Il parle à B, avec B. B, c'est son magnétophone, sa femme. Warhol aurait enregistré tous ces paroles sur bande magnétique, tels quelles, ou en vrac, et quelqu'un les aurait retranscrites, tâche qu'il aurait confiée. C'est le texte que je lis, par chapitres, par thèmes, sorte d'autobiographie qui n'en serait pas une ; c'est-à-dire, en définitive, serait une biographie : Warhol trace la biographie de Warhol, ou d'Andy. Le ton est clair, simple, comme celui d'un enfant ; un enfant un peu naïf, candide ; en même temps, lucide ; regard sur le monde d'un enfant qui s'amuse, expérimente ; qui tire des leçons simples et logiques ; mélange d'absurdité et de bon sens. J'avais précédemment écrit : « mélange de dérision, de cynisme ». Puis m’étais ravisé : il n'y a ni cynisme, ni dérision, et, en un certain sens, il n'y a rien. Ce rien n'est en rien péjoratif, réducteur. J'ai pensé, au moment d'écrire ces mots, à ce que m'avait dit Doriane en me le tendant : « C'est très étrange. Il y a des choses très agaçantes, et puis d'autres extrêmement intéressantes. Mais c'est froid, glacé. C'est inhumain. Il n'y a pas la moindre émotion, pas le moindre sentiment... »

Au cours de cette lecture, me revient sans cesse le narrateur du très beau roman de Dick (le nom m’échappe), sorte de demeuré qui n’obéit qu'à une logique intérieure qui échappe à l'autre, à l'extérieur. C'est l'impression qui se dégage ici et fait qu'il s'agirait davantage d'une fiction que d'un texte à caractère autobiographique. C'est le même type de personnage : un être à contre-courant, a-normal, qui ne suit que des règles intérieures (qu'il érigerait en règles d'art) dont la logique, la lucidité font passer le reste du monde pour une projection illusoire née de son propre regard, de son propre cerveau... Est-ce Warhol ? est-ce important que ce soit lui, entier, intègre, fidèle, authentique ?... En faisant une recherche chez le réseau, je suis tombé sur un autre titre de lui : Warhol Diaries, son journal. Il serait intéressant de comparer les deux, d'en comparer le ton, ton, alors que j'y pense, est peut-être dû à la traduction. Je vais tâcher de me procurer l'original et comparer. Warhol dit à plusieurs reprises et à juste titre qu'il ne sert de rien de répondre correctement et honnêtement aux questions des journalistes puisque, de toute manière, ils ont déjà l'idée de ce que sera leur article et que les réponses seront transcrites (donc falsifiées) en ce sens. Peut-être Warhol est-il ici justement son propre journaliste, c’est-à-dire qu'il s'agit de l'autobiographie de l'image de Warhol, autrement dit ce que le lecteur s'attend à lire, ou, plus précisément, ce qu'il veut lire à son sujet... (Lire en parallèle Malevitch et Warhol, côte à côte dans mon sac...)