Je note aussi une toile fascinante de Rossetti, sans titre indiqué.
C’est la rencontre de Dante et Béatrice. Il se tient à l’angle d’un pont, main gauche sur le cœur ; devant lui s’avance un groupe de trois femmes, deux l’une contre l’autre, la troisième légèrement en retrait, un mètre derrière et à leur gauche. L’une des femmes est Béatrice (je le présume en me basant sur les divers portraits faits d’elle), l’autre sans doute une amie si j’en juge d’après sa main gauche posée sur l’épaule droite de Béatrice. C’est elle que je regarde, rien qu’elle : la lascivité de sa posture (poing sur la hanche, corps exhibé et rejeté en arrière), l’exposition ostensible de la rondeur de son ventre et de ses seins sous un fin tissu et, sous le drapé, plus bas, le bas-ventre et la jambe gauche : elle pourrait être nue. D’emblée, elle s’accapare la première place, est la souveraine de la toile, et relègue alors Beatrice au rôle de comparse sèche et un peu fade plutôt que de femme convoitée ou convoitable à ce point qu’au premier regard c’est en elle que j’ai vu Beatrice. C’est l’amie – la seule des trois – qui regarde Dante, alors que Beatrice – si tant est que ce soit elle – fixe froidement un point devant elle, ignore, ou semble ignorer, Dante. Est-ce elle ou Béatrice que Dante regarde ? Et alors, ce serait elle Béatrice ? Où peut donc se trouver cette toile ?...

5 avril 1999