Pluie, pluie...
Tristesse toute la journée.
Comprenne qui peut...
18 h 00. Folkestone. Seacat. Hovercraft à Douvres annulé à cause du mauvais temps. Entre ce moment et le précédent, une visite rapide de Statford-upon-Avon et trois heures de route pour prendre à temps le bateau du retour. Et une seule cigarette fumée il y a quelques minutes en attendant l'embarquement. J'en suis à trois pour cette journée.
(Week-end éclair : partis hier à 13 h 00, nous serons de retour à 22 h 00, tout à l'heure. L'objet premier de ce voyage, c'était les 50 ans d'un ami de Susan à Birmingham.)
Le Flâneur des deux rives,
Apollinaire.
Que m'a prêté Susan...
Chroniques parisiennes, en quelque sorte. Courts textes et
récits à propos de lieux connus, de personnages rencontrés,
dont certains célèbres (Vollard, Jarry, Gourmont,
Catule-Mendès). Dommage que l'écriture soit si maladroite,
quasi scolaire. Malgré tous mes efforts, je n'ai jamais pu m'en
détacher tout à fait...
(Une remarque amusante, p.
77 :
« Léon Dierx racontait avec complaisance des histoires du
temps où il était au ministère. Il y faisait sa besogne en
songeant à la poésie. Une fois, il devait écrire à un
archiviste de sous-préfecture et au lieu de Monsieur
l'Archiviste, il écrivit Monsieur l'Anarchiste, ce qui causa un
grand scandale dans la sous-préfecture. »
C'est ce que Susan avait compris que j'étais, anarchiste, quand,
répondant à sa question, je lui avais dit ce que j'étais,
archiviste...
V*** !
Dimanche passé chez ma mère,
qui va bien, très bien.
Qui lit, c'est à n'y pas croire !
Dont un ouvrage sur Van Gogh.
Je lui parle des Impressionnistes, du cubisme.
C'est le monde à l'envers !...
V*** !
Hier, au retour, j'ai prêté à Paul L'Homme imaginant de Laborit en guise d'illustration à une discussion que nous avions eu peu de temps auparavant autour de l'homme, de l'animal, du comportement et de la notion d'intelligence, sujets qui le préoccupent en ce moment. De là, nouvelle discussion au sujet de l'intelligence. Très vite, comme à l'accoutumée, je m'empêtre dans mes explications, dans l'énoncé de mes arguments ; ou mieux, me montre incapable de formuler en un langage clair, éternel problème, ce qui pour moi est évidences (le « bien sûr ! » que me reproche souvent Susan !). Je m'emporte, je mélange tout. Bref, très vite c'est l'incompréhension, incompréhension d'autant plus forte que, bien sûr, nous ne parlons pas le même langage, que nous ne donnons pas la même signification aux mêmes mots, que j'aborde des « notions » périlleuses au possible : celles qui, à chaque fois que je les énonce, choquent, hérissent ; provoquent dans l'il de l'interlocuteur une lueur de résistance, d'opposition, voire d'hostilité. À ce point que de plus en plus j'hésite à les aborder, à les nommer : notions (ou concepts) de bêtise, d'imbécillité, d'abrutissement (voir la réaction de l'auteur de la lettre anonyme)... Je pense à tout cela depuis ce matin. Se faire comprendre. Trouver le langage approprié, non pas tant pour convaincre que pour se faire comprendre. Je ne me fais pas comprendre ; j'use de mots « dangereux » que je ne maîtrise pas vraiment, ou du moins dont le maniement et l'expression ne me sont pas faciles et qui provoquent la réaction inverse de celle que j'attends : j'attends une compréhension (un ralliement ?) et j'obtiens l'hostilité. Lorsqu'il s'agit d'adultes, ce n'est pas bien important. Mais dans le cas d'adolecents tels que Paul, je devrais faire attention. Attention à ne pas m'emporter, attention à la formulation. C'est très important. Il est en position d'attente ; il s'interroge, il interroge. Il espère sinon une réponse du moins une voie, un chemin. Celui que je lui propose, c'est celui de quelqu'un qui voit le monde comme un épouvantable conglomérat d'abrutis, aveugles et sourds, dociles, serviles et impuissants, pris dans le piège de l'éblouissement social. D'individus qui à quelque niveau que ce soit, se grisent de l'idée du pouvoir. D'individus que je qualifie d'imbéciles et d'abrutis parce qu'ils ne fonctionnent que dans les strictes et pauvres limites de leur conscience, de la cellule close qui leur sert d'intelligence et qui, parce que close, n'est que la confrontation avec leur propre visage... Qu'est-ce qui me prend d'écrire tout cela (comme si je devais me justifier) ?
(Face, un moment donné, à mon impuissance à
formuler clairement mes arguments, et donc à lui répondre, il
s'en va. Je ne dois pas le laisser partir comme ça. Et comme il
atteint le premier étage, un mot me vient à l'esprit : la
tolérance. Alors, je le rappelle. Il passe la tête en haut de
l'escalier. Et je lui dis : « l'intelligence, c'est la
tolérance ; il n'y a pas d'êtres intelligents qui ne
soient tolérants ; l'intolérance est un signe premier de
bêtise et d'imbécillité. » Lui, au haut de l'escalier,
moi, dans le hall, nous continuons à en discuter. Nous tombons
d'accord (autant que l'on puisse l'être à un niveau premier du
concept et étant donnée la différence d'âge). J'ai été
heureux, grâce à ce mot, d'avoir pu rattraper le coup, de
n'avoir pas laisser mourir la discussion dans une impasse ;
celle-là même que j'avais créée...
Tolérance.)
Les Temps modernes, n° 200, janvier 1963. Trouvé je ne sais plus où, acheté pour je ne sais plus qui au sommaire, Semprun ou Klee ; ou simplement voulais-je me faire une idée sur une revue dirigée par un homme que je n'aime pas (que je n'ai pas vraiment lu, dont le peu que j'ai lu ne m'a laissé aucun souvenir, que je connais à peine ; mais je n'aime pas cette idée que la littérature puisse avoir un rôle social ou politique, et que l'on veuille à tout prix lui en attribuer un)...