La peau est ocre, un peu mate et granuleuse du fait du tirage de la photo. L’ensemble est esthétiquement médiocre et déplaisant, voire de mauvais goût et repoussant ; encore qu’il incite à l’arrêt, le force presque, et suscite, on ne sait pourquoi, l’intérêt. Bien sûr, il y a le message, contact rose, inscrit sous la mousse en grosses capitales noires et droites : 3615 TATIANA, et plus bas en oblique : CALINE QUAND ELLE S’LAVE, dont on ne sait que penser, s’il faut en rire ou non, mais qui, de toute manière, surprend, puis consterne. Et il y a la bouche soumise à l’index, la poitrine trop opulente, et tous ces autres détails troublants qui forment un étrange mélange d’intentions opposées et contradictoires et on ne voit pas laquelle se veut prédominante (et au bout du compte, est-on enclin à penser à la distance plutôt qu’à l’appel des sens). Mais il y a aussi la fille que l’on peut voir chaque jour s’y arrêter, marquer un long arrêt devant elle, immobile et comme fascinée. Elle demeure au numéro 10, c’est-à-dire au foyer, et, matin et soir, porteuse de livres, d’un cartable ou d’un grand classeur, elle emprunte ce chemin et systématiquement s’arrête devant le numéro 8 pour y regarder l’affiche. Elle s’appelle aussi Tatiana. Elle a les cheveux noirs, raides et mi-longs. Elle a des yeux bleus que cache en partie une paire de lunettes aux verres larges, épais et carrés. Tout le monde dans la rue l’a remarquée, la connaît, a noté son manège journalier auquel elle ne se soustrait jamais, même si d’autres passants, d’autres habitants de la rue s’y sont déjà arrêtés. Elle ne faillit pas à sa règle et se poste raide face à la fille au bain, et personne ne peut dire à ce moment-là si sur son visage il y a de l’envie, de la curiosité ou du dégoût...