Thérèse s’est toujours refusée d’employer le tutoiement avec qui que ce soit, et en particulier avec ses amants d’occasion qui, une fois le coït de présentation achevé, s’évertuent à appliquer à la lettre certaine fâcheuse règle cinématographique voulant la familiarité des rapports liée à l’assouvissement des corps, c’est-à-dire qu’à l’abolition des obstacles de l’habit doive forcément correspondre celles des barrières du langage et des manières.

« Tu me passes une cigarette, s’il te plaît ?

– Si ça ne vous dérange pas, je préférerais que vous ne fumiez pas. Et j’aimerais bien en outre que vous vous dispensiez de croire que le fait d’entrer en moi vous confère le droit de faire partie de la famille... »

Il est peu fréquent que l’individu ainsi repris et admonesté y revienne à deux fois. Thérèse s’en fiche bien ; pour elle, cette sensation soudaine de se retrouver au centre d’un plateau de cinéma (ou du démarrage d’un nouveau chapitre de roman, mais eu égard à sa passion pour le grand écran, on lui accordera cette seule référence à l’image) est l’une des plus désagréables qui soient ; et le frisson de dégoût qui la parcourt à chaque fois à l’écoute du « tu » fatal, éternel, inévitable, lui semble justifier amplement la perte régulière de ses rencontres fortuites et éphémères...