Je suis au petit bureau rouge de la baie vitrée, face au jardin. J’épure. Jusqu’à une certaine date, je m’installais dans la dining-room, mais depuis l’été, j’ai migré ici, à cette place et, en l’occurrence, c’est l’un des endroits les plus frais du rez-de-chaussée (cinquante degrés dans la rue, trente-cinq à l’ombre dans le jardin, vingt-six ici). Je suis évidemment lourd et mou, mais moins sans doute que lors des derniers épisodes caniculaires ; il est possible que mon corps s’adapte. Quoi qu’il en soit, si j’ai décidé d’écrire au clavier, à cet instant, c’est parce que j’avais Sagan en tête et n’avais et n’ai pas la moindre envie d’aller m’installer dans la chaleur de mon bureau au second ; et n’ai pas non plus envie d’écrire à la main. Sagan. J’ai achevé Du sang d’aquerelle. Je viens de vérifier, Bonjour tristesse est le seul texte d’elle que j’ai lu, il y a trente ans (je ne pense pas en avoir lu d’autre auparavant, avant qu’un commentaire de livre apparaisse dans les pages du site du Lys). Celui-ci figurait dans les cartons de ma boutique que j’épure. Je l’ai écarté, il ne vaut pas un clou sur le marché. Mais pourquoi ne pas le lire. D’elle, j’ai donc lu Bonjour tristesse et je sais tout ce que tout le monde sait. Ça s’arrête là. Et cela a donc été une drôle de surprise en entamant ce texte. Est-ce bien elle qui a écrit cela ? Tout d’abord, ça ne correspond en rien à l’idée que je me fais d’elle, ensuite, on dirait une écriture d’homme (je parle souvent d’écriture d’homme et de femme en ce moment, voir Nancy – écriture féminine, masculine ? y a-t-il une différence avec écriture d’homme ou de femme ? je pense oui – l’écriture qui serait attendue d’un homme ou d’une femme). J’ai poursuivi, perplexe, presque sceptique quant au contenu de ce texte, mais aussi au fait que c’est elle qui l’ait écrit. Pour résumer, sa présence m’a constamment accompagné (et gêné), comme c’est bizarre (de la même manière, peut-être, que m’avait accompagné la photo de Marie-Éléonore Chartier au cours de ma lecture du Journal d’une adolescente de Marie Pra)… Je suis donc allé jusqu’au bout, sans doute davantage parce que je me demandais comment cela allait finir (comment elle allait s’en sortir) que pour l’intérêt même que je trouvais à ce texte, très inégal (mon intérêt), des hauts des bas, montées et descentes (le bavardage parfois, une psychologie qui aujourd’hui paraît étrangement désuète – mais pas de clichés), le tout pour tomber sur une fin romanesque presque grotesque (c’est peut-être le but recherché, et je me suis souvent demandé s’il ne s’agissait pas d’un rossignol). Voilà…
19 juillet 2022