
1847, famine en Irlande. Des centaines de milliers
d’Irlandais pauvres et affamés (comment est-ce possible, tant de
gens ?) partent pour le Canada (toujours britannique à cette
époque) dans de petits navires surchargés que l’on appellera très vite
les « coffin ships », c’est-à-dire les « bateaux cercueils ».
Beaucoup meurent en route, de faim, d’épuisement, des mauvaises conditions
à bord, de maladie ; d’autres meurent dans les hôpitaux des lieux
d’immigration ; les derniers sur les routes, dans les champs. Un
homme, Robert Whyte, effectue l’un de ces voyages. Il tient le journal de
cette traversée de six semaines, puis de l’arrivée au Canada, à
Grosse île où se situe le centre d’immigration. Que fait-il
là ? qui est-il ? L’année suivante il publie un livre aux
États-Unis (il n’aurait pu le faire au Canada sous contrôle
britannique) qui est le contenu de son journal suivi de
commentaires, de réflexions sur la tragédie de cet exode. Puis il disparaît. On
ne sait véritablement qui il est, on subodore un pseudonyme. Toujours est-il
qu’il ne peut être qu’écrivain, le texte en fait foi. En même
temps, qui est-il ? (Je note qu’il est le seul du bateau à ne pas devoir
subir les contrôles et les visites médicales et à pouvoir poser le pied sur le
sol canadien sans être soumis à la quarantaine ; il ne donne pas la raison
de ce régime de faveur.) L’auteur de la préface
insiste pourtant sur l’indubitable authenticité de son texte (mais
pourquoi serait-il faux, ou du moins fictionnel ?) en le mettant en
parallèle avec un autre livre qui avait raconté la même « aventure »,
mais dont l’authenticité avait été mise en doute (The Voyage of the
Naparima de Gerald Keegan)… Il n’empêche : voilà un
document à plus d’un titre digne d’intérêt autant pour sa forme que
pour les faits qu’il rapporte (dont j’ignorais tout et qui me
remuent) et je me suis demandé s’il avait été traduit et le cas échéant,
si je ne pouvais pas en assurer la traduction et le publier… (En
en parlant, je repense au journal de Cook que je possédais, bel exemplaire
d’une édition anglaise des années quarante, qui a disparu de ma
bibliothèque. Où est-il ? Qu’est-il devenu ?)
21 septembre 2001