Mémoire ? Sous sa plume, et l'ayant connu dans d'autres
circonstances,
je m'interroge ; et ne comprends pas, et ne vois dans ce type
de confessions qu'un sens (à défaut d'intérêt) posthume.
En vérité, il semble se substituer à ses futurs exégètes, et je me demande s'il
n'y a pas de l'outrecuidance et une extraordinaire
prétention à prendre ce droit-là en pensant que c'est
juste et légitime... Il n'empêche, ça reste très plaisant, très
« intéressant » (comme peut l'être toute
autobiographie au bout du compte), et très agréable à
lire, au premier degré, sans trop se poser de questions, sauf
celle-ci :
pourquoi raconter tout cela, j'ai fait ci, j'ai fait ça, à telle
date j'étais là, puis je suis revenu ? qui croit-il être
pour penser qu'il est de la plus grande importance que tout le
monde le sache ?... Tu auras compris
que c'est d'un type particulier d'autobiographie que je parle, car il y a Miller
dont la vie a été son œuvre et son œuvre sa vie, Céline qui s'est fait écriture,
et puis, Proust, bien sûr, qui summum des summums, s'est transformé en
littérature et a fait de sa vie une œuvre d'art. Tandis que Rezvani... (avec un peu d'injustice de ma part, car ses
premiers livres étaient aussi à caractère autobiographique, mais avec l'écriture
et l'invention... ça excuse d'autant moins ce livre-ci).
Comment serai-je dans quinze ans ?
Peut-être viendrai-je chez toi pour essayer de te soutirer le
présent journal à fin de le faire publier, faute d'autre chose
à produire...
9 avril 1990 (dans une lettre à Marcel)