Le Lys
Réponse subite à ma première question : oui, de savoir que ces lignes seront lues va influer sur le contenu des journals, car, en écrivant, je maperçois que mon état desprit est différent. Toutefois, ce nest pas dans le sens dune publication que jécris, mais plutôt dans celui dun courrier. En vérité, comme à cet instant précis, jai limpression non décrire pour un ouvrage, mais pour quelquun, à quelquun : cest un courrier... Jen reviens donc, dune certaine manière, au Journal du pauvre, épistolaire. Mais aussi, et cest assez curieux, à une très ancienne idée, celle de la littérature, de lécriture vue comme une correspondance dans son acception épistolaire, justement. C’est-à-dire celle qui était exprimée dans un ancien texte, Désert et abbaye, fiction qui en saidant dune quelconque destruction à léchelle planétaire faisait évoluer dans un espace clos une dizaine de personnes dont la majorité se connaissait. Lune delles, le narrateur, écrivain publié, tient un journal dont les seuls lecteurs seront les personnes de son entourage immédiat. Journal à part entière ou non, on ne sait trop, mais il écrit, écrit à et pour ses personnes, et sen félicite car, dune certaine manière, il accomplit de cette manière cette vieille idée de la littérature ou de lécriture comme une correspondance... En même temps, ce nest pas un courrier, car il ne sadresse pas directement à ces personnes. Il parle delles notamment , comme sil était observateur de leur vie dont il fait partie et comme si elles nétaient pas ses uniques lecteurs. Ce nest pas de lignorance feinte de sa part. Il ny pense pas, tout simplement. Il écrit... Il est drôle de penser que près de quinze ans après, je sois moi-même en train de concrétiser cette idée : abandonner le circuit et le système classiques, laborieux et ingrats (et à plus dun titre vains) de lédition pour constituer un monde clos où lécriture se transmet par correspondance (là, dans tous ses sens). Amis ou inconnus (les « amis inconnus » de Lorbais), ou simples relations, ou connaissances, ou proches d’amis, je leur écris (et je sui tenté d’écrire : je vous écris)...
Journals (bulletin) III, p. 53