose, plus sages, plus retenus ; intimistes, dirai-je.*) « On va ailleurs ? » m’a-t-il dit au bout d’un quart d’heure. À un moment donné, sur la route, il m’a dit de but en blanc : « Je suis un mauvais trompettiste. Je sais que je suis un bon musicien, mais je suis un mauvais trompettiste. Je ne comprends pas pourquoi tout le monde me trouve bon... » Je pensais qu’il plaisantait ; pas du tout, il était très sérieux...
Une fois de retour chez lui, nous avons parlé de littérature, d’écriture (lui avec une espèce d’affectation dans la voix qui m’a extrêmement surpris). Au bout d’un moment, j’en suis venu à parler de moi, de mon rapport à l’écriture, de la manière dont elle me transformait, me gauchissait, me mettait de plus en plus dans l’incapacité de vivre, de regarder les faits, le « réel ». J’ai mentionné Journals et j’étais à deux doigts de lui parler de V. « Mais tu liras tout cela », lui ai-je dit. Cette conversation m’a fait beaucoup de bien, même si je n’ai pas réussi à m’exprimer, à m’expliquer comme je l’aurais voulu ; je pourrai, avec moins de réticence, lui confier la lecture du dossier... Cette soirée l’a un peu dévoilé et c’est plutôt pour me plaire...
Coup de fil de Thierry. Il ne viendra sans doute pas demain et à partir de mercredi, il ne sera plus disponible jusqu’au weekend suivant. Moi-même serai « pris » par Marcel entre Noël et Nouvel An. Nous décidons de nous revoir début janvier pour la répétition suivante...
J’ai écouté les cinq prises de Marietta. Ce n’est pas mal. Une ou deux sont satisfaisantes. Mais que satisfaisantes. « Ça manque d’émotion », dirait Thierry. J’ai renoncé à en choisir une pour la cassette des prises choisies. Il faudra sans aucun doute la refaire...
* et beaucoup plus complexes (note du 29 août 2021)
1996
*
1er janvier
J’ai posté mes cartes de vœux pour cette année, adressées à celles et ceux qui de près ou de loin sont associés au projet, c’est-à-dire onze recettes pour ignorer le temps, plus deux variations : Anne, Olivier, Richard, Mia (et Lucien), Léo, Fanny, Marie-Noëlle, M***, Thierry, Didier H., Valérie, Olivette et sa mère…
8 janvier
Gros trou. Que s’est-il passé durant ce temps ? Rien en ce qui concerne Journals, ceci explique cela ; pas de contacts, pas de répétitions, pas d’enregistrements...
Début de ce mois, je décide que les enregistrements doivent être achevés pour la fin juin, c’est-à-dire soixante pièces en six mois ; dix par mois, une tous les trois jours. Ici, on peut rire...
Aujourd’hui, c’est la saint Lucien, c’est-à-dire la fête du fils de Richard et de Mia. Je m’étais promis, à sa naissance, fin octobre, de lui écrire une pièce pour piano qui porterait son nom. Le temps a passé. L’idée allait et venait, puis, en pensant à cette fête qui approchait, je me suis décidé à concrétiser cette idée. J’en ai parlé à Anne ; elle m’a suggéré une pièce à quatre mains, ça m’a emballé. Finalement, vendredi matin, j’avais en ma possession une pièce à quatre mains, une pour deux mains, et une troisième à quatre mains, inachevée et qui s’est transformée en catastrophe en réduction pour deux mains... J’avais prévu que nous jouions la première ensemble, que je joue la deuxième et Anne la troisième. Mais nous avions à peine trois jours pour tout apprendre et travailler...
La pièce à quatre mains a été abandonnée, sa mise en place est trop complexe. Restait à Anne à apprendre la troisième ; elle l’a fait aujourd’hui, ici, à l’appartement, alors que j’étais au bureau, mais sans succès, elle est trop difficile et nous n’avions plus assez de temps. Ne restait plus que « ma » pièce à interpréter, et, puisqu’il me semblait dommage que nous ne jouions pas ensemble, j’ai ajouté une petite comptine à quatre mains, écrite dans la journée. Nous l’avons vue ce soir avant de nous rendre chez Richard et Mia pour leur faire la surprise de cette interprétation (et du cadeau des quatre partitions, puisque, avant tout, c’était de cela qu’il s’agissait : offrir les partitions). La pièce, Lucis, esquisse pour une comptine (écrite sur la base de la, do, si, mi : LUCIEn) est simplissime, nous l’avons maîtrisée en un rien de temps. Nous sommes ensuite allés chez Richard et Mia, mais pour y trouver porte close. Nous sommes revenus chez moi et, en désespoir de cause, nous avons laissé une bribe de la comptine sur leur répondeur, puis sommes retournés chez eux pour glisser les partitions empaquetées sous la porte. Lucien aura tout de même eu ses notes...
17 janvier
Réunion autour d’un repas chez Anne et Olivier avec Léo et Valérie. L’objet : le projet des douze pièces pour piano (Domicile conjugal, le titre a été définitivement adopté). Rien de vraiment concluant n’en est sorti, mais du moins nous en avons parlé, et en parler, c’est le garder en vie. Olivier a suggéré septembre pour sa création. Nous nous revoyons début février...*
Avec Valérie, j’ai parlé de Journals, des pièces à enregistrer. Nous nous voyons dans une semaine. Je l’avais appelée au matin pour la mettre au courant de mon rendez-vous avec Guy le corniste et lui reparler de Marie qu’elle devait voir dans l’après-midi. Finalement, je l’ai appelée, elle est d’accord pour interpréter Jeanne d’Arc avec Guy. Nous avons fixé l’enregistrement au 7 mars…
J’ai oublié de parler de l’arrivée inopinée d’Alex durant la répétition de chant. Il m’a rendu la flûte et, avec elle, sa démission. Ça ne m’a en rien étonné, je le sentais depuis quelque temps. Je dois donc contacter Christelle (la compagne de Marc – comment s’appelle-t-elle, au fait ?) pour lui proposer Landry et Christine…
Valérie est stupéfaite du comportement de Yann ; elle le voit régulièrement, ils en parlent, il est toujours partant ; pourtant, il ne donne pas signe de vie et me propose toujours son répondeur comme interlocuteur...
* il s’agissait de sa représentation scénique à partir de plans que j’avais dressés à l’époque de la composition ; il y a eu des notes, des dessins, des croquis (et, il me semble, une maquette que Léo avait réalisée) : tout, y compris mes propres plans, a disparu, j’ignore ce que c’est devenu (note du 6 septembre 2021)
18 janvier
Philippe et Jacques, répétition triste et terne. Nous nous revoyons dans quinze jours. Je ne vois plus aucun sens dans ces répétitions qui me semblent complètement vaines...
(De revoir Valérie m’a beaucoup troublé. Elle me plaît toujours autant, si ce n’est davantage...)
21 janvier
J’ai passé la soirée d’hier avec Valérie. Depuis quelque temps, elle fait de la musique turque avec un Marocain qui joue de l’oud (ou du oud ?). Lors de la dernière réunion chez Richard, elle nous avait conviés à venir les écouter au Comte des Flandres. Une fois sur les lieux, où je pensais retrouver Anne et Olivier, je me suis étonné qu’il n’y ait qu’un seul nom sur l’affiche, que deux micros sur la scène, l’un pour la voix, l’autre pour l’instrument, et enfin aucune mention de la contrebasse et du nom de Valérie sur la brochure. C’est alors que je l’ai vue assise parmi le public ; je l’ai rejointe, elle m’a appris qu’elle ne jouait pas, que ce n’était pas l’instrumentiste en question, mais son maître, un Turc, éminent spécialiste de l’oud. « J’ai l’impression que j’ai tout compris de travers », lui ai-je dit en m’asseyant au plus près d’elle. J’étais troublé. Je me suis concentré comme j’ai pu sur la musique, mais toutes mes pensées étaient pour elle et je n’ai cessé de penser à la fin du concert, me demandais si nous allions simplement nous quitter à la sortie ou si nous irions prendre un verre, et si oui, comment ça se passerait. C’est elle qui me l’a proposé. Nous sommes allés au Banjo, en sommes venus à parler de ce qu’à présent nous nommons « l’opéra ». Nous avons fait le point. Rien de très brillant n’en est sorti. Nous approchons de la fin du mois et rien ne s’est mis en route. Elle dit qu’il n’est pas impossible de terminer les enregistrements pour l’été. « Je commence franchement à en douter », ai-je dit... Nous nous sommes quittés après deux bises très amicales. J’ai de nouveau remarqué comme elle me paraissait tour à tour très ordinaire et excessivement belle.
J’ai appelé Christelle Rambert, ai eu sa mère, lui ai demandé que sa fille me rappelle, elle ne l’a pas fait. J’ai appelé Aurélia : répondeur ; Yann : répondeur ; Christelle de Marc : occupé à plusieurs reprises ; Jacques : répondeur, j’ai laissé un message auquel il n’a pas encore répondu...
J’ai tenté d’entamer sérieusement le déroulement à partir du synopsis. En vain...
Quelques notes pour Domicile conjugal :
Deux éléments distincts qui apparemment n’ont aucun lien entre eux, mais en réalité sont étroitement liés : ils obéissent exactement aux mêmes règles et forment un tout cohérent : illisible, mais déchiffrable.
Règles :
- les douze notes, la ronde des tonalités, le mouvement de la musique au sein de la ronde (du salon du domicile conjugal) ;
- la note répétée, régulièrement, immuablement, obstinément...
23 janvier
Jacques m’a appelé pour me demander des nouvelles. Que lui dire, sinon que « ça va doucement » ?... Doucement est le moins que je puisse dire. Je devais passer quelques coups de fil après la leçon à Luce, dont un à V. Je repousse depuis plusieurs jours et ne parviens toujours pas à me décider. Du coup, je n’ai appelé personne... Fatigue, lassitude, léger dégoût...
Le déroulement est en plan. Ne se déroule pas du tout...
(À la page 142 de 1962 de Carl-Hemming Wiskmark, je relève une image à partir d’une horloge astronomique qui me fournit une idée pour Domicile conjugal : le temps, douze heures, douze mois, les personnages qui apparaissent et disparaissent en une ronde perpétuelle...) (Et à la page 104, une olivette...)
24 janvier
Divers coups de fil aux musiciens. Seuls Christelle de Marc et René y répondent. J’ai proposé des dates. Nous nous rappelons vers le 10 février...
28 janvier
J’ai rencontré Marc, Christelle et Didier H. dans le hall du théâtre des Vers. Tous trois – plus Marcelle que Christelle avait vue dans la semaine – sont d’accord pour refaire Igor. Nous nous revoyons en début de semaine prochaine pour répétitions et enregistrements. C’est de leur propre initiative et je ne peux que m’en réjouir...
J’ai vu Une heure à tuer de Philoxène dans une nouvelle version. Je me suis ensuite retrouvé chez Anne et Olivier avec la troupe ; tout cela s’est terminé dans la nuit. Je n’avais pas bu une goutte d’alcool de la journée et ai pu me faire l’observateur des « débordements » des autres, c’était assez instructif...
Olivier est passé pour que je lui fasse entendre les pièces de Domicile conjugal. Cela m’a fait penser que deux d’entre elles sont à réécrire, il faut que je m’y mette assez vite...