Maintenant que je connais un peu la femme, me reste à connaître lauteur ; cest évidemment plus intéressant, encore quelle ne m'ait pas vraiment donné envie de la lire, je ne saurais dire pourquoi – un certain ton, une certaine attitude générale face à lart et lécriture. Peut-être est-ce dû en partie à ce quelle dit et pense de Proust quelle qualifie décrivain égotiste – sans jugement négatif, puisquelle l'aime beaucoup. Ça ma évidemment surpris car quel écrivain ne lest pas, et même comment peut-on être écrivain (ou artiste) sans lêtre ?... Pourtant, je pense comprendre ce quelle veut dire, cest-à-dire quil sagit dun écrivain entièrement tourné sur lui-même – centre de son œuvre, quil se soit « pris comme modèle » ou pas (jespère quelle n'est pas tombée dans le panneau de lautobiographie proustienne) –, contrairement à elle, et aux auteurs et autrices de même type, qui se détachent de leur œuvre, ny prennent pas part personnellement, ne sy incluent pas. Quoi quil en soit, le mot « égotisme » me gêne beaucoup, car je le trouve complètement déplacé et, qui plus est, parfaitement inutile puisque allant de soi... Puis, et cela ajoute à ma perplexité quant à sa position vis-à-vis de lécriture en général et de Proust en particulier, elle dit pourquoi elle laime et ce qui la « gêne » chez lui. Je ne vais pas retranscrire ici ce qui la gêne, ce serait trop long, mais voici du moins ce quelle aime chez lui : « la grande construction thématique, la perception exquise (!) du passage du temps et du changement quil produit dans les personnalités humaines et une sensibilité qui ne ressemble à aucune autre »... Ce après sept ou huit lectures de La Recherche (quelle dit)... En quelle langue la-t-elle lue, sagit-il du même livre ? et lorsque je relis ce qui la gêne, je me demande vraiment si lacte littéraire et même la littérature ont un quelconque sens pour elle...

1er mai 1991 (dans une lettre à Marcel)