Rezvani m'agace et me déconcerte ; ces confessions virent à la pleurnicherie nostalgique ; en outre, c'est épouvantablement mal écrit : plat, terne, convenu, académique. Je n'en reviens pas : où est le Rezvani qui faisait éclater les mots ? Crois-tu que ça soit l'âge ? Sans doute, car c'est bien la confession d'un vieux singe geignard et chevrotant. Je trouve tout de même des choses « intéressantes », dont le fait qu'il ait connu beaucoup de monde (dont les Lanzmann, Claude et Jacques surtout, avec qui il était très lié), et je pourrai au moins y trouver l'intérêt du témoignage. J’y relève aussi ce passage : jusqu'à la fin de son enfance, chaque soir, avant de s'endormir, il passait en revue tous les noms, toutes les personnes, tous les endroits qui avaient jalonné sa journée ; il y pensait très fort et les posait dans sa mémoire comme des miettes de pain ; il pensait pouvoir, de cette manière, à l’image du Petit Poucet, « remonter le passé ». Les miettes de la mémoire ; je trouve ça très beau, et je me demande dans quelle mesure il n'y a pas un peu de ça dans le journal : poser chaque jour des miettes dans l'espoir de pouvoir un jour les suivre à rebours et ainsi retrouver le chemin ; à cette différence près que ma volonté n'est pas de retrouver le « passé » (ce leurre), mais simplement de le confondre avec le présent pour une immobilisation définitive du temps (le confondre comme un suspect). (Mais n’est-ce pas un peu l’extra-temporalité proustienne ?)
7 avril 1990 (dans une lettre à Marcel)